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Petits écrits de la Main Gauche
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Samedi 18 novembre 2023 :

PUBLICATION DU TOME 1 DE CAUGHT IN THE MIDDLE LE 18 NOVEMBRE 2023
Pour s'y retrouver avant la lecture : Avant-Propos The Legend Of Zelda

- Caught in the Middle (fanfiction du jeu Zelda Breath of the Wild) =>
T2 achevé ; T3 en cours d'écriture.

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18 novembre 2023

Chapitre 8 : Désaccords Raccords

Zelda distingua le pas traînant de Kornuieh dans l’escalier de l’auberge bien avant que son ventre ne passe la porte de la chambre. Une fois en haut des marches, la gerudo s’adossa au chambranle en prenant de grandes inspirations, la sueur dégoulinant sur ses tempes.

Je suis sûre que Klavieh rajoute des marches après chacune de mes venues, souffla-t-elle, les yeux fermés. Ce gredin ne perd rien pour attendre !

La princesse, assise au chevet de Link, contempla la future mère d’un œil mi-amusé mi-compatissant. Elle n’avait peut-être pas encore expérimenté la maternité, mais elle avait vu bon nombre de grossesses menées à terme à la cour. Au vu du profil de la jeune gerudo, Zelda se demanda si le jour de l’accouchement, elle n’aurait pas deux surprises pour le prix d’une.

Vous ne devriez pas vous fatiguer à monter ici tous les jours, Kornuieh, dit-elle en se levant pour rejoindre sa visiteuse.

Je suis enceinte, pas invalide, altesse, grommela la gerudo. Si je ne bouge pas, je vais finir par m’ouvrir le ventre moi-même pour la faire sortir.

Ne dîtes pas des horreurs pareilles, rétorqua la princesse en roulant des yeux. Vous n’en ferez rien. Allez, venez.

Elle saisit le coude de Kornuieh pour l’emmener vers le lit, mais la future mère se dégagea fièrement. À la place, elle se dandina vaille que vaille, une main sur le ventre et l’autre sur les reins.

Si je ne venais pas, grinça-t-elle en se penchant lentement au-dessus du matelas pour s’y installer, vous ne dormiriez même pas quelques heures. Faut bien que quelqu’un s’occupe de vous puisque vous ne le faîtes pas.

Un point pour vous, rit la princesse.

Comment va notre grand malade ?

Zelda se tourna vers son chevalier et son regard s’assombrit.

Toujours rien… La fièvre semble avoir disparue, mais il ne se réveille pas. Kornuieh, je commence vraiment à m’inquiéter. Ça fait quatre jours maintenant. Il a perdu du poids.

Je peux lui en donner un peu si vous voulez, rétorqua la gerudo en s’approchant du jeune hylien endormi. J’en ai à revendre ces derniers temps.

Elle tâta son pouls de nouveau, et souleva la paupière pour observer le fond de l’œil. Zelda, les bras croisés sur sa poitrine, se mordit la lèvre et fit les cent pas dans la pièce.

Si ça ne tenait qu’à moi, reprit Kornuieh, je dirai qu’il dort. Peut-être une résurgence de son long sommeil… Comment a-t-il fait pour se nourrir et s’hydrater pendant cent ans d’ailleurs ?

Je n’en ai aucune idée, avoua la princesse non sans gêne. Je n’étais pas là quand les sheikahs l’ont emmené au Sanctuaire. Quant à Link…

Il est encore moins bavard qu’un cadavre de scarabée desséché, acheva à sa place la gerudo, lui arrachant un sourire.

Fatiguée par le poids de ce ventre définitivement trop lourd, Kornuieh se redressa en grimaçant, se dirigea vers l’une des chaises et s’y laissa tomber sans la moindre délicatesse.

Il n’y a donc qu’à attendre, altesse. Votre chevalier se réveillera quand il sera temps pour lui de se réveiller. Ça devrait vous donner suffisamment de temps pour…

Le bruit d’un heurt sur la porte l’interrompit. La tête moustachue de Deza apparut dans l’encadrement de la porte.

Oh ! Vous n’êtes pas seule, dit-il en glissant un œil dédaigneux à la gerudo enceinte. Votre altesse, puis-je vous entretenir en privé ?

Zelda eut toutes les peines du monde à réfréner un soupir. Elle avait souhaité se montrer accessible aux villageois, mais elle avait vite réalisé son erreur. Elle n’était là que depuis trois jours, et elle était presque sûre d’avoir fait la connaissance de tous les habitants du village, et plutôt deux fois qu’une.

C’est urgent, Deza ? demanda-t-elle en priant la déesse pour qu’il s’en aille.

Sa moue était une réponse à elle seule.

Urgent… l’urgence est relative, mais plus vite nous aurons…

Non.

La voix de Kornuieh claqua comme un fouet dans la pièce. Deza ne put dissimuler un léger recul, et Zelda, un sourire fugace.

Mon patient est au plus mal, pointa la gerudo, et il y a eu bien assez de visites ces derniers jours. Deux quotidiennes seront même amplement suffisantes.

Voyons, Kornuieh, rétorqua Deza d’un ton sérieux, la renaissance du royaume est bien plus essentielle que la survie d’un…

Rien n’est plus essentiel que la santé de Link, intervint la princesse avec fermeté. Sans lui, je ne serais pas ici. Veillez à vous en souvenir, Deza.

L’hylien se figea, sa superbe disparaissant pour laisser brièvement apparaître une colère sourde. Il ne fallut qu’une demi-seconde pour qu’il se recompose un visage.

Je vais vous laisser alors… et ne reviendrais qu’ap…

Le regard noir de Kornuieh le dissuada de poursuivre sur sa lancée.

Je reviendrais quand vous me convoquerez, se reprit-il d’un ton calme mais tendu.

Il claqua des talons comme un soldat de parade.

Votre altesse.

La porte se referma sur lui et Zelda se sentit immédiatement soulagée. Elle n’aurait pas eu la force de supporter une nouvelle conversation alambiquée.

À nous deux ! tonna la voix de Kornuieh dans la pièce.

Zelda, les bras croisés au milieu de la chambre, reporta son attention sur elle et haussa un sourcil intrigué.

Demandez-le moi, asséna la gerudo.

Quoi donc ?

Kornuieh planta ses yeux noirs dans les siens, une expression désabusée peinte sur ses traits sombres.

Ne faîtes pas l’innocente, altesse, pas avec moi. Les gens du village parlent entre eux vous savez. Vous pensiez vraiment que je ne remarquerais rien ?

Zelda s’adossa à la table de toilette mais ne réagit pas. Elle pouvait rétorquer, interroger, mais une petite voix munie de grands yeux bleus lui rappela que le silence était parfois le meilleur des dialogues.

Tout le village a donné son avis sur le rôle que devrait tenir la Famille Royale au sein d’Hyrule, poursuivit Kornuieh d’un ton légèrement vexé. Tous, sauf moi. Alors que je viens vous voir tous les jours ! Vous comptez vraiment exclure les gerudos de vos projets futurs ?

Je n’ai pas parlé à Shantieh, répondit Zelda d’une voix calme.

Bah, lâcha Kornuieh en haussant les épaules, Shantieh et Mohrtieh vous sont déjà totalement dévoués, tout comme la majorité du peuple goron. Mais vous et moi savons que les gerudos sont taillés dans une autre pierre que celle de la Montagne de la Mort.Vous ne vous demandez pas ce que mes sœurs peuvent attendre de vous, altesse ?

Les pupilles de la princesse demeurèrent rivés sur la future mère, les traits inexpressifs.

Parce-que les gerudos attendent quelque chose de la Famille Royale d’Hyrule, Kornuieh ? demanda-t-elle d’un ton innocent.

Les gerudos n’attendent jamais rien de personne, rétorqua fièrement la guerrière. Makeela Riju a les épaules d’une grande souveraine. Mais peut-être que vous pourriez nous aider à soigner une vieille blessure.

Elle marqua une hésitation en caressant son ventre d’un geste inconscient.

Les gerudos veulent laver leur honneur, altesse. Une bonne fois pour toutes. Nous sommes un peuple aussi honorable que les autres malgré notre histoire et nos mœurs. Le soutien de la Famille Royale serait probablement l’un des meilleurs gages de rédemption que nous pourrions obtenir.

Zelda continua d’observer pensivement le visage de son interlocutrice, sans oser se prononcer. Parmi les peuples d’Hyrule, les gerudos étaient davantage craintes que respectées. Bien sûr, leur caractère belliqueux et leurs mœurs intrinsèquement féminines, guerrières mais avant tout secrètes, pouvaient en être la cause. Mais ce n’était pas la seule raison.

Les lois gerudos imposaient clairement que le premier mâle né de leur ethnie serait obligatoirement nommé roi, alors même que la légende faisait d’elles les génitrices de Ganon lui-même. Identifiées depuis des temps immémoriaux à la descendance du Fléau, elles pouvaient bien se défendre de toute naissance mâle depuis des siècles, cela ne suffisait pas à apaiser les craintes et les réticences des autres peuples. De plus, leur culte envers sept héroïnes dont personne ne connaissait l’histoire avait tendance à les desservir.

Durant le règne de Rhoam, peu de gens se permettait d’émettre des doutes au sujet des gerudos, du moins en présence du roi. La grande amitié qui liait la mère de Zelda et la chef Urbosa était de notoriété publique et gage d’alliance au sein d’Hyrule. Beaucoup pensaient que la grande gerudo avait accepté de piloter Vah’Rudania en souvenir de cette relation, par respect envers la fille de son amie. En vérité, Urbosa, comme la grande majorité des gerudos, honnissait le nom de Ganon. Elle avait espéré laver l’honneur de son peuple en devenant elle-même prodige. Aucun autre peuple n’avait donné son suzerain à la grande cause d’Hyrule, après tout.

Zelda se doutait que les réserves émises contre les gerudos avaient dû resurgir au cours de ces cent ans sous le règne de Ganon. Bien qu’apaisés, des antagonismes millénaires ne disparaissaient pas en à peine un siècle. Mais avait-elle vraiment, elle, Zelda, le pouvoir de redorer définitivement le blason du peuple du désert ? Elle en doutait.

Riju partage votre opinion, Kornuieh ? demanda-t-elle en laissant son regard s’égarer par la fenêtre.

Je n’ai jamais parlé avec elle, altesse. J’ignore ce qu’elle pense de votre… retour, je ne suis pas retournée à la cité depuis. Mais je sais que si vous nous excluez de vos projets, vous nous refusez le pardon aux yeux de tout Hyrule.

La princesse se rapprocha de la fenêtre d’un pas pesant. Son visage était grave, concentré.

Je suis une princesse sans trône et sans terre, Kornuieh. Je ne peux offrir ce que vous demandez, et Riju le sait autant que moi. Pourquoi voudrait-elle négocier avec moi ? Vous l’avez dit, les gerudos n’ont besoin de personne.

Vous êtes la Princesse Royale, altesse. Nous sommes un peuple de guerrières et vous avez combattu le Fléau pendant cent ans. Selon nos traditions, vous méritez tellement d’égard que Makeela Riju en personne ne pourrait vous refuser une audience.

Je n’ai pas combattu Ganon par les armes, précisa la princesse. Je n’ai rien d’une guerrière, votre code ne peut pas s’appliquer à quelqu’un comme moi.

Vous êtes une guerrière, affirma fermement Kornuieh. D’un autre type, certes, mais vous méritez d’être honorée.

Zelda secoua la tête en une sorte d’amusement désabusé. Princesse, Prêtresse, Reine, Guerrière… Combien de titres encore les gens s’acharneront-ils à lui octroyer à tort et à travers ?

Nous verrons, écarta-t-elle d’un geste de la main. Ce n’est pas le plus important.

Non, le plus important, c’est que la Princesse Royale nous traite avec les mêmes égards que les autres, reprit la future mère. Vous ne pouvez pas nous ignorer. Je croyais que vous étiez une amie proche de la Grande Urbosa, comment pouvez-vous envisager d’accéder au trône sans prendre en compte le peuple gerudo ?

Je n’ai jamais dit que telle était mon intention, rétorqua Zelda en se tournant vers elle, ses pupilles brillants légèrement dans la pénombre de la pièce.

Mais…

Kornuieh s’interrompit, la bouche légèrement ouverte. Une lueur de compréhension traversa ses yeux noirs.

Vous avez fait exprès de ne rien demander, accusa la future mère. Vous saviez que si vous le faisiez, je vous répondrai que les gerudos n’attendaient rien de vous. Alors que si c’était moi qui…

Elle scruta intensément la princesse, et elle sut que désormais, elle éprouverait beaucoup moins de difficulté à l’appeler « altesse ». Et cela n’avait plus rien à voir avec l’étrange aura lumineuse qui la nimbait parfois.

Vous êtes redoutable, finit-elle par lâcher dans un éclat de rire. Redoutable !

Je prends ça pour un compliment, Kornuieh, lui sourit la princesse. Cela étant, j’aurais un autre service à vous demander, si vous le voulez bien.

Zelda traversa la pièce d’un pas léger. Elle s’empara de son sac de voyage et en sortit plusieurs feuillets griffonnés à la hâte.

 

 

Il retira sa brochette de champignons grillés du feu et tâta la chair pour en estimer leur cuisson. Satisfait, il portait son repas à sa bouche quand un puissant coup de tonnerre résonna dans le lointain.

Et c’est reparti… grogna un soldat assis à un feu de camp voisin du sien dans son dos.

Il va peut-être même pas pleuvoir, rétorqua son camarade, ce doit être Rordrac qui remonte au lac Faroria, ça va passer.

Parce-que tu crois à ces balivernes sur les dragons toi ? s'exclama un autre compère. Moi, tant que je n’en aurais pas vu…

De grosses gouttes de pluie tombèrent brutalement sur le campement comme pour confirmer les dires du soldat, et un éclair éclata au-dessus de leurs têtes.

Reprenant la contemplation de son feu de camp rendu moribond, il soupira. La veille, ils avaient essuyé pas moins de quatre orages. Bien que celui-ci soit le premier de la matinée, il n’était pas encore sept heures. Il détestait le climat tropical de cette région. Les températures avoisinaient les quarante degrés, le fond de l’air était lourd et humide. Sa tunique était collée à sa peau de sueur et ses mains étaient moites. Pour couronner le tout, les orages, tous d’une extrême violence, ne cessaient de se succéder.

Il ne se préoccupa pas de se protéger de la pluie battante tandis qu’il dévorait sa brochette. Après une journée de voyage depuis le relais des Alpages, ils avaient installé leur campement au beau milieu de la forêt de Damsel, au sein d’une clairière encerclée par de hauts rochers escarpés. Les palmiers, larges et massifs, y étaient abondants ainsi que les arbres à durians. Il y avait cueilli nombre des précieux fruits régénérant. Ils avaient dressé deux tentes : l’une, rudimentaire, pour les quatre soldats qui les accompagnaient, l’autre, vaste et ornée du Sceau Royal, à destination de la princesse. Quant à lui, il avait somnolé d’un œil vigilant auprès du feu de camp qui protégeait le logis royal d’éventuels prédateurs.

Autour d’eux, les ruines de gigantesques statues de dragons agressifs gisaient au sol. Bien qu’il en resta des traces dans presque toutes les régions d’Hyrule, c’était au sein de la forêt de Firone que se concentraient le plus de traces de la civilisation Sonau… Ou zonai. Quand les zoras l’avaient surnommé ainsi, lui évoquant seulement une civilisation barbare disparue, jamais il n’aurait imaginé l’ampleur de la réalisation architecturale de ce peuple éteint. Aujourd’hui encore, des millénaires plus tard, des statues hautes de plus de quatre mètres se dressaient au sein de la forêt vierge, hiboux, dragons et sangliers aux traits austères.

La princesse avait affiché une fascination toute scientifique pour cette tribu oubliée. Visiblement, les sonaux avaient établi un véritable culte à la Source du Courage. L’ensemble de ces ruines qu’ils traversaient semblaient être les vestiges d’une grande cité où les sculptures de dragons étaient omniprésentes.

Il jeta le bâton de sa brochette dans les flammes mourantes et leva la tête vers le ciel. Déjà, les tristes nuages gris laissaient la place à un soleil resplendissant. Il ne savait pas ce qu’il préférait : les chaudes gouttes qui détrempaient sa peau, ou le soleil brûlant créant un nuage de vapeur suffocante autour d’eux ?

La pluie s’était totalement interrompue lorsque les pans de la toile royale s’écartèrent. La princesse Zelda s’avança au milieu du campement. Les soldats, occupés à rire auprès de leur propre marmite, se turent et hochèrent la tête en une révérence. Il sentit ses propres muscles se tendre, comme d’habitude, mais demeura parfaitement immobile.

Ils se côtoyaient depuis quelques mois maintenant, et il parvenait à lire sur son visage qu’elle n’avait que peu dormi. Elle avait quitté son habituelle tenue de Chef des Prodiges pour une longue robe de tulle blanc cintrée d’une ceinture bleue et or. Sur ses épaules, elle avait jeté une capuche hylienne grise pour se protéger des intempéries, ses longs cheveux blonds et lâches drapant ses épaules.

Elle le dépassa sans un regard.

Bonjour messieurs, dit-elle aux soldats dans un sourire éclatant. Je me rends à la Source du Courage pour la journée. Je serais de retour à la tombée de la nuit. Vous avez quartier libre.

L’un d’eux, le plus haut gradé, glissa un regard gêné vers lui, mais il demeura stoïque.

Vous êtes sûre que vous ne voulez pas d’escorte, votre altesse ? demanda l’officier.

Ce ne sera pas la peine.

Vous mangerez bien quelque chose avant de partir ?

La princesse osa un regard sur la viande mijotant dans la marmite dans une expression un peu figée.

Je vous remercie, mais je dois être à jeun pour méditer.

Elle rebroussa chemin d’un pas mesuré jusqu’à l’enclos des chevaux. Elle stoppa net. Lentement, elle porta la main à la bride de son étalon perlino.

Qu’est-ce que…

Elle observa la jument alezane à côté, également harnachée. Les autres chevaux paissaient tranquillement, une simple corde sur le chanfrein. Il vit son dos se tendre et il imagina sans mal l’éclat meurtrier dans ses yeux verts. Dans la seconde qui suivit, la voix de la princesse cingla l’air comme une lame tranche-vent.

J’ai dit que j’y allais seule.

Il ne prit ni la peine de répondre ni de se lever. Il sentait le regard en coin des soldats, distinguait leurs têtes rentrées entre leurs épaules. Tous savaient à qui s’adressait cette remarque. Comme lui, ils savaient qu’un autre type d’orage s’annonçait.

Depuis leur retour du Domaine Zora, il n’hésitait plus à s’opposer ostensiblement aux décisions de la princesse qu’il jugeait inconséquentes. Il était responsable de sa sécurité, après tout : sur ce sujet, elle pouvait tempêter tout son soûl, il demeurait inflexible. Ce n’était pas la première fois qu’une dispute éclatait entre eux à ce sujet, bien au contraire.

Devant son silence, la princesse n’eut d’autre choix que de se retourner. Elle le foudroya du regard.

J’irai seule, Link, c’est un ordre !

Un silence malsain flotta dans l’air humide. Même les oiseaux autour d’eux semblaient avoir choisi de diminuer leurs chants, intimidés.

Suis-moi, ordonna-t-elle abruptement.

D’une démarche raide de colère contenue, elle contourna l’enclos et disparut derrière une gigantesque tête de dragon sculptée. Il se leva docilement de son feu de camp solitaire pour rejoindre sa protégée furibarde. Il savait pertinemment que malgré ces précautions, les soldats entendraient tout ce qui allait suivre.

Il dépassa l’imposante mâchoire de pierre pour faire face au dos de la princesse. Ses deux poings serrés le long de ses hanches exprimaient à eux seuls son état d’esprit.

Je t’ai déjà dit de ne pas me contredire devant des soldats, gronda-t-elle.

Sa voix était comme à l’accoutumée, tout du moins lorsqu’elle s’adressait à lui : froide et dépourvue de toute émotion. Il ne broncha pas.

Je me moque que tu sois en charge de ma protection. Je me rends à la Source du Courage pour méditer et tenter d’éveiller mon pouvoir. Je n’ai certainement pas besoin de sentir une paire d’yeux me détailler pendant que je prie la déesse. J’ai respecté le désir de mon père, je t’ai emmené comme escorte. Maintenant je vais faire le reste du chemin. Seule.

Il passa ses mains derrière son dos, campant ses deux pieds au sol dans une attitude ferme et décidée. Il sentait des gouttes de sueur dévaler ses tempes.

Mais tu vas me répondre à la fin ! s’exclama-t-elle en se retournant. Je dois y aller seule !

Son regard le foudroya, lui et sa posture sans équivoque.

Par les trois déesses d’or, tu es impossible ! dit-elle en se crispant de rage. Je suppose que même si je te l’interdis, tu me suivras quand même, hein ?

Sans attendre la réponse qu’elle connaissait, elle le dépassa en le heurtant légèrement à l’épaule. La colère irradiait de tous les pores de sa peau. Elle s’arrêta juste avant de réapparaître dans le campement et tourna la tête de profil, les traits durs et impassibles.

Tu restes sur la place centrale. Tu ne t’approches pas de la gueule du dragon qui abrite la Source, ou je ferai immédiatement demi-tour.

Il savait qu’il était inconcevable de mettre en échec ce voyage. L’éveil du sacro-saint Pouvoir du Sceau était une priorité. Mais la princesse était parfaitement capable de mettre sa menace à exécution et d’en supporter les conséquences la tête haute.

Il acquiesça docilement.

Inutile de te recommander le silence, je suppose, ironisa-t-elle en une touche de mesquinerie.

Elle rejoignit les chevaux, tentant de canaliser son humeur. Sans broncher, il ceignit son bouclier dans son dos et lui emboîta le pas.

Ils quittèrent le campement dans un silence morose et s’engagèrent dans la gorge étroite qui s’enfonçait dans la forêt de Damsel. Les soldats semblaient presque soulagés de les voir partir. Tout comme la princesse, il savait que cette histoire ferait le tour de la Citadelle dès leur retour. Une nouvelle anecdote qui ferait les choux gras de la cour et ternirait un peu plus leur image auprès de la noblesse. Il avait aussi conscience que les conséquences de ces rumeurs minaient sa protégée. Mais le roi l’avait chargé de sa sécurité. Elle ignorait que pas moins de trois complots yigas à son encontre avaient été avortés ces derniers mois. Lui-même avait sommé son entourage de ne rien en dire, tant pis s’il devait continuer à subir ses remontrances.

Son regard s’égara sur le dos raide de la jeune hylienne qui trottait devant lui. Elle pouvait bien se montrer des plus odieuses envers lui, des plus rigides, il connaissait le poids gigantesque qui pesait sur ses épaules et le mal-être qui la rongeait. Il ne serait pas celui qui la ferait sourire, comme il l’avait rêvé. Mais assurer sa protection signifiait aussi tout faire pour l’aider à porter son fardeau. Taire les attentats perpétrés à son encontre était pour lui une façon de la protéger du péril de sa situation. Il ne voulait pas voir la peur s’installer dans ces grands yeux verts qui charriaient déjà tant d’émotions négatives.

Pendant plus d’une heure, ils longèrent un ruisseau qui bruissait doucement sans échanger un mot. Parfois, ils durent mettre pied à terre pour aider les chevaux à passer des statues de dragons affaissées, avant que le ravin ne s’épanouisse enfin sur une gigantesque arène de pierre. En son centre, le cours d’eau se divisait pour encercler un îlot central où la nature se mêlait aux constructions austères. Devant eux, une monumentale tête de dragon était sculptée gueule grande ouverte, sa langue en forme de marches menant à une grande statue d’Hylia nimbée de clarté.

La Source du Courage.

La princesse démonta lentement, le regard rivé devant elle. Il percevait l’intense tension dans ses épaules et savait qu’il n’en était plus la cause. Après un soupir, elle ôta son manteau et le posa sur sa selle.

J’ai ta parole ? lança-t-elle sans lever les yeux.

Il acquiesça, le regard sombre. La princesse prit une profonde inspiration avant de s’engager entre les dents de la monstrueuse sculpture. Il l’observa jusqu’à ce que sa silhouette blanche soit à moitié immergée dans l’eau de la Source, puis, tenant sa promesse, il s’éloigna. Il escalada la pierre taillée d’un pilier où il s’accroupit, se préparant à une longue journée d’attente immobile dans la moiteur suffocante de la forêt vierge.

 

 

Allongée sur le lit, Zelda contemplait le plafond avec lassitude. Son regard suivait les courbes délicates qu’y dessinaient les flammes dansantes des bougies ainsi que celle de la danse erratique du papillon de Pouvoir sous ses yeux – celui-ci n’était-il pas un peu plus petit que la veille au soir d’ailleurs ? Ou plus pâle ? Elle écarta cette pensée parasite.

Il faisait nuit noire dehors, mais l’eut-elle désiré qu’elle ne serait pas parvenue à dormir. La journée avait pourtant été des plus épuisantes. Les visites s’étaient succédées jusqu’à l’intervention de Kornuieh, que la déesse la bénisse.

Zelda avait été soulagée de l’accalmie qui avait suivi, mais endurer toutes ces rencontres n’avait pas été un effort vain. Elle disposait à présent d’une vision bien plus éclairée du déroulé de ses cent dernières années, mais aussi de ce que son peuple attendait d’elle.

Pour les hyliens, la catastrophe du Grand Fléau avait purement et simplement réduit leur population de moitié. Elle avait emporté leur jeunesse et les avait obligés à abandonner leur terre ancestrale, la Plaine d’Hyrule. Tout ce qui représentait le faste et la puissance de leur nation n’était aujourd’hui plus que ruines et désolation. Zelda commençait tout juste à percevoir la plaie purulente que cela laissait dans la mémoire de son peuple.

Sa réapparition dans le paysage géopolitique d’Hyrule avait réveillé tous les espoirs et les rêves de bon nombre d’hyliens. Aujourd’hui, ils semblaient désirer plus que tout autre chose le retour de la Famille Royale à leur tête afin de renouer avec leur histoire. Mais le plus surprenant pour la princesse, c’était la foi aveugle que son peuple semblait avoir en elle. Quelle image en avaient-ils ? Quelle histoire ce siècle avait-il légué, quel était donc son héritage ?

Zelda relâcha un profond soupir. Face aux attentes des hyliens, elle avait la désagréable sensation d’être la plus grande imposture d’Hyrule. Elle, la fille indigne, l’irresponsable, la princesse incapable, était à présent en charge de leur destinée. Sur les cendres de son père et de son passé, elle devait reconstruire l’avenir et le rendre suffisamment fort pour les prochains siècles.

Quelle ironie.

Elle avait grandi avec l’idée tenace de ne pas être la fille que Rhoam avait espéré. Elle pouvait se débattre autant qu’elle le voulait, jamais elle n’était parvenue à le satisfaire. Elle avait conscience que son père avait dû faire face au plus grand défi d’un monarque avec l’imminence du Fléau. L’échec de sa propre fille avait rejailli sur son règne de la manière la plus néfaste qu’il soit. Mais en avoir conscience en tant qu’adulte ne permettait pas de tarir les pleurs de la petite fille en elle.

Elle n’avait que peu de souvenirs de celui que son père était avant que la reine ne décède. Les rares dont elle disposait le montrait souriant et doux. Quelques bribes d’images la traversaient où elle se voyait sur ses genoux, ses énormes mains posées sur sa petite taille d’enfant. Elle vibrait alors de ce sentiment ô combien grisant d’être aimée et protégée par celui qui était pour elle le plus fort des hyliens. Elle ignorait si elle avait vraiment vécu un moment aussi intime avec son père, mais elle aimait à le croire. Ce souvenir, ou ce rêve peu lui importait, elle le chérissait de toute son âme. À une époque, certes lointaine, son père l’avait aimée pour ce qu’elle était, sa fille. Il avait vu autre chose en elle que l’arme ultime du Royaume contre Ganon.

Elle resserra sa poigne sur la bague royale, le métal froid se réchauffant au contact de sa paume.

Sa mère s’en était allée en emportant avec elle tout l’amour que Rhoam pouvait lui donner. Sa mort avait fait d’elle une orpheline. Plus jamais Rhoam n’avait sollicité la présence de sa fille à ses côtés hors des cérémonies protocolaires. Leurs rares moments en tête-à-tête n’avaient pas été des plus plaisants. Généralement, ils avaient pour seul objet l’éveil de son pouvoir et étaient ponctuées des remontrances les plus sévères à son égard.

Elle aurait tant voulu revoir Rhoam une fois sa destinée accomplie. L’enfant qu’elle était rêvait de le voir la féliciter et lui dire combien il était fier d’être son père. Mais comme tout ceux qu’elle avait connu, le roi était mort. Par sa faute. Parce qu’elle n’avait pas su éveiller le Pouvoir du Sceau suffisamment tôt pour le sauver, pour lui montrer, et pour peut-être le voir lui sourire.

Elle savait pertinemment que si le roi était encore en vie, il n’aurait pas hésité une seule seconde à reconstruire le Royaume d’Hyrule. Zelda, elle, refusait de réinstaurer la monarchie par simple droit de sang, peu lui importait les légendes et les désirs de son père défunt. Sa lignée devait survivre pour le bien d’Hyrule, elle l’entendait. Mais imposer un pouvoir central sans prendre en considération les changements qui avait eu lieu, en était une autre. Elle refusait de prendre le risque de plonger Hyrule dans une nouvelle guerre, civile cette fois-ci.

Plusieurs éléments entraient en ligne de compte : le fossé qui s’était creusé entre chaque peuple, leurs nouvelles dissensions, les cicatrices laissées par le Grand Fléau, la cerise sur le gâteau étant les kyohis. L’idée qu’elle n’avait pour l’instant pas eu à faire à eux la minait. Deza ne comptait pas en tant que tel à ses yeux. Existaient-ils vraiment ou n’était-ce qu’une manipulation des yigas pour qu’elle se montre ? Étaient-ils vraiment si nombreux, si convaincus ? Quelle force représentaient-ils vraiment ? Sa présence dans le paysage géopolitique suffirait-elle vraiment à les faire taire ? Zelda craignait de devoir ressusciter tout le protocole royal pour espérer y parvenir.

Tout cela sans attirer l’attention des yigas.

Ô Impa, comme tu peux me manquer ! Toi, tu aurais su ce qu’il fallait faire…

Le cœur serré, la princesse lâcha un profond soupir, abandonnant sa contemplation pour s’installer en chien de fusil, et le Pouvoir reprit sa place habituelle dans le creux de son cou. Son regard caressa le profil toujours endormi de son chevalier. Si seulement elle pouvait partager ces tourments avec lui. Link ne s’aventurait jamais à lui apporter son conseil en matière politique, mais lui en parler agissait sur elle comme sur un miroir : le reflet de ses propres réflexions l’aidait à prendre une décision.

Le bruit d’un grincement la fit tressaillir. Le cœur battant, les sens en alerte, elle se redressa vivement et le Pouvoir lui échappa malgré elle. Ce son, elle commençait à le connaître par cœur : c’était celle de la troisième marche de l’escalier menant à l’étage de l’auberge.

Quelqu’un se trouvait derrière la porte, sur le palier. Zelda le sentait dans toutes les fibres de son corps, comme un sixième sens l’alertant d’un danger imminent.

Les poils de ses avant-bras se hérissèrent. Elle empoigna le coutelas à sa ceinture d’une main tremblante et se leva sans un bruit, le cœur lui battant les côtes. Dans le même temps, le lézard dévala son bras jusqu’à sa paume où il se transforma en un globe de Pouvoir incandescent, vibrant, prêt à se jeter sur la menace imminente.

Quelqu’un s’était faufilé au sein de l’auberge, était même parvenu à déjouer l’œil vigilant du brave Klavieh à son comptoir. Quelqu’un de furtif, donc.

Elle se mordit la lèvre avec angoisse, se morigénant. Elle avait laissé le paravent dressé afin de protéger Link des regards indiscrets de ses visiteurs. Mais à aucun moment elle n’avait pensé que c’était évidemment réciproque : elle n’avait plus aucune visibilité sur la porte, qui pouvait d’ores et déjà être ouverte. Klavieh entretenait parfaitement son auberge : les gonds ne grinceraient pas pour lui signaler l’intrusion. Pour cela, il n’y avait que cette précieuse troisième marche.

Par les trois déesses d’or, elle n’avait vraiment pas l’étoffe d’une guerrière. Elle était le seul rempart de Link contre leur agresseur, comme il avait été le sien des centaines de fois. Elle savait qu’elle ne serait pas à la hauteur. Ses quelques semaines d’entraînement ne la préparaient certainement pas à une embuscade dans un espace réduit, armée d’un simple coutelas. Sans compter qu’elle ne s’était plus entraînée depuis son arrivée à Euzero, et ses jeunes réflexes en étaient déjà amoindris. Quant au Pouvoir…

Elle s’approcha du paravent à pas feutrés. Un filet de sueur glissa le long de sa colonne vertébrale. Sa seule chance, maigre qui plus est, était l’effet de surprise. Si ce n’était pas l’intrus qui la surprendrait en premier. Une ombre se dessina sur le sol à la lueur des bougies, allongée et trapue. Zelda retint sa respiration, le globe de lumière brillant dans une main, l’autre paume, moite, se serrant convulsivement sur le pommeau de son arme.

Un casque jaune apparut dans le champ de vision de la princesse, une tête toute ronde observant les alentours à hauteur de genoux.

Mohrtieh ?

Le petit goron sursauta et poussa un cri effrayé, s’écartant spontanément des jambes qui se dressaient devant lui. Soulagée, Zelda s’empressa de laisser le Pouvoir lui échapper pour ne pas faire paniquer davantage son petit visiteur, et rengaina son coutelas à sa ceinture. Il faudrait tout de même qu’elle réfléchisse à une meilleure sécurité lorsqu’elle était seule avec le chevalier, pour éviter toute mauvaise surprise.

Comment elle connaît mon nom, vot’altesse ? s’exclama le jeune intrus en fixant sur elle ses deux billes noires qui lui servaient d’yeux.

J’ai entendu l’autre goron t’appeler sur la place pendant la journée, répondit-elle en lui souriant. Qu’est-ce que tu fais ici à une heure pareille ?

Heu… Shantieh, c’est mon frère, et heu… C’est que…

Le petit goron se saisit de son casque jaune et se mit à le triturer entre ses deux mains, gêné. Zelda s’accroupit devant lui, un peu mutine.

Est-ce qu’il sait que tu es là ?

Mohrtieh baissa la tête vers le sol en la secouant à la négative.

C’est que je voulais venir voir la princesse et le prodige, vot’altesse, mais Shantieh m’a dit que vous avez plus le droit d’être vu, alors je…

Alors tu t’es faufilé au milieu de la nuit en espérant nous voir pendant qu’on dormait.

Cette fois-ci, le petit goron hocha vivement la tête d’acquiescement.

Tu sais, reprit Zelda, tu n’étais pas obligé de faire ça. Link est juste très malade alors on ne peut pas avoir trop de visiteurs, mais tu aurais pu venir nous voir demain.

C’est vrai, vot’altesse ? Vrai de vrai ?

Vrai de vrai.

Dîtes, j’peux vous demander que’que chose ?

La princesse s’en retourna s’asseoir sur son lit. Elle tapota la place à ses côtés pour y inviter le goron.

Bien sûr.

C’est vrai que vous êtes la princesse, vot’ altesse ? demanda-t-il en grimpant à ses côtés. La même qu’au moment du Fléau ? Et Link, c’est le vrai prodige ?

Appelle-moi Zelda, l’invita-t-elle en acquiesçant d’un sourire attendri.

Mohrtieh baissa à nouveau la tête, l’air un peu penaud. Il remit son casque pour mieux dissimuler son visage.

J’ai pas droit, Shantieh il dit que j’dois dire vot’ altesse après chaque phrase, vot’ altesse.

La princesse éclata d’un léger rire cristallin.

Pour les enfants, ce n’est pas obligé, Mohrtieh.

Vrai de vrai, vot’ altesse ?

Vrai de vrai.

Mohrtieh lui adressa un grand sourire, dévoilant ses petites dents rondes qui permettait de broyer les plus dures caillasses. Son regard se posa sur le corps du chevalier allongé devant lui et il reprit une mine sérieuse.

Il dort ?

En quelque sorte, oui. C’est la fièvre qui le fait dormir.

Et il va se réveiller ?

Zelda ne put retenir un pincement au cœur en entendant la question innocente. L’autre éventualité, elle ne voulait même pas y songer un seul instant.

Quand il sera assez remis, acquiesça-t-elle en contrôlant l’émotion dans sa voix.

Et ça fait quoi de dormir cent ans ?

Je ne sais pas, Mohrtieh, dit-elle en haussant les épaules. C’est Link qui a dormi, pas moi.

Et vous, vous faisiez quoi ?

Elle inspira profondément et s’offrit un répit avant de répondre à la question un peu abrupte. Par Hylia, elle avait oublié combien un enfant, particulièrement les gorons, pouvait être curieux à en frôler l’indélicatesse.

Je combattais le Fléau, dit-elle évasivement, à défaut d’une réponse plus appropriée.

Pendant CENT ANS ?

Elle hocha doucement la tête, l’expression ébahie de son interlocuteur lui faisant recouvrir son sourire.

Wooaah… lâcha-t-il d’un air ébahi. Et vous n’avez pas vieilli ?

Apparemment, non.

Pourtant, vous ressemblez pas aux légendes, poursuivit le petit goron d’un air concentré en détaillant son visage.

Qu’est-ce que tu veux dire ?

Ben vous faîtes pas aussi… princesse. En fait, vous parlez pas et vous vous habillez pas comme les princesses. Et Link, il est tout petit et tout fin pour un chevalier. Et il a pas d’armure.

Zelda secoua la tête, amusée. Link et son armure, c’était tout une histoire. Peu de temps avant l’éveil du Fléau, il lui avait confié combien il avait été soulagé de recevoir la Tunique du Prodige. L’armure des soldats était lourde, étouffante, ralentissait ses mouvements. Quand il n’avait pas eu d’autre choix que de la remettre pour une cérémonie militaire, Zelda avait eu le plus grand mal à ne pas s’esclaffer devant sa moue abattue.

Détrompes-toi, répondit-elle d’une voix un peu absente, il n’y a pas meilleur épéiste que Link dans tout Hyrule. Je l’ai déjà vu combattre une dizaine de bokoblins, deux lynels d’argent et en sortir vainqueur.

DEUX LYNELS D’ARGENT ?

Mmmhm, acquiesça la princesse avec une forme de fierté, ses pupilles glissant pensivement sur le corps de son chevalier.

Woohaa… et vous pensez qu’il entend ce qu’on dit ?

Peut-être. C’est possible.

Alors si je lui dis qu’il est le chevalier le plus fort de l’univers, il m’entendra ?

La princesse s’amusa de l’émerveillement si spontané du petit goron.

Tu lui demanderas quand il se réveillera.

Ça vous arrive de lui parler, vous ?

Zelda se retint de lever les yeux au ciel. Par les déesses d’or, les enfants étaient-ils tous aussi intarissables que celui-ci ?

Ça m’arrive, oui, répondit-elle avant d’ajouter après un instant d’hésitation : très souvent, en fait.

C’est bizarre de discuter avec quelqu’un qui dort… C’est comme ceux qui parlent à la statue de la déesse, moi j’y arrive pas. Quand je la regarde, elle me donne juste faim, mais Shantieh dit que je ne dois pas manger ce caillou-là.

La princesse se retint difficilement d’éclater de rire. Loin d’être outrée, elle ne pouvait s’empêcher d’imaginer le petit goron en train de se régaler d’une des représentations ancestrales d’Hylia.

Qu’est-ce que tu voudrais lui dire ? demanda-t-elle pour dissimuler son hilarité. À la déesse ?

Mohrtieh haussa des épaules.

J’sais pas. Qu’est-ce qu’on peut dire à une déesse ? Toi, tu lui dis quoi ?

Je lui parle comme à toi. Je lui dis mes peines, mes espoirs… Je lui pose des questions, beaucoup.

Quel genre de questions ?

Toutes sortes… Généralement, celles auxquelles je ne parviens pas à trouver la réponse par moi-même.

Comme quoi ?

Zelda hésita. En vérité, cela faisait bien longtemps qu’elle ne s’était pas adressée à Hylia. Depuis qu’Impa lui avait révélé le secret des légendes sheikahs, elle ne parvenait plus à s’adresser à la déesse comme avant. Une petite voix dans sa tête lui répétait sans cesse qu’elle s’adorait elle-même. C’était perturbant.

Cependant, elle n’avait pas besoin de chercher longtemps ce qu’elle lui demanderait si elle avait pu… Si elle n’était pas Elle.

Par exemple, je lui demanderais… je lui demanderais si je dois reconstruire le Royaume d’Hyrule.

Mohrtieh baissa les épaules avec une moue déçue.

Elle est nulle vot’question.

Pardon ? s’exclama Zelda en écarquillant les yeux. Comment ça elle est « nulle » ma question ?

Ben oui, tout le monde connaît la réponse !

Tout le monde la connaît ?

Ben oui, rétorqua le goron avec évidence. Ils le disent tous, au village, que vous allez reconstruire le royaume. Shantieh, il m’a dit que les anciens lui avaient dit que quand le royaume existait, les gorons étaient vraiment écoutés et pas juste vu comme les idiots d’Hyrule, et qu’il aurait aimé connaître ça. Alors faut que vous soyez reine, c’est évident.

La princesse se figea. De tous les peuples d’Hyrule, les gorons n’étaient pas ceux qui la tracassaient le plus. Bons vivants et simples de raisonnement, traiter avec eux était toujours un gain de fraîcheur et légèreté. Mais à présent, elle se demandait si Kornuieh n’avait pas vu juste. Si sa cause n’était pas d’ores et déjà acquise auprès du peuple des montagnes.

Mohrtieh ! retentit une exclamation rocailleuse par la fenêtre entrouverte. MOHRTIEH !

Zelda, encore un peu chamboulée, s’efforça de canaliser ses pensées.

Il est temps que tu ailles retrouver ton grand frère, dit-elle à son petit visiteur nocturne en lui passant une main sur le casque. J’ai été ravie de faire ta connaissance, Mohrtieh.

Le goron sauta à bas du lit et tourna vers elle un visage plein d’espoir.

Est-ce que je peux revenir ?

En journée, quand tu veux, mais certainement plus la nuit. Je dirai à Klavieh de te laisser passer.

Vrai de vrai, vot’altesse ?

Vrai de vrai. Va rassurer ton grand frère, à présent, l’incita-t-elle en entendant un nouvel appel inquiet de Shantieh.

Mohrtieh se rapprocha de la princesse de son pas chaloupé, lui saisit la main avec délicatesse et baisa sa paume de sa grande bouche sans lèvres à la peau rugueuse.

C’est comme ça qu’ils font dans les histoires, vrai ?

Vrai, répondit Zelda avec un grand sourire, tes manières sont excellentes ! Passe une bonne nuit, Mohrtieh.

Bonne nuit, vot’altesse ! Et quand vous pourrez descendre, faudra venir visiter ma boutique de pierres précieuses hein ! Je suis sûr qu’il y a ce qu’il faut pour que vous ayez l’air d’une princesse !

C’est promis.

Elle entendit son nouveau petit ami dévaler les escaliers sans plus chercher la moindre discrétion et Zelda sortit sur la terrasse s’accouder à la rambarde. À la lueur du clair de lune, elle vit la petite boule goron rouler à toute vitesse vers son grand frère qui le réprimanda avec virulence. Elle ne pouvait qu’imaginer l’inquiétude de Shantieh en constatant sa disparition. Elle s’en voulut un peu d’avoir retenu le petit goron aussi longtemps. Sa compagnie innocente lui avait fait tellement de bien qu’elle n’était pas parvenue à le repousser malgré l’heure tardive.

Son regard dériva sur la statue d’Hylia dressée au milieu du village et elle serra les bras autour de sa poitrine. Elle avait passé tant de temps à prier une déesse qui au final vivait peut-être en elle… Autrefois, la méditation était devenue d’une telle importance dans sa vie qu’elle en avait fait un moment d’introspection nécessaire à son bien-être. Depuis qu’elle était revenue, et principalement depuis leur passage à Cocorico, Zelda avait la désagréable sensation de ne plus parvenir à trouver ce précieux équilibre. Cela lui manquait terriblement. Appeler le Pouvoir à elle était définitivement autre chose… et une chose qu’elle s’apprêtait à perdre incessamment.

Sentant le froid mordant de la nuit l’envahir, elle retourna à l’intérieur auprès de son chevalier, pensive.

Comme tout paraissait si simple du point de vue d’un enfant.

 

 

Il observa son reflet avec une moue dépitée sur le visage et se frotta distraitement la nuque. Non, décidément, il ne parvenait pas à s’y faire. L’uniforme de la garde royale était certes splendide, mais il n’était que cela : de la décoration. Il n’avait rien de fonctionnel. Les cuissardes avaient la fâcheuse habitude de s’affaisser, son tablier était plus encombrant qu’autre chose, et le béret tenait sur sa tête à l’unique condition qu’il la garde bien droite.

Il avait la sensation d’être un piaf revêtant les habits d’une gerudo. Il se sentait ridicule.

Il poussa un profond soupir. Cette réception promettait d’être un véritable cauchemar. Déjà peu enclin aux mondanités, il s’était senti terrassé en apprenant qu’il serait le cavalier attitré de la princesse. Pour toute la soirée ! S’il avait pu choisir entre ça et combattre un lynel doré, il aurait préféré le second.

Il comprenait parfaitement la raison d’un tel ordre émanant du cabinet du roi. Les désastreux rapports qu’il entretenait avec la princesse n’étaient plus un secret pour personne à la cour. Il savait que leurs dissensions étaient même devenues le sujet favori de la noblesse et que cela ternissait encore davantage l’image de sa protégée : non contente de ne pas éveiller son pouvoir, elle n’était même pas capable d’unir les prodiges autour d’elle.

Il adressa un soupir résigné à son reflet. Ce n’était qu’une soirée, après tout.

Un coup frappé à la porte de sa chambre le sortit de ses pensées moroses. Être le prodige hylien lui avait tout de même octroyé le privilège d’avoir une pièce pour lui seul à proximité des appartements de la princesse. Cet acquis-là, il ne s’en était certainement pas plaint. Dans le marasme étrange qu’était devenu sa vie, il se satisfaisait vite de ces petits riens innocents.

Il se dirigea vers le battant et l’entrouvrit doucement. Ses sourcils se froncèrent à la vue de son visiteur et il se recula pour ouvrir la porte en grand.

Link… Ou Messire Link, je ne sais pas, le salua Ponant d’un air sombre. Ça fait une paye, je sais…

Il hocha la tête doucement et attendit la suite. Son ancien camarade ne venait pas pour une simple visite de courtoisie. Depuis qu’il avait retiré l’épée de son socle, aucun de ceux de son ancienne unité ne lui avait adressé la parole sans y mettre une obséquiosité qui l’insupportait. Après tout, il était le Prodige. Tous les soldats d’Hyrule étaient sous ses ordres.

Les autres voulaient pas que j’te l’dise, mais moi j’ai pensé au bon vieux temps… Tu m’as sauvé la mise plus d’une fois après tout, alors j’te dois au moins ça… Elle est partie.

Il se figea et ses yeux s’assombrirent de colère. Ponant se gratta l’arrière du crâne d’un air gêné.

Tout le monde sait que tu dois être avec elle ce soir, mais les deux gars qu’étaient d’faction devant ses appartements sont rev’nus y a déjà quinze minutes. Elle y est déjà.

Il serra les poings. L’ordre venait du cabinet du roi lui-même, par Hylia, le roi ! Pourquoi la princesse ne s’y était-elle pas pliée, rien que cette fois ?

Il tendit la main vers son épée avant d’hésiter un instant. Devait-il la prendre pour une réception mondaine ? Il ne l’avait jamais quittée depuis qu’elle était en sa possession.

Son regard effleura à nouveau le miroir. Et ce fichu uniforme…

Il retira prestement ses cuissardes blanches et les balança en vrac dans la pièce. Béret et tablier atterrirent sur sa couche en un doux bruissement.

Li… Messire Link, qu’est-ce que tu fabriques ? interrogea Ponant d’un air incertain.

Il l’ignora. Il s’empara d’une ceinture et la ceignit sur la tunique de soie rouge qui servait de sous-chemise à la garde royale. Par bonheur, elle était parfaitement taillée et portait le sceau hylien sur la poitrine. Il conserva les chausses blanches et enfila des bottes noires qu’il lustra d’un geste fébrile.

La princesse l’avait mis dans une sacrée panade en refusant qu’il soit son cavalier. Quitte à passer la soirée à son bras, qui plus est malgré elle, il ne tolérerait pas d’être relégué au statut de simple garde. Elle ne le rabaisserait pas à ça, n’instaurerait pas une telle distance entre eux. Peu lui importait la raison, il était l’un des prodiges, par Hylia ! Elle n’aurait jamais osé imposer ça à Révali ou à Daruk.

Il arrangea ses cheveux blonds d’un mouvement négligent, les laissant exceptionnellement libres dans sa nuque

Un dernier regard hésitant sur l’épée et il se dirigea vers la porte d’un pas ferme et énergique. En tant que cavalier de la princesse, il n’avait aucune raison d’être armé de pied en cap. Excepté bien sûr le coutelas à sa ceinture, ou il se serait vraiment senti nu.

Il hocha la tête de remerciement à l’attention de Ponant qui le regardait avec des yeux ronds, et s’éloigna d’un pas pressé. Il se faufila à travers le château en tentant d’occulter la colère qui battait en son sein. Par Hylia, si le roi apprenait qu’elle lui avait fait faux bond, il n’imaginait même pas la portée de la semonce royale. Comme pouvait-il la protéger si elle était capable de lui fausser compagnie aussi aisément pour une simple réception ? Il se frotta la nuque, trouvant la chaleur qui y avait élu domicile plus agaçante qu’autre chose.

Il arriva dans le couloir menant à la Grand Salle où une petite foule s’amassait devant les portes. Il tenta de retrouver un semblant de prestance et lissa fébrilement sa tunique. Il ne lui restait plus qu’à mettre la main sur la…

L’objet de son courroux sortit prestement de la Grand Salle sous ses yeux et s’enfonça dans les corridors adjacents. Mais que faisait-elle donc ? Il se précipita à sa suite. L’occasion était parfaite pour tenter de réapparaître à la réception avec elle à son bras, comme convenu. Ainsi pourrait-il espérer leur, S’éviter l’ire royale.

La princesse s’éloigna rapidement du lieu des festivités et descendit l’escalier menant à l’observatoire, seule. Sa longue robe de soie émeraude virevoltait sous son pas fébrile et l’étole sur ses épaules demeurait entravée par la lourde masse de ses cheveux blonds. Au lieu de la rejoindre, il se ravisa et demeura en retrait. Aussi têtue qu’elle puisse être, jamais la princesse ne s’était soustraite à son rôle au sein de la cour. Qu’elle quittât ainsi une réception officielle où elle était attendue ne lui ressemblait pas, à moins qu’elle n’ait un sérieux impératif.

La princesse bifurqua une dernière fois et se présenta devant les portes de l’observatoire. Imposantes, massives, elles étaient gardées par deux soldats reconnaissables entre tous. L’insigne doré sur leur tenue les désignait immédiatement en tant que garde rapprochée du roi.

Il s’arrêta au bout du couloir. Une convocation royale au beau milieu d’une réception ne présageait rien de bon pour la princesse. Il attendit qu’elle disparaisse derrière le battant avant de se présenter devant les gardes. Il ne pouvait pas rester caché, les soldats l’avaient forcément repéré depuis son arrivée.

Me voici, père.

Il fronça les sourcils en entendant la voix de la princesse retentir avec autant de clarté. Le battant de la porte de l’observatoire était demeuré entrouvert. Il hésita, jetant un œil interrogatif aux deux soldats stoïques à côté de lui. S’il se déplaçait pour fermer la porte, soit les soldats l’arrêteraient, soit il se ferait remarquer par le roi ou la princesse. Dans les deux cas, le résultat ne serait pas à son avantage.

Est-ce que je m’exprime dans une autre langue que la vôtre, Zelda ? tonna la voix sèche de Rhoam.

Non, père.

Alors qu’est-ce qui n’était pas claire dans la phrase « vous vous présenterez à la réception au bras de votre chevalier servant » ? C’est bien ce que je vous ai écrit, non ?

Dans l’entrebâillement, il vit distinctement la frêle silhouette de la princesse se tendre, le dos droit, les poings serrés. Il détourna le regard, mal à l’aise d’assister à cette scène.

Oui, père, répondit-elle d’une voix devenue un peu blanche.

Alors de quel droit outrepassez-vous mon ordre ? s’exclama le roi avec colère. Ne croyez-vous pas que j’ai d’autres préoccupations que vos déboires relationnels avec votre chevalier ? Votre comportement puéril fait les émules de cette cour et conforte nos détracteurs, en avez-vous seulement conscience ?

Le pas ferme du roi résonna dans la salle adjacente, se rapprochant vraisemblablement de sa fille. Mal à l’aise, il sentait son propre cœur battre à une vitesse démesurée dans sa cage thoracique : il n’imaginait pas ce que la princesse pouvait ressentir en affrontant la colère de son père.

Je suis roi d’Hyrule, poursuivait celui-ci, la pire menace de toute notre histoire peut surgir à tout moment. Et me voilà rendu à manœuvrer pour prouver à tous que malgré le caractère impossible de ma fille, les prodiges sont unis autour d’elle ! Cela est déjà bien assez sans qu’en plus vous ne me compliquiez la tâche !

Père, je vous en supplie, je n’ai jamais demandé à avoir le Prodige hylien comme garde du corps, déclara la princesse avec plus d’assurance que lui-même n’en ressentait dans son petit doigt. Nommez-moi votre meilleur épéiste et je ne m’y soustrairais plus.

Il EST le meilleur épéiste du royaume ! rugit Rhoam. Vous allez sur vos dix-sept ans, ne croyez-vous pas qu’il est grand temps de vous comporter en adulte responsable, à défaut de mener à bien votre destinée ? Vous devrez vous allier au prodige afin de détruire Ganon le moment venu, et je me moque de vos affinités. Alors à partir de maintenant, je ne veux plus que la moindre dissonance ne me soit rapportée, me suis-je bien fait comprendre ? Ce garçon va devenir votre ombre dans et hors de ce château, de votre lever jusqu’à votre coucher, et ce jusqu’à ce que vous le tolériez. Chaque seconde où vous serez réveillée, le prodige sera avec vous et je compte bien que vous appreniez enfin à contrôler votre tempérament, est-ce que c’est clair ?

Mais…

Il suffit ! Retrouvez-le vite et accomplissez votre devoir ! Tenez votre rang et rassurez donc le peuple, par toutes les déesses d’Hyrule !

Le claquement des bottes royales se rapprocha et il s’agenouilla précipitamment, tête baissée, le souffle court. Il n’avait aucune idée de la réaction du roi en l’apercevant derrière la porte. Ni celle de la princesse d’ailleurs. Il était bien incapable de définir laquelle il redoutait le plus.

Le bruit des gonds qui grincent, et les pas se figèrent en un instant glacial.

Au moins, l’un de vous deux s’efforce de se plier à mes ordres, à ce que je vois, grommela Rhoam. Il est grand temps que vous appreniez à vous faire respecter de ma fille, jeune prodige. Si vous n’êtes pas capable de vous dresser face à la princesse, comment espérez-vous faire face à Ganon ?

Le roi s’éloigna dans le couloir, entouré de ses gardes. Une suée glacée parcourait sa colonne vertébrale. Une fois Rhoam suffisamment éloigné, il se redressa et souffla de soulagement de savoir cette entrevue terminée. Le roi avait une telle prestance et une telle capacité à pointer ses propres incertitudes…

Il leva les yeux sur la silhouette raide de la princesse devant la grande statue du Sceau Royal. La robe de soie moulait sa taille fine avant de s’évaser en corolle sur le sol et l’étole sur ses épaules était brodée au fil d’or du symbole de sa Famille. La princesse aurait pu être taillée dans le marbre tant elle restait immobile dans cette froide et fragile beauté. Ses poings étaient serrés contre sa poitrine, son regard rivé au sol. Une énergie tremblante et noire envahissait l’espace autour d’elle.

Malgré leurs différents, il ressentit un profond élan de compassion envers sa protégée. Au fil des mois passés ensemble, il avait fini par deviner ce qu’elle cachait désespérément derrière sa carapace. Il ne pouvait imaginer ce qu’était de grandir en tant qu’unique héritière et sauveuse attitrée du Royaume, et de ne pas être à la hauteur. Lui-même ne portait son fardeau que depuis quelques mois, et cela lui pesait déjà plus qu’il n’osait se l’avouer. La princesse, elle, l’avait porté toute sa vie. Et plus le temps passait, plus la charge s’alourdissait.

Il grimaça et s’efforça d’éclaircir ses idées. Il ne pouvait pas, ne devait pas se laisser attendrir par celle qui lui menait une vie aussi infernale. Il fallait qu’il continue à lui tenir tête, pour sa propre sécurité. Il n’y avait aucune place pour d’autres sentiments entre eux.

Pourquoi es-tu là ? demanda soudain la princesse d’une voix plus glaciale que la neige du Pic d’Hébra.

Elle releva la tête, ses yeux verts brillant de larmes contenues glissant furtivement sur lui. Pendant un instant, il se demanda si le véritable sens de cette question n’était pas plus large qu’il n’y paraissait de prime abord.

Quelle question…, souffla-t-elle. Partout où je me trouve, tu finis toujours par apparaître… Au moins, à présent, tu n’auras plus besoin de me chercher, nous voilà obligés de passer chaque minute de notre temps ensemble.

Elle poussa un profond soupir, tentant de garder l’empire d’elle-même.

Peu importe, après tout. Allons-y, cette réception sera déjà suffisamment désastreuse. Inutile de prolonger le calvaire trop longtemps.

Elle s’approcha et il ne put que remarquer la tension sur son visage et dans ses gestes. Arrivée à sa hauteur, elle se racla la gorge, les yeux rivés sur le sol, et leva sa main gauche en une invitation des plus explicites.

Son pouls s’accéléra, le rouge lui monta aux joues. Les mouvements saccadés d’hésitation, il se saisit délicatement de la paume de la jeune hylienne et la posa sur son avant-bras. Leur proximité lui apporta le doux parfum floral qui la nimbait et il se retint de fermer les yeux. Il se frotta la nuque et raidit sa colonne pour…

La scène s’évapora brutalement, comme une toile peinte diluée à l’eau claire.

Link flottait dans le Néant. Son esprit éthéré errait dans le vide. Le carrousel de ses souvenirs réapparut tout autour de lui et, lentement, puis de plus en plus vite, se mit à tourner, tourner, tourner… à une vitesse telle que Link sentit sa vue se brouiller.

Un flash lumineux éclata soudain devant sa pupille inexistante.

La princesse sortit de ses appartements et se raidit dès qu’elle l’aperçut attendant dans le couloir au petit matin. Les yeux cernés, elle poussa un soupir et secoua la tête d’un air dépité.

Un parfait petit soldat… souffla-t-elle, avant de s’éloigner. Allez, viens. Je vais bien finir par oublier ta présence, à force…

FLASH

La danse de ses souvenirs tournait à toute vitesse autour de Link, en un patchwork de couleurs, de visages, de murmures et de cris. Abruti, il ne savait plus où arrêter son regard, sur quelle image, sur quel bruit.

FLASH

La cour des écuries bruissait d’une intense activité, hyliens braillant et chevaux piaffant dans une cohue indescriptible. Guidant Epona par la bride, il se faufilait fébrilement et cherchait la princesse à travers la foule en plein préparatifs de départ. Lorsqu’enfin il croisa son regard par dessus l’épaule d’Impa, son visage se figea et elle pivota les talons pour s’éloigner. Il accéléra.

Hola, intervint la sheikah en lui barrant la route de son bras. Pas si vite, monsieur le Prodige ! Il est grand temps qu’on parle un peu tous les deux. Dis-moi, personne ne t’a appris à apprivoiser un cheval sauvage, par toutes les déesses ?

FLASH

Bouleversé, Link aurait voulu fermer les yeux s’il en avait eu, se boucher les oreilles s’il avait pu. Mais dans le néant, son corps n’existait pas. Il ne pouvait rien, rien faire pour stopper l’intrusion agressive de sa mémoire.

FLASH

Assis sur un rocher affleurant, il contemplait la surface de l’eau dans lequel se reflétait le soleil éclatant du désert. Autour de lui, tout le monde s’agitait au sein du Bazar Assek, les soldats profitant de l’occasion pour acquérir des denrées gerudos à la fois si rarissimes et si reconnues. Lui, attendait simplement, se contenant pour ne pas se ruer à la recherche de la princesse. Impa avait raison : s’il voulait gagner sa confiance, il devait lui laisser la bride sur le cou. Plus facile à dire qu’à faire, mais il avait pris toutes ses précau…

Messire Link ! s’écria un soldat en courant dans sa direction. Messire Link ! Elle… Elle a disparu !

FLASH

Il traversait le désert à toute allure, mettant ses pas dans les traces laissées par la princesse sur son passage.

Mais quelle tête brulée ! Quelle inconsciente ! Y avait-il plus obtu que cette fichue princesse, au nom d’Hylia ?

Et quelle idée stupide de la laisser loin de lui !

À quoi lui servirait sa confiance si elle était morte ?

FLASH

Un hurlement, il se précipita, passa une dune, et se figea devant le spectacle qui s’offrait à lui. Un cercle d’une dizaine de yigas. En son centre, la princesse, à terre. Un des assassins, au-dessus d’elle, prêt à la poignarder.

La peur, la terreur, émanant des arcanes les plus profondes de son être.

FLASH

L’Epée de Légende heurtant la serpe du sous-fifre dans un bruit métallique, l’arme s’envolant dans les airs.

FLASH

Il coupait, tailladait, virevoltait autour de la princesse. Sa lame transperçant indistinctement les chairs, les bananes qui s’amoncelaient.

Sa rage…

Personne ! Personne n’avait le droit d’approcher sa princesse !

FLASH

Le souffle court, la poitrine compressée. Le pommeau de la Lame Purificatrice, glissant dans sa paume rendue moite, et le vide… Le vide laissée par la mort, tout autour de lui. Le silence…

Un souffle de vent balaya la scène, puis un sanglot, dans son dos. Il se retourna. La princesse, demeurée à terre, bouleversée, contemplait le désastre autour d’elle… Sa colère se transforma en peine.

C’était la première fois. La première fois qu’elle y faisait face. Ce n’était pas une attaque banale, lancée à l’aveugle, comme tant et tant d’autres.

C’était une tentative d’assassinat. Dirigée contre elle. Exclusivement.

Un nouveau sanglot se coinca dans la gorge de la jeune hylienne, et il fit un pas vers elle, s’arrêta. Il ignorait quoi faire.

Elle leva ses yeux brillants de larmes sur lui.

Il sut qu’elle réalisait.

Et que quelque chose changeait.

Link…

Une voix, à la fois forte et douce, supplanta toutes les autres au sein du carrousel. Pas une voix. La Voix. Sa Voix. Celle qu’il avait voulu rejoindre dès le début, avant de plonger dans la mémoire de son enfance. Il s’y accrocha de toutes ses forces, refusant de se laisser à nouveau emporter par la marée de souvenirs qui voulait le submerger. Alors, étrangement, le carrousel ralentit, redonnant une substance aux images autour de lui.

Ça fait cinq jours à présent… Il faut que tu te réveilles…

Ce murmure plein d’affection et de tristesse lui taillada le cœur. Pourquoi donc était-Elle si déboussolée ? Il était là… Juste à côté…

Si tu savais combien j’ai besoin de toi…

Une caresse rafraîchissante et délicate sur son front, et il sut que la Voix lui humidifiait la peau. Ce ne pouvait être qu’Elle… Il fallait qu’il se réveille, il fallait qu’il La rejoigne. Était-Elle dans l’une de ces innombrables images ?

Laquelle était celle qui le ramènerait vers Elle ?

Un mouvement sur sa droite attira son regard vers un nouveau souvenir, plus grand que tous les autres.

La silhouette d’une jeune hylienne se découpait en haut d’une colline à la lueur du crépuscule. Il la contemplait en contrebas, depuis la Place des Commerces où ils avaient fait halte. Il voulait La rejoindre…

Il résista, tenta de détourner le regard. Ce n’était pas l’image qui le ramènerait vers Elle, il en était convaincu.

Pourtant…

La princesse se retourna. La douce lumière orangée du soleil disparaissant derrière le Mont Daphnès teintait délicieusement sa peau diaphane.

Link, je souhaiterais te parler avant de rentrer au château.

Ce n’était pas la bonne image, il le savait… Mais il sentait… quelque chose se trouvait là… Quelque chose…

Il se noya.

Il se hissa sur la colline sans un mot et s’arrêta légèrement en retrait par réflexe… et par méfiance. Après l’attaque des yigas, ils n’avaient eu d’autre choix que de quitter précipitamment le Bazar Assek, deux jours plus tôt. Depuis, la princesse ne lui avait presque pas adressé la parole, et le fuyait encore plus souvent que d’habitude, avec dans son attitude une gêne qu’il ne lui connaissait pas. Qu’elle réclame sa présence était donc étrange, intriguant, voire inquiétant.

Pourtant, à bien la regarder, ses traits ne portaient aucune sévérité. Au contraire, elle semblait plutôt… indécise. Presque mal à l’aise. Cela le troubla.

Link, je voudrais… commença-t-elle.

Pour la première fois depuis qu’il la côtoyait, elle plongea ses yeux dans les siens, honnêtement et sans pudeur. Il s’y perdit malgré lui, son esprit enregistrant de lui-même le chatoiement des lumières du couchant dans le vert de ses prunelles. Dans sa mémoire, rejaillit le souvenir de ce même regard balayant les rangs zoras avec appréhension, il y a près de dix ans.

Link, je suis sincèrement désolée.

Il réintégra brutalement le présent. Quoi ? Elle était désolée ?

Je suis désolée d’avoir été aussi odieuse avec toi, poursuivit-elle d’une petite voix. Tu… Tu ne le méritais pas…

La princesse détourna la tête avec gêne.

Je me suis toujours acharnée à te repousser, et toi… toi tu me sauves la vie… Je… Ô Hylia, je ne sais pas comment me faire pardonner ! Je te promets de te traiter avec plus de respect à partir de maintenant.

Il la contempla fixement, sans réagir. Faire face à une véritable tentative d’assassinat, et non à de simples rumeurs, aurait-il eu raison de son obstination ? Là où même les semonces royales avaient échoué ?

Link envisageait cette perspective avec un certain malaise. Il avait vaincu les yigas et sauvé la Grande Prêtresse d’une attaque mortelle, c’était vrai. Mais au plus profond de lui, il savait qu’il ne s’était pas contenté de la défendre. Non, il avait exterminé ses ennemis, l’un après l’autre, sous ses yeux, sauvagement, méticuleusement, dans un excès de rage démesurée. Aujourd’hui encore, il était en colère. En colère envers ces assassins qui s’en étaient pris à elle, envers la princesse pour être aussi insupportablement butée… mais surtout en colère envers lui-même.

Il détailla silencieusement la silhouette de sa protégée, ses mèches blondes virevoltant dans la brise du soir tandis que son regard se perdait dans le lointain. Il devait voir la vérité en face.

Il avait lamentablement échoué.

Malgré tous ses efforts, il avait été incapable de se protéger d’elle, de la garder à distance. Il avait beau s’en dédire, jamais le petit zonai en lui n’avait abdiqué, jamais il n’avait perdu l’espoir qu’elle lui sourit. Depuis le premier jour, depuis le premier regard, il s’était dévoué corps et âme à cette petite fille aperçue au Domaine Zora. Et en la voyant ainsi, vulnérable, aux portes de la mort, il avait su qu’elle pourrait le rejeter, le bafouer, l’humilier tout son soûl, il n’appartiendrait jamais qu’à elle.

Cette prise de conscience, impitoyable, destructrice, il l’avait déchaînée contre les yigas, sous le regard même de la princesse. Et il tremblait encore plus à l’idée que cette passion mortelle soit la véritable cause de son revirement.

Pire : lui aurait-il fait peur ?

Comme pour répondre à ses craintes silencieuses, elle reprit la parole, et souffla ces quelques mots d’un ton incertain en serrant ses bras contre sa poitrine :

Si tu n’avais pas été là, si tu ne m’avais pas rattrapé… au moment où il s’est penchée sur moi, je… j’ai su…

Sa voix s’étrangla dans sa gorge, l’émotion et la peur encore trop fortes.

Plus jamais je ne m’opposerais à toi concernant ma sécurité, Link, je t’en fais le serment.

Ô Hylia, comment y croire ? Il n’avait accompli que son devoir. Il ne méritait nul remerciement, nul changement dans leurs interactions. Et pourtant, alors même que cela semblait sortir de ses rêves les plus fous, une petite voix lui assurait que la princesse était sincère. Elle ne lui avait jamais menti. Son comportement avait toujours été l’exact reflet de ce qu’elle pensait de lui, sans fard ni hypocrisie, aussi détestable fut-il.

Et jamais ô grand jamais il ne pourrait un jour lui tourner le dos.

Alors il s’avança à sa hauteur d’un pas lent. Il n’avait jamais osé se tenir à une telle proximité de la princesse sans son accord. Inconsciemment, sa froideur habituelle lui hurlait de ne pas l’approcher, de rester à distance. Il s’y était plié, peut-être par simple instinct de survie d’ailleurs. Mais à présent, il ne sentait plus aucune menace se dégager d’elle. Comme si, pour la première fois, la princesse avait baissé sa garde.

Fébrile, il tendit une main hésitante et frôla l’épaule de la jeune hylienne. Elle sursauta, et il se recula avec méfiance en se frottant la nuque. Loin de le rejeter, la princesse posa sur lui des yeux larmoyants qu’elle essuya prestement, gênée.

Désolée, je…

Elle se racla la gorge, tentant de retrouver un semblant de contenance.

Link, je voudrais… apprendre à te connaître. Vraiment. Je ne le mérite probablement pas, mais… Voudrais-tu… accepterais-tu de tout recommencer ? Entre nous ?

Link…

Le chevalier tendit l’oreille dans le Néant, s’arrachant à ce souvenir doux-amer. Il chercha à définir d’où venait la Voix, mais Elle résonnait de partout et de nulle part à la fois. Devant lui, l’image de la princesse le suppliant de lui pardonner stagnait dans la lumière du crépuscule.

Il voulait plus que tout La rejoindre. Pas Celle de ses souvenirs, non, mais Celle qu’il avait retrouvé après cent ans. Celle qu’il avait retrouvé malgré son amnésie, parce que son cœur, lui, n’avait pas oublié.

La caresse du linge humide sur sa joue revint troubler le Néant. Il se concentra sur cette sensation de toutes ses forces, occultant le carrousel de ses souvenirs.

C’était Elle, ça avait toujours été Elle.

Le linge descendit lentement dans son cou, glissant dans sa nuque, puis sur son torse. Sur lui, un tissu, doux, un drap probablement. Une légère brise soufflait sur sa peau nue, pourtant il savait qu’il n’était pas dehors. Sous son corps, le moelleux d’une paillasse de bonne qualité l’enveloppait dans une étreinte douillette. Dans son cou, une douce chaleur, maternante, rassurante, qu’il commençait à reconnaître.

Les images autour de lui s’évanouirent doucement. Pour la première fois depuis ce qui lui semblait une éternité, Link se trouva à nouveau seul dans le noir.

Son cœur tambourinait ses côtes. Il devinait une présence près de lui. Aucune menace ne s’en dégageait, plutôt une sensation… de douceur. C’était ça, la personne à ses côtés était pleine de douceur, de bienveillance.

Un souffle chaud caressa sa tempe. Une respiration, légèrement saccadée. Quelque chose de liquide tomba sur son visage et un doigt délicat l’essuya tendrement, sans brusquerie.

Puis un baiser, humide, légèrement appuyé sur sa joue. Les relents d’un parfum floral qu’il connaissait par cœur.

Elle.

Zelda.

Zelda…

La jeune hylienne sursauta et la stupeur lui fit immédiatement perdre tout contrôle sur le Pouvoir, qui s’évapora. Les yeux rivés sur les paupières du chevalier qui papillonnaient, un curieux mélange de sentiments contradictoires l’envahit. Une joie incommensurable en le voyant enfin s’éveiller, et l’embarras qu’il l’ait surpris alors qu’elle se laissait aller. Les gens étaient-ils toujours obligés de la surprendre dans ses pires moments de faiblesse, au nom de la déesse ?

Toute gêne s’évanouit de son esprit quand les deux pupilles bleues se posèrent sur elle. Il lui était enfin revenu, et cela seul importait.

Hey…, murmura-t-elle doucement dans un grand sourire, essuyant prestement les larmes qui avaient perlées à ses paupières. Bon retour parmi nous.

Sans réfléchir, elle saisit la main du chevalier entre les siennes, l’étreignit avec toute l’affection qu’elle pouvait véhiculer dans une simple pression. Link se racla la gorge à deux reprises, sa bouche sèche et pâteuse.

Désireux de rassurer la jeune hylienne, il s’efforça de lui sourire mais une quinte de toux l’en empêcha, congestionnant son visage alors qu’il peinait à retrouver son souffle. Compatissante, Zelda s’empara de la carafe posée sur la table de nuit.

Tiens, conseilla-t-elle en lui tendant le verre qu’elle avait rempli. Tu en as besoin.

Le chevalier écarta d’un geste le contenant sans parvenir à stopper sa toux. Il voulut se redresser mais l’effort lui aurait paru surhumain si la princesse ne l’avait pas aidé. Il était effroyablement faible. L’eau dans sa gorge sèche adoucit son irritation. Épuisé, il reposa sa tête sur le mur derrière lui et ferma les yeux.

Comment te sens-tu ?

Link hocha lentement la tête, puis interrogea sa protégée du regard.

Tu es inconscient depuis cinq jours, avoua-t-elle en dégageant délicatement une mèche humide du front du chevalier. Je commençai à m’inquiéter.

Link fronça les sourcils. C’était long, beaucoup trop long. Il scruta son environnement du regard, tenta de déterminer l’endroit où il avait passé tout ce temps.

Nous sommes toujours à Euzéro, l’informa Zelda, tu as réussi à m’y déposer avant de t’évanouir. Tu avais raison d’ailleurs, ce village est vraiment charmant.

Étouffant une nouvelle quinte de toux, l’inquiétude qui envahit l’esprit du chevalier le força à l’occulter pour s’exprimer d’une voix rauque et presque inaudible.

Les yigas ?

La princesse secoua la tête à la négative et reprit le tissu humide sur la table de chevet.

Link, cesse de t’inquiéter, le réprimanda-t-elle doucement en humidifiant ses tempes. Tu sors à peine d’une longue fièvre, il faut que tu te remettes. Ne te préoccupes pas des yigas, ils ignorent encore que nous sommes ici.

Le jeune hylien essaya de se redresser mais une main douce et ferme le retint par l’épaule.

Link ?

Le sourcil légèrement levé était suffisamment équivoque pour qu’il ne pipe plus un mot. Il connaissait ce regard par cœur pour l’avoir suscité à de nombreuses reprises et… il se figea. Comme il était étrange d’avoir conscience du passé, d’un seul coup. De revoir les choses à l’aune des années, et non plus des seuls derniers mois et d’une mémoire morcelée.

Je vais demander à Klavieh de te préparer une soupe de coquillages, indiqua Zelda en se levant. Son pouvoir régénérant devrait te remettre sur pied rapidement. En attendant, je t’interdis de bouger de ce lit, d’accord ?

Link acquiesça doucement, sachant qu’il s’écroulerait dès qu’il poserait le pied par terre. Zelda déposa le linge sur la table de chevet et s’éloigna vers le paravent toujours dressé au pied du lit. Il tenta d’occulter la sensation de froid qu’il ressentait là où le corps de la princesse le touchait l’instant précédent. Il s’extasiait de la facilité déconcertante avec laquelle il lisait la tension sourde et contrôlée dans la gestuelle de la jeune hylienne. Dans la raideur de son dos, dans la légère élévation des épaules. Tous les signes qu’il avait scrupuleusement répertoriés il y a cent ans lui revenaient. Naturellement. Spontanément.

Juste avant de disparaître, la Fille d’Hyrule se tourna une dernière fois vers son chevalier. Sur ses lèvres flottait un sourire doux, presque timide.

Je reviens vite.

Elle s’évada dans l’escalier de l’auberge et Link se frotta inconsciemment la nuque, là où une sueur glacée avait remplacé l’étrange chaleur précédente. Il bascula la tête en arrière dans un soupir.

Il se souvenait.

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