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Petits écrits de la Main Gauche
Informations aux lecteurs

Samedi 18 novembre 2023 :

PUBLICATION DU TOME 1 DE CAUGHT IN THE MIDDLE LE 18 NOVEMBRE 2023
Pour s'y retrouver avant la lecture : Avant-Propos The Legend Of Zelda

- Caught in the Middle (fanfiction du jeu Zelda Breath of the Wild) =>
T2 achevé ; T3 en cours d'écriture.

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10 juillet 2015

Le Bunker - Epilogue

Deux ans plus tard.

 

L’homme en uniforme s’effaça, le dos raide, laissant notre petite troupe investir la pièce. Elle était grande, les murs gris et froids munis de quelques fenêtres tellement sales qu’elles en étaient opaques, les rayons du soleil ne parvenant pas à en percer la crasse.

Devant moi s’étalaient pléthores de tables bringuebalantes et de chaises malmenées, chaque paire se faisant face. Entre elles, se dressait une paroi en plastique, empêchant tout contact physique. L’une des chaises était emprisonnée par un battant dans la même matière, rappelant à tous que les personnes qui y siégeaient n’avaient pas le droit de liberté.

Le groupe autour de moi s’égaya rapidement, ne souhaitant pas perdre une minute sur l’heure accordée. Tous s'agitaient avec la force de l’habitude, connaissant par cœur les règles et le fonctionnement d’un parloir. Je demeurai là un instant, cherchant des yeux la silhouette familière que j’étais venue voir, sans trop savoir pourquoi d’ailleurs.

Je finis par la trouver au fond de la salle, coincée dans son box dans cette attitude nonchalante qui lui collait à la peau. Son dos était appuyé contre le mur, les doigts tapotant la table dans un rythme connu d’elle seule, les yeux tentant de discerner quelque chose au travers de la saleté repoussante des vitres. Ses cheveux étaient un peu plus courts, mais ses joues, elles, semblaient moins creuses, les cernes sous ses yeux, disparus. La prison semblait lui apporter quelques bienfaits, étrangement.

Je m’avançais lentement, le cœur battant la chamade, tentant de me rappeler pourquoi j’avais fait cette démarche, pourquoi je me trouvais ici. Elle releva la tête en voyant ma silhouette approcher, et son regard noir se riva dans le mien. Je fus projetée deux ans en arrière. Des flashs d’un souvenir reculé et pourtant bien vivace m’emplirent délicieusement, me rappelant le goût de sa peau et de ses lèvres, sa chaleur vibrante contre moi dans une atmosphère moite et glacée. Les frissons, la sensation de me noyer, tout me revint en force, comme si rien n’avait changé. Hormis que tout avait changé. Un sourire se dressa sur ses lèvres tandis qu’elle m’observait, avec cette expression un peu moqueuse dont elle ne se détachait que rarement et tout de même, un soupçon de plaisir.

_ Si je m’attendais à ça ! s’exclama-t-elle.

_ Bonjour, Thi.

Je m’installai calmement en face d’elle, l’observant de haut en bas. Ses pupilles noires avaient beau me rendre aussi guimauve qu’un petit ourson, je n’en laissais rien paraître.

_ Comment m’as-tu retrouvée ?

_ Parce que tu comptais rester discrète en tabassant deux hommes peut-être ?

Une lueur de contentement traversa ses pupilles. Moi aussi, j’étais plutôt ravie de retrouver nos petites piques qui rythmaient si bien nos joutes verbales.

_ Je pensais pas avoir fait les gros titres, pourtant, répliqua-t-elle d’un ton insouciant.

_ C’est pas le cas. Mais un encart dans les Faits Divers, ça suffit, surtout pour une journaliste. Y a pas beaucoup de Thiléli, tu sais.

Elle hocha la tête, se redressant pour se mettre bien en face de moi, les deux coudes posés sur la table. Elle se pencha légèrement, amusée.

_ Alors comme ça, tu as lu qu’une Thiléli s’était fait condamner pour coups et blessures volontaires, et t’y es allée au culot…

_ C’est à peu près ça.

_ Pourquoi ?

J’imitai sa position, me penchant vers elle, le sourire aux lèvres. Je rivai mes yeux dans les siens, m’efforçant de ne pas y sombrer comme c’était si souvent le cas auparavant.

_ Parce que c’est pas tous les jours qu’on a l’occasion de voir la liberté enfermée. Je ne voulais pas rater ça.

Je vis ses sourcils se hausser sur son front, marquant sa surprise. C’est avec ravissement que je la vis se mettre à rire, mais une certaine nervosité y était palpable. La situation était assez étrange pour moi également, mais je savais, malgré son attitude nonchalante, que cette fois-ci, pour la première fois, c’était moi qui tenais les rênes.

Une fois sa singulière hilarité apaisée, elle se réinstalla dans sa position d’origine, dos au mur, ses yeux s’égarant dans la salle grisâtre. Le simple fait qu’elle se dérobe à mon regard me faisait exulter, tellement elle criait son malaise dans cette position.

_ Alors, dit-elle en tentant de garder son ton léger,  je suis surprise de ne pas te voir enceinte dis donc… A moins que tu aies déjà accouché ?

Je reculai sur mon dossier, ne comprenant pas où elle avait pu aller chercher une idée aussi saugrenue.

_ Pourquoi est-ce que j’aurais un enfant ?

Elle haussa les épaules, contemplant les dessins imaginaires de ses doigts sur la table éraflée.

_ Ben il y a deux ans, t’étais déjà mariée, répondit-elle d’un ton évident. La suite logique, c’est le bébé.

_ Je suis divorcée.

Elle redressa la tête, me contemplant avec une lueur surprise dans le regard. Pour ma part, je savourais l’impact de ma petite révélation. Je n’étais plus la jeune femme effarouchée et effrayée qu’elle avait connue. Sa rencontre m’avait poussée à faire face à qui j’étais, à ce que je voulais, sans avoir de comptes à rendre. Et je voyais dans ses yeux qu’elle en prenait conscience.

_ Tu lui as dit ? demanda-t-elle calmement, les yeux légèrement plissés, son esprit tentant de cerner la personne que j’étais devenue.

_ Non. Mais c’est pas pour autant que notre couple a tenu le coup.

Elle hocha la tête sans un mot. Son petit sourire goguenard avait disparu, consciente qu’aujourd’hui, j’étais finalement peut-être la plus forte des deux. Je réalisai alors que même si son corps semblait se porter mieux, la prison et peut-être d’autres événements au cours de ces deux ans, l’avaient visiblement affaiblie. Je sentais qu’elle n’avait pas le même mordant qu’auparavant, même si elle tentait de le cacher. Une légère poigne me serra le cœur lorsque je le compris. J’ignorai quel était vraiment le but de cette visite. Je savais juste que je ne pouvais rien faire d’autre que m’y rendre. Ce dont j’étais certaine par contre, c’était que je n’étais pas venue pour la voir se briser comme du verre à mes pieds.

_ Et toi, qu’est-ce qui t’a pris de vouloir amocher ces deux types ? demandai-je d’une voix légère, un sourire sur les lèvres pour lui indiquer que je n’attendais pas une réponse franche.

Elle comprit de suite le message, et son air malicieux revient aussitôt, une lueur de gratitude traversant ses pupilles noires.

_ Il y a l’histoire avec laquelle j’ai bassiné mon avocat pour avoir des circonstances atténuantes si tu veux. Mais en fait, j’avais juste la flemme de passer un autre hiver sous la flotte.

_ Et donc tu t’es dit qu’en prison, au moins, tu serais logée et nourrie gratis ?

Elle haussa les épaules, un air innocent gravé sur le visage.

_ Vu la carrure de mes deux malabars, soit j’atterrissais à l’hôpital, soit en taule. Dans les deux cas, la nourriture y est meilleure qu’au foyer.

Je laissai un rire léger m’envahir. Elle savait que j’avais lu l’article, aussi, elle avait totalement conscience de ce que j’y avais découvert. Une part de son passé m’avait été révélée, mais je gardais les lèvres scellées. Je respectais son silence, refusant de forcer ses confessions, d’éclaircir les parties encore inconnues de son histoire. Elle en était la seule détentrice.

_ Une petite chose me turlupine, dit-elle soudainement, interrompant mes pensées. Je suis ici depuis déjà un an, ma condamnation est parue dans le journal à ce moment. Pourquoi ne viens-tu que maintenant ?

_ J’avais peur de prendre sur ton temps libre, rétorquais-je.

_ Sérieusement, Léa, s’il te plaît.

Son visage était fermé, en quête d’une réponse que moi seule détenais. Je me doutais, de par la façon dont je l’avais rencontrée à l’époque, que les visites ne devaient probablement pas se bousculer. Le temps libre, elle en avait à revendre entre ces quatre murs. Je soupirai, laissant mes yeux se repaître de la vue de ce corps que je n’avais jamais oublié malgré le temps écoulé.

_ Parce que ce n’était pas une décision si simple à prendre, lui répondis-je en toute sincérité. Parce que j’ignorai comment tu réagirais en me voyant, et j’avais beaucoup de choses à régler avant.

Je braquai mes yeux dans les siens, me plongeant dans l’obsidienne avec volupté comme je l’avais tant désiré depuis qu’elle m’était apparue dans son box lugubre.

_ J’avais encore besoin d’un petit peu de temps avant de comprendre qui je suis.

Un franc sourire s’accapara de son visage au souvenir de ses propres mots, il y a deux ans de ça. Nous restâmes un instant à nous observer, nos regards véhiculant tout ce qui ne pouvait pas être dit. Et pendant ce bref instant, je sus ce qu’elle taisait farouchement, ces mots n’ayant pas leur place en de telles circonstances. Que tout était là, comme avant. Que ce qui nous consumait dans l’ombre de ce bunker égaré sur une plage bretonne était toujours aussi vivace.

_ C’est dingue, soupira-t-elle, rompant cet échange qui je le sentais, commençait à être un peu trop intense. On est vouées à se voir qu’entre quatre murs de béton, on dirait.

Je lui souris avec une tendresse que je ne pouvais réfréner.

_ Il semblerait, acquiesçai-je. Va falloir qu’on remédie à cette malédiction.

Une lueur de compréhension et de fol espoir traversa ses pupilles, mais également une légère angoisse. Elle semblait si fragile, perdue dans cet environnement dans lequel elle n’avait pas sa place. Je sentais qu’elle était brisée, abattue. Jamais, sinon, elle n’aurait laissé sa faiblesse transparaître durant cet échange. Face à cette facette que je découvrais, je sentis mon petit cœur malmené fondre doucement, la laissant s’y introduire insidieusement. Je mourais d’envie de la prendre dans mes bras, de la sortir de là, pour voir ses pupilles d’obsidienne briller sous l’éclat du soleil, dehors, pour la ramener là où tout avait commencé, il y a deux ans. Au bord de la mer, dans ce bunker dégradé, sale et malodorant, qui me semblait aujourd’hui l’endroit le plus merveilleux du monde.

Une sonnerie désagréable retentit, me faisant sursauter. Inutile d’être Sherlock Holmes pour comprendre que l’heure des visites était achevée. Effarée par la rapidité avec laquelle le temps s’était écoulé, je plongeais la main dans la poche de ma veste, saisissant un petit carton que je lui tendis au-dessus de la barrière en plastique qui nous séparait.

_ Paraît que ta demande de liberté conditionnelle passe la semaine prochaine, répondis-je à son regard interrogateur. Si jamais tu veux essayer une autre nourriture que celle du foyer, tu sais où frapper.

Elle se saisit de la carte que je lui tendais, le visage exprimant une incompréhension totale. Deux yeux humides se posèrent sur moi, tentant de comprendre ce que signifiait ce geste inattendu et inespéré. Et je sus qu’elle comprit. Elle comprit que cette fois-ci, ce n’était pas ma curiosité maladive et mon imprudence légendaire qui me guidaient, que j’agissais en toute conscience.

_ Je suis en droit d’espérer ? lui demandai-je, ne pouvant retenir une petite note craintive dans ma voix.

_ Tout est toujours possible, Léa, me sourit-elle. Tout est toujours possible.

Je soupirai profondément, laissant les bruits alentour des chaises raclant le sol m’envahir. Je n’avais aucune envie de sortir, mais l’expression du gardien à ma droite me fit comprendre que j’avais plutôt intérêt à me bouger, et vite.

Je me relevai alors, sentant le regard de Thi suivre le moindre de mes gestes. J’étais incapable de prononcer un mot, de la regarder plantée là, dans ce box immonde, pendant que je regagnais l’air libre.

_ Léa ? m’appela-t-elle doucement, d’une voix si faible que j’eus du mal à la reconnaître.

Je relevai la tête, me faisant happer par ses yeux noirs qui exprimaient une myriade d’émotions. Mais l’une d’entre elles les supplantait toutes : la crainte. La crainte de me voir partir.

_ Si jamais ma demande n’est pas acceptée, reprit-elle d’une voix hésitante. Tu reviendras ?

Un sourire attendri traversa mon visage, tandis que je me penchai lentement par-dessus le box.

_ Tout est toujours possible. Ça dépend de ce que tu veux.

_ Reviens.

Sa voix n’était décorée d’aucune hésitation, bien que la rapidité de sa réponse exprimait toute sa détresse. J’en étais bouleversée.

_ A très bientôt alors, Thiléli, lui souris-je. A très bientôt.

 

 

Parce-que la musique est pour moi indissociable de l'écriture... Voici celle qui a accompagné cette histoire !

Merci à tous !

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Commentaires
P
Je trouve l'histoire un peu courte, mais elle est vraiment belle ainsi. Effectivement, elle a bcp changé, la fin nous laisse imaginer une suite ou non à leur histoire naissante. <br /> <br /> Léa a eu le courage d'affronter son identité et sa vie privée en a été bouleversée. Le démon qui envahissait l'esprit de Léa à fini par gagner. L'intensité des sentiments est perceptible et intense. Thi a tout deviné rapidement, presque même au premier regard, après sa douche. Ne dit on pas que "les yeux sont les miroirs de l'âme" ? Je dirais que cette phrase illustre ton histoire à la perfection.<br /> <br /> Que dire de plus ? J'aime ta plume, mais tu le sais déjà. ;)<br /> <br /> <br /> <br /> Bonnes vacances Claire. À très vite. ;)<br /> <br /> <br /> <br /> Tatie Pavane
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I
Salut, <br /> <br /> Une très belle histoire malgré la perplexité des personnages. Encore une fois, tu nous transporte avec douceur et légèreté par ton écriture. C'est tellement beau. Quand je te lis, je ne vois pas que des mots ou du noir sur du blanc mais un réel talent. <br /> <br /> Au plaisir de pouvoir te lire ! J'attend donc avec impatience tes prochains recits. ;)
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F
Merci Claire pour cette nouvelle version du bunker. J'ai vraiment apprécié les changements par rapport à l'ancienne version. D'ailleurs c'est bizarre, je l'ai lu il y a plusieurs années de cela et je me souviens encore assez bien du texte, c'est dire s'il m'avait marqué à l'époque ! La fin de m'avait laissé sur ma faim (sans mauvais jeu de mot :) ) avec cette impression au final que Léa avait presque tout perdu ne sachant pas vraiment quel direction prendre avec sa nouvelle vie. Ici dans cette version, même en ne sachant pas pour finir le destin commun ou non de Léa et Thi, on a un raisonnement complet du cheminement de la nature de Léa avec une acceptation de sa part de qui elle est (ce que je n'avais pas ressenti dans la précédente version). Le rôle de Marc différent lui aussi, beaucoup moins crétin et peut-être plus paumé... en fait, peut-être juste plus normal comme réaction. Désolé de ce commentaire comparatif entre tes deux versions (surtout pour ceux qui liraient ce commentaire en n'ayant pas eu l'occasion de lire la première version) mais c'est juste que je trouve que ton écriture à beaucoup évolué dans le bon sens (pourtant tes premiers écrits étaient déjà vraiment accrocheurs...). Je me réjouis de te lire à nouveau.
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L
Salut,c'est à peine que je lis ce récit...il est intéressant, j'ai beaucoup aimé parce que je crois que dans la vie de chacun, il y a toujours un moment d'arrêt pour se découvrir et c'est ce qui arrive à Léa. Elle se découvre effectivement. Seulement, le plus dur est de s'accepter tel quel et de continuer son parcours...et elle le fait.J'aurai aimé savoir la suite lol...mais bon je crois que je vais achever l'histoire comme je le pense 😀...Bravo...
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V
Salut <br /> <br /> Ce que j'aime dans tes récits ce sont les personnages complexes mais tellement identifiable rien d'impossible tout en étant pas ordinaire.<br /> <br /> tu sous entend tout mais on ressent tout de suite la puissance des sentiments qui les lies. <br /> <br /> Bon encore gagné avec moi j'ai aimé ce premier récit!!!!<br /> <br /> question indiscrète mais tu l'as écrit a quel age.... c'est très mâture et quand t'en parle on l'impression qu'il a été écrit y a longtemps....<br /> <br /> tu en as d'autres à nous presenter ?<br /> <br /> Enfin un dernier mot je me répète mais MERCI pour ce "bon moment" :)
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