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Petits écrits de la Main Gauche
Informations aux lecteurs

Samedi 18 novembre 2023 :

PUBLICATION DU TOME 1 DE CAUGHT IN THE MIDDLE LE 18 NOVEMBRE 2023
Pour s'y retrouver avant la lecture : Avant-Propos The Legend Of Zelda

- Caught in the Middle (fanfiction du jeu Zelda Breath of the Wild) =>
T2 achevé ; T3 en cours d'écriture.

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18 novembre 2023

Chapitre 5 : Fausse Route

Situé aux confins sud-est d’Hyrule, le Désert Gerudo se présentait comme un gigantesque espace aride battu par des vents violents et des tempêtes de sable aussi hasardeuses que dangereuses. Blotti derrière les montagnes éponymes aux sommets de roche rouge décharnés, le canyon serpentant au milieu des hauts plateaux en était le seul et unique accès depuis la Plaine d’Hyrule. Pour le traverser, les voyageurs pouvaient soit suivre le tracé unique qui sinuait au fond de la profonde ravine, soit se faufiler par le sommet des montagnes et subir le joug d’un soleil cuisant sans le moindre abri, soit, enfin, arpenter la multitude de passerelles de bois qui ornaient les façades du canyon, restes des campements d’extraction de pierre et des fouilles archéoniques effectuées un siècle plus tôt.

Dans tous les cas, quel que soit l’itinéraire choisi, tout le monde finissait immanquablement par échouer à l’extrémité sud du Canyon Gerudo. C’était là que se dressait l’ultime relais avant le désert, aux portes du pays des vaïs guerrières. Il avait été installé là pour accueillir les chevaux qui ne pouvaient s’aventurer dans des contrées aussi hostiles. Rencognée dans le creux de la ravine, la silhouette équine du bâtiment faisait face à une ancienne carrière de pierre dont l’exploitation s’était interrompue des siècles auparavant. Le paysage en portait encore les stigmates : la paroi rocheuse était taillée en gros blocs grisâtres, et plusieurs routes et esplanades y avaient été aménagées dans les hauteurs au fur et à mesure des excavations.

C’était là, sur l’une de ces terrasses abandonnées, que se dissimulait le sanctuaire de Keh’Noi.

A peine Link et Zelda apparurent-ils sur le socle de pierre noire que le chevalier s’éloignait vers les restes d’un vieux campement de tailleurs de pierre attenant. Après l’avoir contourné, il s’arrêta face à la paroi rocheuse et l’observa attentivement. Poings sur les hanches, il la longea patiemment sous le regard intrigué de sa protégée demeurée de l’autre côté des restes d’une clôture de bois vermoulue.

Link, ne traînons pas, réclama-t-elle. J’aimerai avoir traversé le désert avant la tombée de la nuit.

Sans lui prêter la moindre attention, le jeune hylien s’avança jusqu’à une vieille caisse en bois poussiéreuse. Il s’assura de sa solidité malgré son âge avant de la pousser contre le rebord de la falaise et de l’escalader.

Qu’est-ce que tu fais ? l’interpela-t-elle à nouveau avec une légère impatience. On doit se mette en route sans tarder !

Mais le chevalier poursuivit ses acrobaties sans répondre. Il grimpa sur un petit promontoire rocheux, se retourna et tendit la main à la jeune hylienne en une invitation. Celle-ci fixa sa paume d’un air mi-perplexe, mi-agacé. Son premier élan face au mutisme du chevalier était de lui sauter à la gorge, mais elle se contint. Par Hylia, elle avait oublié que Link avait la détestable habitude d’agir sans lui fournir la moindre indication dès lors qu’il se sentait investi d’une mission la concernant. Cette règle datait de l’époque où ils ne pouvaient pas s’adresser la parole sans se sauter à la gorge. Probablement que selon Link, faire sans son accord lui permettait d’agir plus efficacement qu’en attendant l’issue d’une énième dispute.

Les habitudes du chevalier avaient la vie dure.

Pour autant, Zelda savait que ce qui valait il y a cent ans ne pouvait plus avoir cours aujourd’hui. Principalement parce qu’elle ne le voulait surtout pas. Mais elle ignorait toujours à quoi s’en tenir concernant la mémoire du chevalier : dans ces circonstances, ce n’était qu’à elle, et à elle seule, d’amorcer un changement dans leurs interactions.

Link, où est-ce que tu m’emmènes ? insista-t-elle en s’efforçant d’effacer tout reproche dans le son de sa voix.

Bien que tolérante, elle demeurait bien décidée à ne pas franchir la clôture qui les séparait avant d’avoir obtenu une réponse. Satisfaisante, si possible.

Nous allons camper dans les hauteurs, dit-il en lui présentant sa main avec plus d’insistance.

Je croyais que nous nous rendions au repaire ?

Le jeune hylien glissa un regard équivoque sur les armes dans le dos de Zelda pour toute réponse, et la princesse se recula d’un pas.

Link, je ne monterai pas là-dessus.

Le ton, bien que neutre, était sans appel. Le chevalier, sensible à la tempérance de sa protégée, rangea prudemment sa main tendue pour descendre de son perchoir. Agir ainsi lui semblait la seule option viable, et il n’avait pas tort.

Je ne peux pas continuer comme ça, lui expliqua Zelda de son ton le plus maîtrisé. Il faut que tu me parles, Link, que tu m’expliques ce que tu as en tête. Je ne vais pas te suivre à l’aveuglette jour après jour sans avoir la moindre idée de l’endroit où je vais dormir le soir même. On doit décider de notre itinéraire et des étapes de notre voyage à deux.

C’est mon devoir, répondit Link stoïquement, comme s’il s’agissait d’une évidence indiscutable.

Il n’est pas question de devoir ici ! s’exclama-t-elle soudain, ulcérée.

Seul le silence lui répondit, sans grande surprise. Autant pour le contrôle de soi ! Elle savait bien pourtant que le seul moyen de se faire entendre du chevalier était tout simplement de ne pas lui crier dessus. Link n’avait jamais été du genre à donner la réplique durant une dispute. Il la laissait s’époumoner, et une fois l’orage passé, n’en faisait qu’à sa tête. Mais pourquoi fallait-il qu’il soit aussi borné par Hylia ?!

Inspirant un grand coup, Zelda se pinça l’arête du nez. Garder l’empire de soi-même ne lui avait jamais posé de problème lors des tâches officielles, mais quand il s’agissait de Link… C’était une tout autre affaire. Ça l’avait toujours été.

Il faut que tu me parles, répéta-t-elle le plus calmement possible. J’ai besoin que tu me parles. Je sais que tu connais Hyrule et ses dangers mieux que moi, mieux que quiconque en fait, et que toutes les décisions que tu prends sont là pour garantir ma sécurité. Mais nous allons probablement vivre ainsi pendant… un certain temps. Je ne peux pas me contenter de découvrir jour après jour ce que nous allons faire et comment.

Le jeune hylien la sonda un instant. Les traits de son visage impénétrable était gravé dans du marbre et une brise chaude souleva quelques mèches échappées de son catogan.

C’est mon rôle de te protéger, finit-il par lâcher d’une voix neutre.

Oh Link, cesse de te comporter comme un simple soldat pour l’amour de la Déesse ! souffla la jeune hylienne, désespérée.

Zelda se détourna prestement pour fuir le regard à la fois stoïque et intense du chevalier, seul moyen de conserver son sang-froid. Elle devait se rappeler que Link était et avait toujours été quelqu’un de devoir. Depuis le jour où il avait été nommé chevalier servant de la Princesse Royale, il avait agi comme soumis à un commandement suprême auquel il ne devait surtout pas faire défaut, et au Fléau ses autres obligations. Pour y répondre, Link avait la fâcheuse habitude d’agir à sa guise selon sa propre idée à lui, qu’importe ses choix à elle. Ce qui avait le prodigieux don de l’irriter.

Pourtant, elle sentait que ce n’était pas la seule raison qui animait le chevalier aujourd’hui. Depuis la mort d’Impa, quelque chose le rongeait de l’intérieur, quelque chose qui le rendait à la fois plus taciturne et plus intransigeant envers lui-même, ce qui n’était pas peu dire. Zelda avait une vague idée de ce qui le poussait à agir de la sorte, mais pour l’heure, elle avait conscience que seule la douceur ramènerait le jeune hylien à moins de rectitude militaire.

Il ne tenait qu’à elle de se montrer plus compréhensive.

Link, reprit-elle en s’astreignant au calme, je sais que nos rapports sont… complexes, disons. En tant que Princesse Royale, j’ordonne et tu obéis. Mais… n’avons-nous pas dépassé tout ça depuis longtemps ? Ne sommes-nous pas… autre chose ?

Elle contourna la barrière qui les séparait et le rejoignit d’un pas lent. En face d’elle, Link ne bronchait pas, mais elle savait d’expérience que cela ne voulait rien dire. Elle se mordit l’intérieur de la joue, incertaine.

Je voudrais juste… juste que nous soyons à nouveau comme avant… comme…

Une lueur interrogative brilla dans les yeux du jeune hylien et la princesse ravala les mots qui s’apprêtaient à franchir ses lèvres.

Comme à Elimith.

Elle saisit la paume du chevalier de sa main tremblante, entrelaçant leurs doigts de la même façon que la veille au soir.

Est-ce que ça, demanda-t-elle en montrant leurs doigts liés, ça ne signifie rien pour toi ?

Alors qu’elle parlait, Link la scrutait intensément, dessinant inlassablement de ses pupilles bleutées le moindre pourtour de son visage. Sous leur joug impérieux, Zelda contenait difficilement la chaleur qui tentait d’envahir ses joues. Par Hylia, ce qu’elle aimait quand il l’observait de cette façon, qu’importe ce que cela signifiait.

J’ai une confiance aveugle en toi, Link, chuchota-t-elle pour contrôler l’émotion dans sa voix, et je remets ma vie entre tes mains sans la moindre hésitation. Au plus fort d’une bataille, au fin fond d’un territoire ennemi, je t’obéirai sans jamais m’y opposer. Mais entre temps, j’ai besoin de comprendre. Comprendre où on va et pourquoi. J’ai besoin que tu me parles. Que l’on se parle. Tous les deux.

Après une minute de silence interminable, le chevalier hocha finalement la tête en un accord tacite, arrachant un sourire soulagé à la princesse.

Pourquoi veux-tu m’apprendre à me battre ici ? essaya-t-elle à nouveau. On ne peut pas attendre d’avoir exploré le repère des yigas ?

Trop dangereux.

En chemin alors ? insista-t-elle tandis que le chevalier se détournait pour grimper à nouveau sur la caisse.

Nous nous y téléporterons.

Nous… Il y a un sanctuaire à côté de leur repaire ? s’exclama la jeune hylienne. Pourquoi ne m’as-tu rien dit ?!

De nouveau perché sur son promontoire, Link se retourna. Il tendit la main vers la princesse avec un sourire contrit en guise d’excuse. Attendrie malgré elle, Zelda rendit les armes, secouant la tête d’un air mi-amusé, mi-résigné.

Elle posa sa paume dans celle de son chevalier.

 

 

Droite, gauche, droite, en bas….

Mes yeux.

La lame du chevalier heurta faiblement le bâton de bois de la princesse dans une succession de bruits secs, pulsation inarrêtable qui raisonnait en écho contre la roche du canyon en contrebas. Haut dans le ciel, l’astre solaire brillait de mille feux dans un azur rendu presque blanc et sans nuages.

Droite, gauche, droite, en bas…

Mon pied d’appel.

Son pied, oui. Lire où il porte son poids…

Troublée par cette pensée, Zelda para à la dernière minute l’attaque surprise au-dessus de sa tête. Malgré les températures modestes, elle sentait qu’elle transpirait à grosses gouttes sous le poids de la concentration et de l’effort, alors que Link paraissait se porter comme un charme, ce qui l’enrageait. Son épée, aussi légère fut-elle, semblait peser de plus en plus lourd. Elle devait sans cesse se rappeler de garder son bouclier en défense, son bras gauche s’affaissant malgré elle. Le carquois dans ses jambes lui battait les cuisses en une douleur sourde et lancinante, et son arc heurtait l’arrière de son crâne dès qu’elle reculait la tête. Mais Zelda était tenace. Elle s’astreignit à occulter toutes ces désagréables sensations du mieux qu’elle put. Elle devait apprendre, et le plus vite possible. Ne pas lâcher.

Link en se remit en position.

Droite… droite… gauche… droite…

Change d’appui.

Pour illustrer son propos, Link termina son attaque en touchant d’un revers le flanc gauche de la jeune hylienne, dévoilé par sa posture hasardeuse. Elle ne put l’intercepter sans se contorsionner de façon presque inhumaine, et elle se dégagea rapidement, agacée de s’être trompée dans ses mouvements de jambes. Malgré tous ses efforts, la princesse se sentait toujours aussi gauche et malhabile une épée à la main. Elle avait l’étrange sensation d’aller à l’encontre de sa nature profonde, mais elle n’avait aucune autre possibilité. Il était grand temps que la Princesse Royale cesse de compter sur les autres pour assurer sa survie.

Cela faisait déjà plus de deux semaines qu’ils étaient installés dans les hauteurs qui surplombaient le Relais Gerudo. Ils demeuraient à l’abri des regards mais toujours soumis au microclimat propre à chacune des constructions sur cette terre aride. C’était le seul moyen pour que le soleil impitoyable et la chaleur écrasante émanant du désert ne les affectent pas. Zelda n’imaginait même pas combien elle aurait souffert sinon tant le programme d’entraînement que Link lui imposait était intense et éprouvant. Cent ans auparavant, elle s’était plu à quelques observations discrètes des exercices que Link donnait aux soldats depuis les fenêtres de ses appartements. À présent, elle devait bien avouer qu’observer était une chose, y prendre part, une autre.

À nouveau, Link se remit en garde dans une invitation à poursuivre. Zelda l’imita, et la joute reprit. Link asséna son bâton par deux fois à droite, une fois à gauche, puis à nouveau à droite. Élève assidue, Zelda bloqua chaque assaut. Cette fois-ci, elle ne laissa aucune ouverture, et Link lui sourit.

Sans s’interrompre, le jeune hylien accéléra alors la cadence de ses mouvements, sans les rendre plus offensifs. Concentrée, la sueur dégoulinant le long de ses tempes, Zelda para encore chaque coup, sans faillir.

Les attaques s’enchaînèrent. Droite, droite, gauche, droite… Droite, droite, gauche, droite,droite, droite, gauche, droite, droite, droite, gauche, droite, Zelda plissa les yeux, le cœur lui battant les oreilles. Le soleil se reflétait sur sa lame à chacun de ses mouvements de poignets, l’éblouissant, mais elle ne détourna pas le regard. Son instinct lui hurlait qu’elle ne devait surtout pas relâcher sa vigilance. Link ne faisait que l’endormir en l’installant dans une répétition confortable. Jusqu’au moment où il la prendrait en traître.

Droite, droite, gauche, droite… Bas, haut, revers.

Bien ! la félicita le chevalier en baissant son bâton, les yeux brillants de satisfaction.

Zelda ne put retenir un sourire ravi d’enjoliver son visage rougi par l’effort. Rares étaient les mots d’approbation du chevalier lorsqu’ils pratiquaient l’escrime et elle savait les savourer à leur juste valeur. Au tir à l’arc par contre, il ne tarissait pas d’éloges monosyllabiques. Il fallait dire qu’à la grande surprise de la princesse elle-même, la jeune hylienne y excellait. Après quelques jours seulement, Link avait déjà commencé à l’éloigner de ses cibles et, arc de la dévotion aidant, elle parvenait régulièrement à atteindre les cornes de moblins qu’il disposait le long de la paroi rocheuse. Réussir un exercice avec autant d’aisance avait quelque chose de particulièrement satisfaisant. A contrario de l’escrime, le tir à l’arc semblait lui venir plus naturellement.

Particulièrement paradoxal pour une végétarienne. Aux dernières nouvelles, on ne chassait pas les légumes et les herbes avec des flèches.

Link s’écarta pour signaler un temps de pause et Zelda, le souffle court, se laissa glisser le long de la paroi du rocher qui les surplombait. Elle était satisfaite de sentir un peu d’ombre sur son visage. Malgré la protection du relais, elle savait que la teinte d’albâtre de sa peau commençait à se brunir à force de journées passées à l’extérieur, même si elle ne disposait d’aucun miroir pour le voir. Elle enleva les mitaines protectrices de ses mains et contempla la différence de teinte entre sa paume et le bout de ses doigts d’un air étrangement satisfait. De telles marques n’étaient guère seyantes pour une princesse de haut rang. Jamais elle ne se serait permis un tel laisser-aller du temps où elle arpentait les couloirs du palais, vêtue de ses amples robes richement décorées. Elle n’aurait jamais pu se le permettre : inutile de donner un nouvel argument au courroux de son père.

Aujourd’hui, toute princesse fut-elle, elle s’autorisait à plus de négligence et de naturel. Les mots d’Impa raisonnèrent soudain dans son esprit, provoquant un léger pincement au cœur : si tu reconstruis le royaume, toi seule pourras en édicter les règles, et ainsi peut-être t’accorder quelques… agréments disons. Était-ce de ce genre de petits arrangements que sa nourrice parlait ? Ou de quelque chose de plus profond ?

Link, installé à ses côtés, fouilla dans sa besace et en sortit une fiole de verre remplie d’un liquide vert sombre. Il la lui tendit. Si dans les premiers temps, Zelda avait été surprise de voir tout ce que ce sac pouvait contenir, elle avait finit par deviner que l’intervention de quelques korogus en avait décuplé la capacité.

Encore ? grogna-t-elle en se saisissant tout de même du récipient. Je déteste les remèdes Vitalis. Ils ont un goût infect.

Link lui adressa un sourire amusé et Zelda s’arrêta, le goulot posé sur ses lèvres sèches. Elle glissa un regard au coin vers le jeune hylien qui affichait un petit air malicieux.

Je sais qu’aucun remède n’a bon goût, mais est-ce une raison pour ne pas s’en plaindre ?

Elle ingurgita la mixture d’un trait dans une grimace de dégoût. Vraiment, elle détestait ces potions, et évitait à tout prix de penser aux ingrédients qui les composaient. Depuis deux semaines, elle n’avait d’autre choix que d’en avaler quotidiennement pour tenir le rythme. Zelda était avant tout une érudite et elle n’était pas habituée à des journées aussi physiquement intenses. Malgré les remèdes, les séances d’entraînement répétées la laissaient dans un état d’épuisement qu’elle n’avait jamais connu. La peau de ses mains si douce la brûlait dans l’attente que les cals disgracieux mais nécessaires se forment, et ses muscles l’élançaient sourdement, lui donnant la sensation de n’être plus qu’un torchon amidonné que l’on étirait sans vergogne.

Le soir venu, elle se couchait dès l’apparition de la première étoile pour sombrer dans un sommeil sans rêve, serrant le sceau hylien dans son poing et Hogo contre sa poitrine. Aussi infantile que cela puisse être, elle n’imaginait plus s’endormir sans sentir ses deux petits auxiliaires tout contre elle. Elle ignorait s’ils l’aidaient réellement à s’assoupir ou si la fatigue physique l’emportait sur ses cauchemars, mais, pour la première fois depuis la chute du Fléau, elle ne pensait pas, ou peu. Aucune de ses nuits n’avait été troublée par les noirs souvenirs de ses années passées avec Ganon.

Seulement par ses morts. Mais eux, elle les méritait, voir les accueillait.

Elle laissa son regard se perdre sur le Désert Gerudo qui s’étendait à perte de vue. La Cité et le Bazar Assek n’étaient que de petites constructions égarées dans ce gigantesque océan de sable rayonnant de lumière. À sa gauche, elle distinguait le sommet des imposantes statues des Sept Héroïnes vénérées par les gerudos. Pour la première fois de sa vie, Zelda se sentait étrangement apaisée à l’idée d’être sur des terres où Hylia n’était pas ou peu adorée. Les révélations d’Impa raisonnait encore dans sa tête. Elle refusait de s’y attarder, éloignant tout ce qui serait susceptible de l’y faire penser. Elle n’avait plus qu’un seul objectif, dont rien ne devait la détourner : anéantir une bonne fois pour toutes la menace des yigas. Tout particulièrement Suppa.

En cela, elle remerciait Link de lui imposer un rythme quotidien aussi soutenu. Tous les jours, la jeune hylienne s’éveillait à l’aube alors que le chevalier effectuait déjà ses propres exercices d’épée, un lait chaud et fumant posé sur le feu à son attention. La matinée était réservée au renforcement musculaire et aux exercices d’épée, les après-midis au tir à l’arc et à la méditation. Zelda avait découvert que contrairement à l’impression qu’elle en avait, un combat à l’épée n’était pas un enchaînement de coups pensés les uns à la suite des autres. En réalité, il était impératif d’apprendre des séquences entières de réflexes à son corps, à force de répétition, encore, et encore, et encore. Ainsi seulement un épéiste parvenait à anticiper chacune des attaques adverses d’un simple regard, ses muscles réagissant sans avoir besoin de penser ses actes. Elle comprenait enfin pourquoi Link, malgré tout son talent, s’astreignait à ses séances d’entraînement deux fois par jour au minimum : il rappelait sans cesse à ses muscles des séquences entières apprises depuis des décennies, pour ne jamais faillir.

Cette rigueur était probablement ce qui lui avait sauvé la vie, à son réveil. Si sa tête avait oublié qui il était, son corps, lui, se rappelait comment se défendre.

Tu penses pouvoir partir pour le repaire des yigas dans combien de temps ? demanda-t-elle au jeune hylien à ses côtés.

Il laissa échapper un soupir las et se releva. Ce n’était pas la première fois que Zelda lui posait cette question, mais sa réponse demeurait inchangée.

Quand tu seras prête.

Dans combien de temps ? insista-t-elle.

Il haussa les épaules et Zelda se rembrunit, tentant d’occulter le léger serrement dans sa poitrine. Elle avait pourtant l’impression d’avoir progressé aujourd’hui, mais Link semblait encore bien insatisfait au vu de son regard si sombre. Cette simple idée découragea Zelda. Décevoir les attentes de ses proches était-il donc inévitable pour elle ?

Elle serra les dents de toutes ses forces. Ses mains se refermèrent inconsciemment sur le sceau royal qui pendait sous le tissu entre ses seins. Non, cette fois-ci, elle ne le permettrait pas. Elle avait promis à sa nourrice d’honorer sa mémoire et il n’y aurait que la mort qui pourrait l’en empêcher. Elle devait continuer à se surpasser, à donner le meilleur d’elle-même, dût-elle ingurgiter tous les remèdes d’Hyrule à s’en rendre malade.

Cette fois-ci, elle ne décevrait personne. Et encore moins Link.

Debout à ses côtés, les bras croisés, le jeune hylien glissa un regard soucieux sur l’expression fermée qu’arborait son élève. Dès les premiers jours, il avait été particulièrement surpris par l’extraordinaire résistance de la princesse, elle si peu habituée à l’exercice physique. Mais l’intransigeance dont elle faisait preuve envers elle-même l’inquiétait. Il avait parfaitement conscience de la pression que Zelda s’infligeait. Il ne cessait de lui répéter que ce qu’elle avait acquis en deux semaines, beaucoup mettaient des mois à y parvenir. Lui qui avait craint un apprentissage laborieux des règles les plus élémentaires, il avait été impressionné par la vitesse à laquelle Zelda assimilait ses consignes et les exécutait avec rigueur et précision. Il avait fini par réaliser que la princesse, ayant passé la majorité de sa vie en prière et en méditation, savait depuis le plus jeune âge faire le vide en elle pour obtenir une concentration parfaite. Cela, des soldats de métier mettaient parfois des années à l’acquérir.

Mais rien n’y faisait. La princesse ne cessait de repousser ses limites au maximum, restant sourde aux alertes de plus en plus fréquentes de son corps malmené.

Link la revoyait il y a un siècle, lorsqu’à peine âgée de seize ans, elle s’efforçait d’éveiller son pouvoir. Passant des heures et des heures en méditation, en recherche, en prière, se rendant malade à force de rester immobile dans l’eau glacée des sources. Parcourant Hyrule dans tous les sens en quête d’une chose inconnue, celle qui serait la clé décisive de son pouvoir, mais qui lui demeurait inaccessible.

Que Zelda soit à nouveau obligée de s’infliger une telle épreuve était de sa seule et unique responsabilité.

Jour après jour, il observait sa rapide progression avec un mélange de fierté et de mélancolie qui lui volait la majorité de ses nuits. Il savait que Zelda avait raison. Qu’en entreprenant un tel voyage à deux, et au vu du péril que représentaient les yigas, elle devait acquérir un minimum de réflexes pour se défendre. Mais il détestait toujours autant de voir la jeune hylienne tenir une arme dans sa main si fine, de voir les cales typiques des épéistes les déformer progressivement. Comme si, en lui apprenant l’art de la guerre, il corrompait progressivement la pureté qu’elle représentait, parce que lui-même n’était plus à la hauteur.

Telle était sa pénitence pour avoir failli. Que ce soit Zelda qui en porte le double poids, celui de la perte d’Impa et de devoir se détourner de sa nature si pure, le brisait, le dévorait. Il avait tellement honte de lui infliger toutes ces peines, toutes ces épreuves…

Link… murmura la princesse d’une voix douce, l’extirpant de ses pensées, tu m’en parleras, un jour ?

Désarçonné, le chevalier se contenta de froncer les sourcils. Zelda baissa les yeux sur le sol, lui dissimulant son expression.

De ce qui te ronge depuis Cocorico, précisa-t-elle.

Malgré les quinze jours écoulés, la princesse était encore incapable de parler de la mort d’Impa à voix haute. Cela la rendait bien trop réelle pour qu’elle puisse le supporter.

Link poussa un profond soupir et tourna son attention vers le désert devant lui d’un air sombre. Ainsi, ses émotions étaient si faciles à lire ?

Le jeune hylien n’était pas imbu de lui-même et savait reconnaître ses fautes. Mais en parler directement avec la principale concernée en était une autre.

Tu n’en es pas responsable, tu sais.

Link tressaillit, révélant à la princesse combien elle avait visé juste. Pourtant, ces paroles ne provoquèrent aucune sensation de réconfort, bien au contraire. Si Zelda savait ce qui le rongeait, c’était parce qu’elle avait vu son erreur tout comme lui. Son démenti prouvait seulement que la princesse était d’une nature foncièrement altruiste et sensible.

Zelda se leva et se rapprocha. Elle sentait que la distance physique n’aiderait pas Link à entendre raison. Elle savait aussi qu’il y avait de fortes chances pour qu’il n’ouvre pas la bouche de toute la conversation, et qu’elle devrait se contenter de lire ses pensées dans l’expression de son visage.

Cette mâchoire serrée par exemple lui indiquait qu’il n’interprétait probablement pas ses propos comme elle espérait.

Tu te souviens de ce que je t’ai dit après la bataille sur les contreforts de la Montagne de la Mort, celle où tu avais été blessé ?

Link sentit des doigts frêles effleurer le biceps de son bras gauche, qu’un lynel avait profondément entaillé cent ans auparavant. Il leva ses yeux bleus sur la princesse dont l’expression si douce ne collait pas avec la culpabilité qui le rongeait. Pourtant, elle aurait dû lui en vouloir.

Tu as beau être fort, répéta-t-elle avec un léger sourire, tu n’es pas immortel. Et tu n’es pas non plus omnipotent. Link, j’ai été incapable de dénombrer combien de yigas tu as abattu cette nuit-là. Tu as suffisamment amoindri leurs forces pour forcer Suppa à intervenir et à tout arrêter.

Le chevalier détourna vivement les yeux à l’évocation de leur mortel ennemi. La pensée qu’il soit la cause de son apparition ne faisait que rajouter un nouveau poids sur sa poitrine.

Ce n’est pas un reproche que je te fais ! se reprit rapidement la princesse en s’emparant de son poignet pour le forcer à se tourner vers elle. Link, je…

Elle se mordit la joue, le sang battant dans ses oreilles. Elle observa le visage du chevalier rivé vers le sol, craignant de croiser son regard. Elle savait que dans l’esprit de Link, veiller sur elle ne signifiait pas seulement s’assurer de sa sécurité physique, mais aussi de son bien-être. En n’ayant pas pu empêcher la mort d’Impa et donc la douleur que cette perte lui infligeait, Link avait failli. Il avait failli et il avait désespérément besoin de se racheter, de réparer cette erreur qui avait coûté la vie à sa nourrice. Mais c’était sans compter sur la princesse. Zelda ne laisserait pas le jeune hylien se flageller ainsi sans raison.

Lentement, elle leva la main et osa chasser une mèche de cheveux clairs de son visage. Au passage, elle effleura la joue du bout des doigts, délicatement. Elle sentit le tressaillement du chevalier avant même qu’il ne lève brutalement des yeux surpris sur elle. Elle s’empressa de taire ses craintes qu’il ne la repousse.

Link… souffla-t-elle. Je n’oublie pas que la Prière de Mipha a dû agir pour te guérir d’une blessure qui aurait été mortelle sinon. Et je l’en remercie. Le destin a choisi qui, de toi ou d’Impa, je devais garder à mes côtés. Moi, j’en aurais été incapable.

Elle posa sa main sur le cœur du chevalier, et ce geste remua quelque chose dans l’esprit de Link. Quelque chose qu’il ne parvenait pas à définir. Quelque chose…

Et si j’ai demandé à ce que tu m’apprennes à me battre, ce n’est pas parce que je ne te fais plus confiance, affirma-t-elle. C’est parce que j’ai réalisé qu’il n’y avait plus que toi et moi, aujourd’hui. Plus de soldats, plus de prodiges. Que je sois totalement incapable d’esquiver un coup d’épée t’handicape et nous mets tous les deux en danger. Et…

Elle baissa les yeux alors qu’une légère rougeur couvrait ses pommettes. Elle joua négligemment avec une lanière de la tunique du jeune hylien. Il la couvait d’un regard si intense qu’elle était totalement incapable de soutenir.

Je refuse que mon ignorance nous mette en péril. Je ne peux pas… Je ne peux pas te perdre toi aussi, Link. Pas toi, pas à nouveau…

Elle resserra sa poigne sur la tunique du chevalier sans s’en rendre compte, cette simple idée la lacérant au plus profond de son être. C’était là que résidait sa plus grande crainte, à présent. Vivre dans ce siècle sans Link à ses côtés, avec comme seule compagne cette solitude qui habitait sa vie depuis si longtemps et que seule la présence du chevalier atténuait.

Link, sans la quitter des yeux, desserra la poigne sur son vêtement et lia leurs mains comme à Cocorico. Depuis leur dispute au pied de Keh’Noi, cette étreinte semblait symboliser l’équipe qu’ils formaient l’un avec l’autre, et ce qui les liait. Il ne savait d’ailleurs pas trop le définir, même s’il savait que leur relation dépassait le cadre des interactions entre une princesse et son chevalier. Mais quoi de plus normal après tout ce qu’ils avaient vécu, alors même qu’il ne s’en rappelait que partiellement ?

La princesse reporta son attention sur lui, l’éclat doré dans ses yeux verts le remplissant d’une sensation chaude et rassurante. Finalement, les paroles de Zelda avaient eu l’effet escompté : il ne démordait pas de l’idée d’avoir commis une erreur en laissant Impa sans protection. Mais il acceptait que Zelda puisse apprendre à se défendre sans que cela ne signifie qu’il était incapable de remplir son devoir envers elle.

Il résolut aussi de taire la question qui le hantait depuis Cocorico. Un jour, la princesse lui avouerait pourquoi le Pouvoir du Sceau ne suffisait plus à la défendre.

Deux semaines, répondit-il alors d’une voix calme.

Deux semaines ?!

Link acquiesça doucement, et Zelda ne put retenir un soupir. L’impatience la rongeait même si elle comprenait les raisons qui poussaient le chevalier à vouloir consolider ses apprentissages avant toute entrée en terrain ennemi. Pourtant, elle ne parvenait pas à faire taire la voix qui hurlait dans sa tête, affirmant qu’elle aurait tout le temps d’apprendre une fois qu’elle serait en possession d’un indice, d’une piste pour trouver la nouvelle cachette des yigas dans Hyrule.

Elle observa le visage du jeune hylien. Il attendait sa réaction, ses traits plus détendus et plus sereins qu’auparavant. Était-elle prête à risquer ce fragile équilibre à peine acquis, maintenant que Link semblait enfin en accord avec lui-même, au nom de son impatience ?

La réponse était évidente.

Deux semaines, accorda-t-elle dans une tentative de sourire grimaçante. Pas une de plus.

Link resserra l’étreinte de leurs mains pour la remercier, et la jeune hylienne n’eut d’autre choix que de détourner le regard pour cacher le rouge qui paraît soudain ses pommettes.

 

 

Malgré toute sa bonne volonté, il fallut encore trois autres semaines d’entraînement intensif avant que les capacités de Zelda n’atteignent le niveau que le chevalier souhaitait. Voir le temps lui glisser entre les doigts enrageait la jeune hylienne, mais elle s’y était pliée tant bien que mal.

Pourtant, ses efforts démesurés avaient fini payer. À présent, elle avait acquis la rapidité nécessaire pour dégainer ses armes en quelques secondes. Son corps avait enregistré la chorégraphie des parades et contre-attaques les plus basiques. Suffisamment pour pouvoir lui sauver la vie. Du moins c’était ce qu’espérait Link. Concernant le tir à l’arc, par contre, le résultat dépassait ses espérances : Zelda atteignait une fois sur deux une cible située à plus de trente mètres en trajectoire rectiligne.

Le matin du départ pour le repère des yigas, Zelda prépara plusieurs remèdes glagla en prévision du voyage. Au cours de leur périple, ils avaient convenu de se réfugier dans les sanctuaires pour la nuit mais elle ne disposait pas de la tenue nécessaire pour faire face à la chaleur du désert, contrairement à Link.

Elle s’empara avec dégoût d’un viscère de bokoblin et le jeta dans la marmite où grillaient déjà trois libellules glagla. Les remèdes étaient l’unique concession qu’elle faisait à son régime exclusivement végétarien, et ce bien à contrecœur. Elle détestait encore plus les préparer, et a fortiori ceux qu’elle devrait avaler par la suite. Savoir que l’on buvait du jus de monstre, et voir un foie violet et des insectes mijoter avant de les ingurgiter, étaient deux choses radicalement différentes.

Pendant que la mixture mijotait à gros bouillons à ses côtés, elle laissa son regard errer sur leur campement improvisé. Installés sur la plus haute et la plus large des terrasses de la carrière, le vieux monte-charge qui y menait fonctionnait encore. Zelda avait été surprise d’y découvrir un abri de bois au centre duquel était tendu une toile de tissu épais. Sur la façade de pierre, une échelle donnait accès aux falaises du canyon et à l’ensemble de son réseau d’échafaudages. Durant le règne de Ganon, le peuple Gerudo avait opposé une défense farouche à l’invasion des sbires du Fléau. Ceux-ci, malgré la Lune Rouge et l’aide des terrifiants moldaquors, n’étaient jamais parvenus à prendre le contrôle du désert et à mettre la main sur les somptueuses richesses tapies dans son sous-sol. Rendus fous de rage face à cet échec, les monstres en avaient donc rendu l’accès des plus périlleux en dominant le canyon depuis les passerelles de bois, le transformant en un véritable guet-apens mortel. Mais cent ans plus tard, cela n’avait pas suffi à faire plier le peuple le plus fier d’Hyrule. Malgré le nombre considérable de créatures qui le hantaient, les belliqueuses gerudos y avaient fait le ménage dès que la rumeur de la chute de Ganon leur était parvenue : seule la Lune Rouge les avait contraintes à tolérer la présence des monstres sur leurs précieuses terres ancestrales.

Aussi, certains d’être en sécurité, les deux hyliens avaient dressé leur petite tente beige juste à côté du vieil abri de bois. À l’intérieur, ils avaient étendu de multiples tapis pour isoler la princesse du sol nocturne si froid, ainsi qu’un imposant garde-manger. Devant, sous l’appentis, Link avait installé sa propre couche juste à côté de la marmite suspendue au dessus du foyer, gardien vigilant du sommeil de sa protégé.

L’ensemble du campement dégageait une sensation de confort qui avait surpris la princesse. Jamais elle n’avait imaginé apprécier la vie dans un bivouac pourtant si simple, regrettant presque de devoir le démonter aujourd’hui. Mais après tout, le faste de sa tente royale était loin, à présent, et elle avait déjà dormi dans des conditions encore plus précaires.

L’un des pans de la tente s’écarta et Link apparut à ses côtés dans l’ombre de l’appentis, vidant momentanément l’esprit de la princesse de toute pensée cohérente. Pendant qu’elle finalisait leurs préparatifs, il s’était éclipsé pour revêtir sa tenue anti-chaleur, et le résultat en était pour le moins… déroutant.

Zelda ignorait qu’il restât des tenues gerudos pour hylien, ou pour voï, comme elles disaient. Malgré leur caractère interdit, Link en avait visiblement dégotée une, Hylia seule savait où. L’habituel catogan du jeune hylien avait disparu au profit d’une bague retenant ses cheveux sur le haut de sa tête. Sur son front, un bandeau doté d’un saphir brillait à travers quelques sauvages mèches blondes. Il portait un sarouel typique de la mode gerudo complété par des genouillères et des protège-tibias dorés. Son torse nu et imberbe n’était couvert que d’un bras d’armure intégral à gauche et d’un canon d’avant-bras à droite. Le tout, de couleur bleu nuit frappé d’or, était serti de saphirs dont le pouvoir permettait de protéger leur porteur de la chaleur.

Cette tenue était très éloignée de la lourde armure de chevalier, de la tunique de Prodige ou de l’hylienne que Link portait depuis leur départ d’Elimith. Résolument guerrier, l’ensemble était du plus pur style gerudo, d’une beauté clinquante avec leurs pierres précieuses et leurs tissus colorés qui ne recouvraient que le strict nécessaire. Ainsi vêtu, Link dégageait quelque chose de très… exotique.

Zelda sortit de sa torpeur en s’apercevant que le chevalier lui tendait un objet qui brillait sous les rayons du soleil. Encore un peu retournée, elle se saisit délicatement de ce qui s’avérait être un diadème Saphir. Composé d’un entrelacs de filaments d’argent, ceux-ci se rejoignaient autour d’une pierre d’un bleu profond serti au milieu du front.

Il est superbe… dit-elle d’une voix légèrement enrouée, définitivement conquise.

Elle glissa le diadème sur sa tête et le contact du métal froid sur sa peau la fit frissonner. Son pouvoir était indéniable, et même s’il ne saurait la protéger intégralement, il viendrait efficacement compléter l’action des remèdes.

Link se détourna pour démonter la toile de tente, s’efforçant d’occulter son amertume. Si seulement il avait conservé la tenue féminine gerudo qui lui avait servi à infiltrer la cité des femmes en toute quiétude ! Mais, gêné d’avoir un vêtement aussi compromettant sur lui, il l’avait rendu à Vivian dès qu’il l’avait pu. Si la question d’entrer dans la cité se reposait, il s’était imaginé trouver d’autres stratagèmes… ou une nouvelle tenue.

À présent, il regrettait amèrement d’avoir cédé à sa fierté toute masculine. Devoir sa survie aux remèdes n’avaient rien de confortable au cours d’un tel périple.

Une demi-heure plus tard, le campement était intégralement plié et toute trace de leur occupation disparue. Link descendit au relais le temps de déposer les affaires qui ne leur seraient pas utiles. Il préférait éviter de s’encombrer malgré la contenance exceptionnelle de sa besace. Pour brouiller au maximum les pistes, ils avaient convenu que Zelda devait se montrer le moins possible. De même, ils ne devaient jamais rester dans un même lieu plus de temps que nécessaire. Aussi, après cinq semaines, il devenait urgent pour eux de changer de point de chute. A partir de maintenant, ils ne vivraient que par leurs propres moyens et ne resteraient plus au même endroit plus de deux nuits de suite.

Lorsqu’il rejoignit Zelda, celle-ci avait déjà programmé la tablette et avalé son premier remède glagla. Sa tenue furtive, qui lui permettrait de se mouvoir dans le sillage de Link sans faire trop de bruit, était teinte en ocre et moulait avantageusement ses formes délicates. Après un instant d’hésitation plus marqué que d’habitude, les deux hyliens se réunirent dans une étreinte maladroite, et se téléportèrent au sanctuaire de Shi’Jito.

Ils se matérialisèrent à quelques mètres seulement de l’entrée du repaire du gang, au fond d’un goulot rocheux. La vallée du Calice était un lieu désolé et peu avenant. Le long chemin qui y sinuait était paré de banderoles rouges et cerné de part et d’autres par des statues sheikahs affublées du lugubre œil inversé. Le sanctuaire, légèrement en surplomb, offrait à Link et Zelda une vue dégagée sur la falaise de pierre rouge qui protégeait l’entrée du repaire et d’où s’écoulait des rubans de sable en continu. Derrière ce voile, tout n’était plus qu’ombres et silhouettes mouvantes.

Zelda observait cet environnement menaçant avec appréhension. Les mains encore posées sur les avant-bras de son chevalier, il n’avait pas lâché sa taille. Il demeurait sur le qui-vive, prêt à se téléporter à la moindre alerte. Une fois certain qu’aucun ennemi n’était en vue, le jeune hylien finit par se reculer, levant la main pour se saisir de l’arc dans le dos de la princesse.

Reste derrière moi, lui dit-il avec sérieux en lui tendant l’objet. À la première lueur, tu tires.

Et toi ? demanda-t-elle, se saisissant du bois lisse d’une main légèrement tremblante.

Link dégaina l’Épée de Légende et le bouclier hylien pour toute réponse.

Tu penses vraiment que les yigas ont réinvesti les lieux ?

Le sérieux sur le visage du chevalier suffit et Zelda déglutit avec difficulté, les yeux rivés sur son arme qui lui semblait soudain incongrue entre ses mains. L’entraînement avec Link, c’était une chose. La perspective d’un vrai combat était tout autre. Une myriade de peurs s’élevait en elle, la persuadant qu’elle ne serait qu’un poids pour le chevalier à ses côtés. Que tout ceci n’était que pure folie. Une folie, dans laquelle elle les entraînait tous les deux.

Link posa une main douce sur son épaule et la serra en signe de soutien. Elle releva la tête, lui adressa un sourire hésitant pour toute réponse.

Le chevalier ouvrit la marche en direction de la caverne, la princesse le suivant comme son ombre. Un silence angoissant régnait dans cette partie du désert, comme si la nature avait refusé d’investir ce lieu corrompu. Seule la caresse du sable qui s’écoulait émettait comme un bruit de fond permanent.

Ils contournèrent le rideau sableux et s’enfoncèrent dans le creux de la falaise. Les statues sheikahs se voilèrent d’un foulard blanc, toujours ornées de cet horrible œil rouge, comme une parodie du masque yiga. Mais elles n’étaient plus alignées le long du chemin. Les statues dévoyées leur faisaient front, gardiens de pierre défiant quiconque d’approcher en un ultime avertissement. Ils atteignirent l’entrée du Repaire et trois lueurs oranges apparurent devant eux.

Zelda agit par réflexe. Elle se focalisa sur son ennemi et tenta d’occulter le vacarme affolé de son cœur dans ses oreilles. Elle tira une flèche sur le sous-fifre de gauche qui partit à la renverse. Collant aux pas de Link, elle fut brusquement enveloppée du bouclier de Daruk sur lequel quatre projectiles ricochèrent.

Elle vit distinctement le yiga blessé se redresser et s’éclipser, alors que Link tailladait l’un de ses confrères. Demeurer derrière le jeune hylien n’était pas une mince affaire tant il se déplaçait avec rapidité et souplesse, mais Zelda tint sa promesse et le suivit du mieux qu’elle put. Celui qu’elle avait blessé se matérialisa juste au-dessus d’eux et Link l’acheva d’un coup d’épée dans le ventre.

Sentant une forme de panique tendre ses membres, la princesse tira une seconde flèche sur le dernier sous-fifre devant elle, mais elle le rata. Lorsque le projectile passa par-dessus son épaule, le yiga lâcha un ricanement diabolique et moqueur.

Zelda honnissait ce rire.

Sa réaction fut épidermique. Un voile rouge sur les yeux, elle réarma son arc et la flèche transperça le yiga au beau milieu de son masque hideux. Une seconde plus tard, il ne restait de lui plus que bananes lame et rubis.

Le silence retomba sur les deux héros figés en position de défense, le souffle court. Link finit par se redresser lentement, signalant ainsi la fin de l’alerte, et se dirigea vers les trésors laissés par leurs ennemis.

Joli tir, lâcha-t-il en observant la jeune hylienne du coin de l’œil.

L’adrénaline déserta la princesse dont les joues se colorèrent de gêne. Elle ne s’imaginait pas qu’un jour, elle abattrait un ennemi dans un accès de colère. C’était si loin de ses prières, de l’essence même du Pouvoir du Sceau ! Elle n’était pas sûre d’aimer ça.

Le chevalier désigna la montagne d’un mouvement du menton, la tension émanant de son corps l’invitant à poursuivre sans attendre. Épaule contre épaule, les deux hyliens s’enfoncèrent prudemment dans les ombres qui abritait le repaire du gang le plus sanglant de l’histoire d’Hyrule.

Link s’empara d’une torche posée contre le mur et l’enflamma à l’aide de ses silex. Il alluma ensuite les nombreux flambeaux pour révéler la petite pièce circulaire où ils se trouvaient. Au centre, une volée de marche donnait sur une estrade de pierre octogonale surélevée. Son plafond démesurément haut se perdait dans l’obscurité. Zelda observa les murs de la pièce d’un air ébahi. Autour d’elle, les Sept Héroïnes Gerudos la surplombaient à plus de quatre mètres de hauteur, leur visage voilé par l’œil yiga. Les Sept…

Link… murmura-t-elle en tirant sur sa manche. Link, elles sont huit…

Leur représentation ne laissait pourtant pas de doute sur leur identité. Les guerrières se dressaient la garde de leurs épées entre leurs mains jointes, lame vers le bas. Dans cette région d’Hyrule, il ne pouvait s’agir que des héroïnes gerudos. Mais qui était donc la huitième ?

Elle est aussi dans les Hauteurs de Matite, l’informa Link.

Deux représentations ?! Mais… Mais qui peut-elle bien être ? demanda Zelda sans quitter du regard les sculptures, cherchant un indice qui lui révélerait l’intruse. Quelle est son histoire ? E tcomment se fait-il que nous n’en ayons jamais entendu parlé ?

Link haussa les épaules. Il gravit les marches situées entre la cinquième et la sixième Héroïne, les seules ne menant pas à un cul-de-sac. La princesse contempla les murs de la salle encore un instant en tournant sur elle-même, avant de le rattraper prestement.

Ils empruntèrent un long escalier sculpté dans la roche et débouchèrent sur un promontoire au-dessus d’une grande pièce vide. À leur droite, ce qui devait être une prison barrée d’une grille en bois était ouverte. Les hyliens, toujours armés et sur le qui-vive, descendirent dans la salle en contrebas. Ils poursuivirent leur avancée d’un pas prudent, illuminant les torches les unes après les autres pour éloigner les ombres.

Link admettait que les yigas semblaient bel et bien avoir abandonné leur repaire. Il avait beau scruter le moindre recoin, rien n’avait changé depuis sa première venue.

Ils traversèrent une salle où reposaient de nombreux blocs de pierre sculptés, avant d’entrer dans la dernière pièce du repaire. Pour Link, si les yigas avaient laissé un indice quelconque derrière eux, ils se trouveraient ici.

Il alluma les dernières torches murales et éteignit celle qu’il transportait. Zelda parcourut la salle des yeux et elle se crispa sous le frisson désagréable qui rampa sous son épiderme.

Quel endroit lugubre…

La pièce où ils se trouvaient était petite et sombre. Dans un recoin, sur une élévation, se tenait une banquette vide derrière des barreaux de bois ouvragés, apportant une certaine intimité. Le reste des murs étaient recouverts de grands étales en bois où reposaient plusieurs papiers, jeux de cartes, dés, cibles de tir et autres affaires. Au centre trônait un autel en pierre, vide.

Link rengaina ses armes et s’avança vers l’une des étagères dans une hâte non dissimulée. Pendant plusieurs minutes, les deux jeunes gens feuilletèrent tout ce qui leur tombait sous la main. Cartes d’Hyrule, cargaison de bananes lames, achat d’armes, feuille de score de parties de dés, règles de jeux de cartes, tout était entassé pêle-mêle, tâché, froissé.

Comment un gang aussi peu organisé peut-il être aussi menaçant ? s’agaça Zelda en écartant une énième pile de papiers inutiles.

Le Grand Kohga était puissant, rétorqua Link.

C’est la magie Sheikah en lui qui était puissante, mais il n’en a jamais été digne. Nous ne trouverons rien ici ! s’exclama-t-elle en perdant patience. Ce n’est qu’une perte de temps. Même le nom de Suppa n’apparaît pas !

Link, assis par terre devant une pile de documents, se releva.

Il est temps de partir, confirma-t-il.

Zelda laissa échapper un soupir découragé avant de lui emboîter le pas vers la sortie, les mains vides. Elle était dépitée, découragée même de n’avoir aucune piste à suivre pour localiser le gang. Si Link décrivait leur ancien chef comme un mégalomane finalement peu intelligent, Suppa lui avait laissé une toute autre impression.

Ils traversaient la grande salle en sens inverse quand le regard de Zelda fut attiré par un éclat doré sur l’un des murs. Elle s’approcha et se saisit d’une étiquette coincée par une corde contre la pierre taillée. Elle tira dessus et l’observa. Rigide, l’œil yiga y était dessiné de couleur or sur un fond violet, suivi de trois yeux alignés vers le bas. Elle la retourna et y trouva un texte rédigé en une langue proche du gerudo, mais en un peu plus stylisée.

Link ! appela-t-elle. Je ne sais pas le lire, mais…

Le chevalier revint sur ses pas et détailla la carte du regard. Sans un mot, il s’approcha du mur et s’en saisit d’une seconde, puis d’une troisième. L’esprit en alerte, Zelda parcourut la pièce à son tour et récupéra toutes les cartes yigas qu’elle apercevait. Peut-être avait-elle trouvé la piste qu’elle cherchait, là, bien en évidence sous leurs yeux.

Il y a des textes différents sur chacune d’elles ! exulta-t-elle. Je pense avoir fini ici. Tu en as vu d’autres ?

Link s’élança vers la sortie, Zelda sur les talons. Le chevalier analysait chaque ombre, chaque recoin, le cœur battant. Son instinct ne cessait de l’alerter d’un danger imminent. Ils étaient dans le repaire depuis près d’une demi-heure. Il craignait qu’un yiga réchappé de l’attaque à l’entrée n’en ait prévenu d’autres. En une demi-heure, ils avaient eu le temps de réunir leurs forces.

Lorsqu’elle vit les lueurs dorées des cartes sur la paroi de l’escalier menant à la prison, la princesse le dépassa pour s’y engager au pas de course. Devant elle, apparut brutalement une lueur orangée avec un rire qui glaça le sang de Link. Son instinct avait vu juste.

Zelda tomba à la renverse.

Bouclier ! hurla le chevalier en se précipitant pour faire obstacle au yiga.

Zelda s’exécuta le plus vite qu’elle put et para l’attaque de la serpe coupe-gorge juste à temps. Link asséna un grand coup circulaire enragé sur leur ennemi et l’envoya valser contre le mur opposé. Au même moment, un rire grave et menaçant retentit dans leur dos, reconnaissable entre tous.

Quelle belle surprise ! s’exclama Suppa. Vous nous cherchiez ?

Link saisit le bras de la princesse et la tira à sa suite. La pièce sombre s’illuminait de toutes parts sous les apparitions malfaisantes, l’hilarité glaçante de Suppa rebondissait sur les parois alentours. En haut de l’escalier, Link jeta un regard en arrière. Il dénombra une dizaine d’ennemis du coin de l’œil. Son cœur s’accéléra.

Un officier se matérialisa devant lui. Link lâcha le bras de Zelda et l’abattit en lui plantant sa lame dans le cœur. Un clignement de paupières et un sous-fifre apparut derrière eux, pointant son arc sur la jeune hylienne. Link se jeta sur elle et la plaqua au sol pour faire écran. Une flèche rebondit sur le métal du bouclier hylien, la seconde lui transperça le flanc. Il réprima un gémissement de douleur pour ne pas inquiéter la princesse. Déjà, il sentait que la prière de Mipha agissait sur la plaie, mais cette nouvelle blessure l’enrageait. Était-il devenu si empoté ?

Il roula sur le côté, enserra les épaules de Zelda qui se relevait à peine et la poussa vers l’avant. Ils prirent la fuite à toutes jambes. Malgré tous ses efforts, Link savait qu’il ne pourrait pas endiguer l’afflux ininterrompu des yigas. Zelda, devant lui, avait eu le réflexe de remettre son bouclier en dorsal pour se protéger des flèches. À son bras, elle serrait compulsivement son arc, même si elle n’était pas encore capable de tirer une flèche en se déplaçant. Quant à l’utilisation du Pouvoir, il soupçonnait la concentration de la princesse trop fragile pour pouvoir se reposer sur lui.

Ils parvinrent à l’entrée du Repaire dans une course effrénée. Le chevalier taillait dans chaque ennemi apparaissant sur leur chemin sans prendre la peine de l’achever. Ils devaient fuir, et vite. Mais devant eux ne s’étendait que le désert qui ne leur offrirait aucun abri.

La princesse prit la direction du sanctuaire. Link ignorait ce qu’elle avait en tête, mais il n’avait pas le temps d’y penser. Zelda était largement capable d’élaborer un plan de sortie. Il lança son boomerang lézal sur un yiga à sa droite, bloqua les flèches d’un deuxième de son bouclier. La sueur maculait ses tempes et lui brûlait les yeux.

Face à la princesse, un officier armé d’un sabre tranche-vent se matérialisa en levant son arme. Link se propulsa en avant de toutes ses forces, attrapa la princesse par la taille et l’écarta de la trajectoire mortelle. Emportés dans leur élan, les deux hyliens tombèrent à la renverse dans la ravine, roulant dans le chemin de sable, descendant sans pouvoir s’arrêter.

Ils dépassèrent le Sanctuaire.

Zelda, plus légère, filait devant le chevalier en un cri paniqué. Link, glissant sur le dos, détacha son bouclier de son baudrier et sauta dessus d’un souple mouvement de bassin. Surfant adroitement sur le sable mou, il accéléra, s’empara du bras de la princesse et la hissa contre lui d’un coup sec.

La jeune hylienne le heurta de plein fouet, menaçant leur équilibre précaire. À peine ressentit-il le soulagement de l’avoir contre lui qu’il comprit avec effroi que leur poids ralentissait la glisse du bouclier : leur fuite allait prendre fin d’un instant à l’autre. Ils n’étaient pas encore assez loin du repaire. Ils ne pouvaient pas s’arrêter si tôt.

Il baissa la tête sur sa protégée et n’eut finalement besoin de rien dire. Agrippée à lui de toutes ses forces, Zelda pianota précipitamment sur la tablette sheikah et les téléporta sur le premier point bleu qu’elle trouva.

 

 

Les deux hyliens se matérialisèrent sous une pluie torrentielle, toujours enlacés l’un contre l’autre sur le bouclier hylien. Mais on ne surfe pas sur la pierre d’un sanctuaire.

Link tomba à la renverse. Le bouclier, emporté par son élan, s’envola loin devant eux. Le chevalier atterrit brutalement sur le dos en serrant sa protégée contre lui et sa tête heurta la pierre avec force. La violence du choc l’étourdit un instant, à la limite de la perte de connaissance.

Lorsqu’il rouvrit les yeux, Zelda le surplombait, bras tendus autour de lui. De son corps, elle tentait de faire écran à l’averse diluvienne qui s’abattait sur eux. Ses yeux verts étaient presque noirs dans la pénombre. Sa longue chevelure trempée drapait son visage inquiet. Sur son front brillait le saphir du diadème comme un troisième œil qui l’envoûtait.

Link ! Link ! Est-ce que ça va ?

Un éclair éclata juste derrière elle, éclairant les gouttes d’eau qui ruisselaient sur sa peau diaphane et lui conférant une aura féerique. La main de Link se leva…

Link ! s’exclama-t-elle, paniquée en lui tapotant la joue.

et s’empara du poignet de la jeune hylienne.

Le chevalier hocha la tête pour rassurer sa protégée avant de se figer dans une grimace douloureuse. Mauvaise idée. L’impact semblait avoir installé une colonie de tambourins dans son crâne lourd. Il porta les mains sur ses tempes en se redressant. La princesse s’installa à ses côtés.

Je ne sais pas où nous sommes, Link, lui avoua-t-elle, bien que plus préoccupée par l’état de santé de son chevalier. J’ignore sur quel sanctuaire j’ai appuyé pour nous téléporter.

Un nouvel éclair atterrit à quelques mètres d’eux, attiré par le métal du bouclier hylien abandonné dans l’herbe. Les alentours s’illuminèrent l’espace de quelques secondes. Ils se trouvaient au sommet d’une falaise abrupte battue par les vents, recouverte d’herbe grasse et ondulante. Sur le côté, trois petites statues à offrande étaient alignées, un korogu voltigeant au-dessus d’elles malgré les bourrasques le secouant. La tempête rendait le reste du paysage impossible à distinguer, hormis peut-être une lueur bleutée, au loin.

Mettons-nous à l’abri, conseilla Zelda en le saisissant par le coude.

Un peu chancelant, il se laissa guider à l’intérieur du sanctuaire. Il s’installa contre le socle d’accès, Zelda demeurant debout sur le seuil.

On doit être au bord du Lac Akkala, à côté du village d’Euzero, dit Link en posant ses coudes sur ses genoux.

Euzero ? répéta la princesse en se saisissant de la tablette sheikah. Je ne connais pas.

Il est nouveau.

Sentant que Link taisait quelque chose, Zelda lui adressa une œillade, un sourcil levé. Visiblement, elle avait dû manquer quelques péripéties dans l’épopée du jeune hylien.

Tu as raison, confirma-t-elle en remettant la tablette à sa ceinture. Nous sommes sur une falaise au bord du Lac. La Tour d’Akkala est juste en face.

Elle se pencha sur le côté et essora du mieux qu’elle put ses longs cheveux blonds dégoulinants d’eau de pluie. Sa tunique furtive trempée lui collait à la peau, moulant ses courbes féminines.

Elle remarqua le regard insistant de Link qui ne cessait de parcourir son corps et elle roula des yeux avec un soupir presque amusé.

Link, je n’ai rien. Rassure-toi.

Elle lui adressa un doux sourire, les pupilles légèrement brillantes.

Grâce à toi. Une nouvelle fois.

Le jeune hylien se racla la gorge, les joues rosées, avant qu’un violent tressaillement ne secoue ses membres et ne lui arrache une grimace douloureuse. Il ferma les yeux et porta ses mains sur ses tempes où des mèches de cheveux gouttaient. Torse nu, le sarouel laissait une flaque d’eau sous lui. Link était glacé jusqu’aux os.

C’est plutôt toi qui m’inquiètes, dit Zelda d’un air concerné en s’agenouillant à ses côtés.

Il ne répondit pas. Il craignait que parler ne provoque un nouveau rugissement dans son crâne.

Laisse-moi voir, demanda-t-elle d’un ton qui ne souffrait pas de réplique.

Elle posa ses mains froides sur sa nuque. Elle le força à pencher la tête en avant en lui arrachant un nouveau gémissement. Zelda retint un hoquet de stupeur. A l’arrière du crâne du jeune hylien, le cuir chevelu était maculé de sang.

Link, annonça-t-elle en s’efforçant de contenir toute note alarmiste, tu as une plaie ouverte.

Le chevalier grogna une réponse et la jeune hylienne retomba sur les fesses, le fusillant du regard.

Tu t’en doutais, c’est ça ? Et tu n’as rien dit ?

Elle n’obtint qu’un simple haussement d’épaules et le sang de la princesse ne fit qu’un tour.

Link, maugréa Zelda en se penchant sur son propre sac humide, quand vas-tu te mettre dans le crâne que tu n’es pas invincible, au nom de la déesse !

Elle fouilla dans ses affaires et en sortit son manteau hylien. D’un geste décidé, elle prit son sabre et le découpa consciencieusement en longues bandes de tissu.

Ze…

Pas un mot.

D’une main ferme, elle le força à repositionner sa tête entre ses genoux et lui intima de ne pas bouger. Elle observa la blessure et, se saisissant d’une gourde, versa de l’eau dessus. Concentrée sur sa tâche, elle entendit Link s’atteler à des exercices de respiration pour mieux gérer la douleur qu’elle attisait. Elle se mordit la lèvre, mais reprit résolument son ouvrage. Lorsqu’elle jugea la plaie propre et net, elle la compressa avec une bande de tissu afin de stopper l’afflux sanguin.

Link émit un long gémissement de douleur. Visiblement, il n’appréciait guère le traitement de sa guérisseuse improvisée.

Il me sauve d’une trentaine d’assassins sans une égratignure, remarqua-t-elle dans une tentative de légèreté, et une simple chute sur la tête me le transforme en martyre.

Un nouveau grognement, mécontent cette fois-ci, lui répondit. Zelda ne put retenir un rire. Tant que Link était capable de protester, il n’allait pas si mal que ça.

Zelda changea de bandes à deux reprises avant que le saignement ne se tarisse. Elle finit par plier la capuche de son manteau, l’appliqua contre la plaie et noua son dernier bandeau autour du front du jeune hylien.

Ça devra faire l’affaire en attendant de meilleurs soins, dit-elle en se relevant pour ranger ses affaires. Je ne peux pas faire plus pour l’instant.

Saksak, le rassura le jeune hylien.

Zelda lui adressa un sourire. Elle se dirigea vers l’entrée du sanctuaire et s’accouda à la pierre noire. Dehors, l’orage semblait avoir redoublé de violence.

Il est loin, ton village d’Euzero ?

Le chevalier acquiesça en haussant légèrement les épaules. Un frisson glacé parcourut la princesse qui serra instinctivement ses bras autour d’elle, et Link tapota la pierre à ses côtés pour attirer son attention.

Mes vêtements sont trempés, dit-elle en secouant la tête, une moue gênée sur le visage. Ça ne va pas t’aider.

L’orage n’est pas près de s’arrêter.

Zelda hésita encore un instant, avant de capituler. Elle avait si froid que l’humidité semblait bien décidée à lui ronger jusqu’à la moelle des os. Grelottante, elle se serra contre lui, épaule contre épaule et les deux jeunes gens s’installèrent dans un silence malaisé.

Venu de nulle part, un soudain éclat lumineux sortit Link de sa torpeur grelottante. Lentement, une courbe brillante, chaude, palpitante, se dessina dans les airs, puis une autre, le trait si fin qu’il semblait aussi fragile et vaporeux qu’un fil de soie dorée. Link adressa une œillade à la princesse à ses côtés. Les iris verts et pétillants étaient rivés sur son ouvrage, sa peau luisant légèrement dans la pénombre. Son cœur s’accéléra en un sourire enchanté.

Dans un instant de pure magie artistique, le Pouvoir dessina dans l’obscurité les contours alambiqués et stylisés d’une forme longue, allongée, pleine d’arabesques totalement inexistantes dans la nature. Charmé, le chevalier fronça les sourcils, cherchant à définir ce que Zelda cherchait à représenter. Soudain, la forme prit vie. Quatre ailes imposantes et délicates, aussi longues que son corps, se déployèrent souplement, et la libellule aux traits trop fins et artistiques pour être vrais pris son envol dans une grâce féerique. Puis elle se dédoubla, une fois, deux fois… Trois fois. Les quatre libellules vibrantes d’une lumière chaude, douce et palpitante, aux contours si fins et si fragiles, illuminèrent l’antre sombre du sanctuaire, leur doux ballet en contraste total avec la colère des éléments extérieurs.

Link s’abandonna dans la contemplation céleste de leur danse d’une beauté si envoûtante.

Pourtant, le spectacle ensorcelant du Pouvoir virevoltant autour d’eux ne suffit pas longtemps à détourner l’attention des deux hyliens de leur environnement et du froid. Dehors, l’orage ne décolérait pas. Les bourrasques de vents rageurs chahutaient les herbes et s’engouffraient parfois dans leur abri de fortune. Les éclairs se succédaient, illuminant les réfugiés du sanctuaire blotti l’un contre l’autre. Ils avaient tout prévus pour survivre au désert, et au lieu de la chaleur écrasante, ils étaient coincés au beau milieu d’une tempête diluvienne.

Seuls, avec pour unique vue la pointe de la falaise, ils avaient la sensation d’être perdus au bout du monde.

Qu’est-ce qu’il a de si spécial, ce village ? demanda soudain Zelda à mi-voix.

Link la regarda sans comprendre, les yeux légèrement brillants.

La façon dont tu en as parlé, expliqua-t-elle. Il a quelque chose de spécial.

La princesse frissonna et resserra ses jambes autour de son buste glacé. Désireuse de conserver la chaleur du Pouvoir dans ses veines, les quatre libellules à la beauté devenue inutile se fondirent les unes dans les autres pour se transformer en une imposante flamme palpitante qu’elle posa sur le sol devant eux. Elle ne conférait aucune vraie chaleur bien sûr, à l’instar d’un véritable feu, mais sa simple existence en créait un peu l’illusion. Link, après un moment d’hésitation, souleva son bras en une proposition tacite que Zelda accepta sans réfléchir. Elle se blottit contre lui. Malgré l’humidité ambiante, l’épiderme de Link était délicieusement brûlant, sa température traversant le tissu fin de sa Tenue furtive.

Ils sont de tous les peuples d’Hyrule, lui répondit-il enfin.

Tous ?

Link acquiesça et Zelda se redressa brutalement, intriguée.

Il y a une gerudo ?

Link confirma, réprimant un frisson à l’endroit où se tenait la princesse l’instant d’avant. Il avait hâte qu’elle y revienne. Celle-ci, l’esprit ailleurs, se saisit de son sac et en sortit frénétiquement les cartes yiga qu’elle avait ramassé dans le repaire.

Elle devrait pouvoir les traduire… Link, tu as confiance en elle ?

Il haussa les épaules d’un air incertain, tentant de réfléchir malgré sa tête lourde et douloureuse. Sans attendre d’autre réponse de sa part, la princesse se réinstalla contre lui. Comme doté d’une vie propre, le Pouvoir reprit son habituelle forme de petit lézard et remonta le long du corps de la jeune hylienne pour s’installer dans le creux de son cou. Pensive, elle contempla les cartes yiga dans sa main, cherchant un indice, un sens qui soit intelligible pour elle. Le côté verso était rigoureusement identique : le symbole yiga doré, puis trois yeux en dessous, le tout sur un fond violet. De l’autre côté, les textes étaient tous différents, mais semblaient assez court. Peut-être se complétaient-ils ? Elle rageait à l’idée de n’avoir pas pu prendre celles accrochées au mur de l’escalier. Elle doutait fortement que son chevalier cautionne une nouvelle excursion.

On peut se téléporter ailleurs, proposa Link.

Il était las d’attendre alors que son crâne raisonnait à chaque grondement de tonnerre.

Tu n’es pas en état de te déplacer, répondit Zelda d’une voix distante. Et pour aller où ?

Il haussa les épaules, son regard vers l’averse qui ne s’arrêtait pas parlant pour lui.

La prière de Mipha est épuisée, poursuivit la princesse. Il faut que tu reçoives des soins. Nous téléporter te demandera trop de forces.

Un silence surpris lui répondit, mais Zelda ne détourna pas son attention des cartes dans ses mains. L’accent légèrement accusateur qui suivit ne dissimulait pourtant rien des véritables sentiments de la princesse :

Je sais comment fonctionne la prière, Link. Si ta plaie ne se guérit pas d’elle-même, c’est qu’elle a déjà agi sur une autre blessure qui aurait dû te coûter la vie. Tu devrais faire plus attention.

Le jeune hylien soupira de dépit et ferma les yeux. Il n’avait plus qu’à prendre son mal en patience. Des frissons glacés le parcouraient malgré la chaleur de Zelda tout contre lui, et sa tête ne supportait plus les bruits continuels des éclairs. Discrètement, il posa une main sur son flanc gauche que la flèche yiga avait transpercé durant leur fuite. Sa peau était intacte.

Le ciel se dégagea enfin en milieu d’après-midi, suffisamment toujours pour que les deux hyliens envisagent enfin de rejoindre le village.

Tu te sens en capacité d’utiliser la paravoile ? s’inquiéta Zelda en voyant Link se redresser en grimaçant, le teint pâle.

Il acquiesça avant de sortir sous le soleil timide qui perçait la couche nuageuse. En face d’eux, la Tour Sheikah se dressait vaillamment au milieu des ruines de ce qui était autrefois l’une des forteresses les plus imposantes d’Hyrule. La plaine qui l’entourait était couverte de carcasses de gardiens au milieu des arbres en fleurs. Le lac, à leurs pieds, luisait sous les doux rayons du soleil. À leur droite, un promontoire s’élevait très haut en plein milieu des eaux, relié à la terre par un étroit couloir rocheux.

Arrivé au bord de la falaise, Link pointa du doigt ledit rocher pour y attirer l’attention de Zelda.

C’est là-bas le village d’Euzero ? demanda-t-elle. Sur cette petite presqu’île ?

Le chevalier hocha doucement la tête. Il craignait qu’un mouvement brusque n’attise ses douleurs crâniennes. Il récupéra son bouclier et s’approcha du bord nord de la falaise, se saisit de la paravoile et se campa sur ses pieds.

La jeune hylienne s’accrocha à lui comme à la Tour Sheikah, et, peu rassurée, hocha la tête avant de fermer les yeux. Elle sentit Link sauter dans le vide dans un élan puissant, suivi d’un léger à-coup lorsque la paravoile se déplia. Elle resserra son étreinte angoissée autour du cou de Link, blottissant sa tête dans le creux de son épaule pour tenter d’étouffer la panique qui la guettait. Son cœur tambourinait dans ses côtes à toute vitesse alors qu’elle était suspendue dans les airs. Elle refusa de regarder la hauteur vertigineuse qui la séparait des eaux agitées.

Elle détestait vraiment voler.

Les deux jeunes gens planèrent dans le ciel à présent légèrement voilé d’Akkala, survolant le grand lac éponyme. Pour Zelda, cela parut une éternité.

Nous arrivons, murmura enfin le jeune hylien à son oreille d’une voix enrouée.

La princesse se décida à ouvrir un œil et tourna la tête en direction du village. Autour d’une petite place centrale, des maisons cubiques de toutes les couleurs l’encerclaient.

Oh ! Ce sont les mêmes qu’à Elimith !

Ils planèrent au-dessus du toit d’une maison, tous les habitants du village interrompirent leur activité pour observer leur arrivée. Pour la discrétion, c’était raté.

Saute ! s’exclama Link au moment où ils survolaient la place principale.

Zelda bondit, trop heureuse à l’idée d’avoir à nouveau un sol tangible sous ses pieds. Elle heurta la terre à pieds joints et poursuivit en une roulade, emportée par son élan.

Link, dit-elle en se redressant, à partir de maintenant, je ne vole que si je n’ai plus aucune autre poss…

Sa voix se coinça dans sa gorge lorsqu’elle leva les yeux. Au milieu de la place, aux côtés de la statue d’Hylia entourée d’une petite fontaine au son délicat, Link était allongé sur le flanc, immobile.

A l’arrière de sa tête, le tissu était gorgé de sang.

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