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Petits écrits de la Main Gauche
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Samedi 18 novembre 2023 :

PUBLICATION DU TOME 1 DE CAUGHT IN THE MIDDLE LE 18 NOVEMBRE 2023
Pour s'y retrouver avant la lecture : Avant-Propos The Legend Of Zelda

- Caught in the Middle (fanfiction du jeu Zelda Breath of the Wild) =>
T2 achevé ; T3 en cours d'écriture.

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10 avril 2015

C'est moi, Julia - Chapitre 15

Morgane était devenue ma raison de vivre depuis plus d’un an. Je pensais Morgane, je respirais Morgane. Jusqu’au jour où la vie reprit ses droits.

Cela faisait déjà environ six mois que j’avais commencé en tant que directrice adjointe dans l’entreprise de l’oncle de Marie. Mon quotidien professionnel avait bien changé : des ardoises à poser, j’avais muté vers un emploi en bureau. Alors que je n’avais comme toute qualification qu’un CAP de base, jamais je n’aurai dû accéder à un tel poste à mon âge.

Les employés en avaient une conscience aigüe. J’en connaissais la plupart, ayant appris mon métier à leurs côtés. Ils me voyaient encore comme la petite apprentie, qui aujourd’hui, lorgnait des fonctions bien plus élevées, contrôlant leur travail, leurs horaires, leurs fournitures et leurs salaires. Pour beaucoup, cette perspective ne les enchantait guère, et la dominante masculine du métier ne m’aidait aucunement. Ils étaient cependant, pour la plupart, assez intelligents pour me laisser faire mes preuves. Mais le faux pas m’était formellement interdit.

Cela étant, j’apprenais vite. Je savais qu’à l’époque, bien des professeurs avaient été désolés de me voir m’enfuir dans une voie aussi peu qualifiante et technique que la couverture zinguerie, au vu de mes capacités scolaires. J’aurai pu aller loin, selon eux. Mais cela ne m’intéressait aucunement d’aller plus loin que mes rêves.

Aujourd’hui, je remerciai grandement lesdites capacités. J’avais bien conscience qu’avec ces quelques mois d’emploi, l’oncle de Marie ne m’avait encore montré que le haut de l’iceberg du travail à abattre. Et bien que finalement plus passionnant que ce à quoi je m’attendais, savoir qu’il ne s’agissait que du dixième m’effrayait.

Le plus troublant, c’était que Mr Duteil était un homme à tout vouloir contrôler. Rien ne sortait ou n’entrait des bureaux et des réserves sans que ce ne soit passé entre ses mains. Et visiblement, il en attendait autant de moi.

Aussi m’inscrivit-il à des formations bien spécifiques et intensives. J’allais suivre deux cursus : le premier, le plus lourd, sur la gestion et la direction d’entreprise pendant deux mois, suivit immédiatement par une formation d’un mois sur la comptabilité d’entreprise.

Au bout de chaque période, m’attendait une certification. Et au regard de mon employeur et du prix des formations, je n’avais pas intérêt à échouer. Ma période d’essai d’un an n’était pas encore écoulée.

Retourner ainsi sur les bancs de l’école, même en formation adulte, m’angoissait bien plus que je ne voulais me l’avouer. Je devais parfaitement maitriser le fonctionnement même de l'entreprise pour pouvoir espérer effectuer la première cession avec succès. Ce qui était évidemment mon intention.

Aussi, je commençai peu à peu à m’abîmer dans des piles de dossiers et de notes diverses, rapports, bilans annuels et fiches de postes tous les soirs durant. Les premières fois, je n’y comprenais rien, mais moins j’y parvenais, plus je m’acharnais. Je ne laisserai pas passer cette seconde chance.

Je m’enfonçai jusqu’au cou dans toute cette paperasserie, y cherchant en plus un moyen d’échapper à l’emprise que Morgane avait sur moi. Je savais qu’elle était encore avec son grand singe, et j’avais beau l’aimer profondément et lui avoir d’ores et déjà pardonné, il m’était vital de me détacher d’elle, à minima. Il était hors de question de m’en séparer, mais obligatoire qu’elle quitte cette place prépondérante qu’elle s’était octroyée de force dans mon esprit. Cette situation était tout de même bien trop douloureuse pour que je n’aie pas la présence d’esprit de m’en écarter.

Morgane eut bien évidemment la décence de ne pas m’en tenir rigueur. Dans un accord tacite, ses venues se firent de plus en plus espacées, jusqu’à être rares. Malgré cette distance physique, nos appels étaient quotidiens, nos messages ponctuaient les heures de la journée, et nos déclarations d’amour toujours aussi passionnées. Pas une seule fois je n’échappai à une accélération cardiaque notable en voyant son nom apparaitre sur l’écran de mon téléphone. A bien y penser, cette prise de recul devait nous être bénéfique à toutes les deux.

Surtout en sachant que mes trois mois de formation se dérouleraient à cinq cents kilomètres de là, et qu’il m’était impossible de revenir toutes les fins de semaine. Tel avait été la décision de mon employeur : il financerait la chambre d’hôtel durant toute la période, et un aller-retour. Mes repas et tout autre voyage supplémentaire seraient à mes frais, même si je disposais de tickets repas. Au vu de ce que je lui coutais, hors de question que je sollicite davantage sa générosité. Aussi, autant s’habituer à ne plus se voir comme bon nous semblait.

Marie, quant à elle, observait ce manège d’un œil bienveillant, m’encourageant à adopter un rythme relationnel plus sain avec mon amante. L’apaisement de la situation l’amena à poser un regard plus clément sur celle qui avait envahi mon cœur, ne pouvant davantage omettre la passion qui me dévorait la concernant. Le sourire tendre qu’elle avait affiché lorsque je lui avais raconté la magie de ma première nuit avec Morgane ne m’avait pas échappé. Malgré ses taquineries et ses inquiétudes, je semblais apparemment suffisamment heureuse pour obtenir sa bénédiction.

Ceci en précisant que Marie ignorait totalement que Morgane eut une autre relation, que je le savais et l’en avais absout, m’accaparant son corps le soir même où je l’avais découvert. Je misai sur un changement radical de point de vue si elle en avait été avertie, et ne donnais pas cher des tympans de Morgane dans ce cas de figure.

La dernière fois que je vis ma petite brune, ce fut la veille de mon départ. Nous étions toutes les deux parties du principe que nous ne nous verrions pas d’ici plusieurs mois, aussi se résigna-t-elle à confier Amélie à sa mère le temps d’une soirée. Elle ne me confia pas le tribut qu’elle dut payer pour ce service, mais sa mine sombre ce jour-là me suffit amplement à deviner qu’il était important.

Embrumée par ces conséquences qui m’étaient inconnues, Morgane se montra d’humeur passablement taciturne sur l’ensemble de la soirée. Elle était peu bavarde, mais lorsque nous fîmes l’amour dans l’obscurité de la chambre, je ne pus ignorer à ses gestes combien j’allais lui manquer.

Lorsque je m’étais éveillée le lendemain matin, le lit était déjà vide et froid. Cette découverte m’avait rendu le cœur lourd, n’ayant pas le loisir de l’embrasser une dernière fois avant de la quitter. Cependant, le café frais et les viennoiseries déposés dans la cuisine à mon intention m’apportèrent du baume au cœur. Elle avait accompagné ces présents d’un petit mot indiquant qu’elle ne supportait pas l’idée de devoir me dire au revoir, et préférait préserver comme dernier souvenir notre nuit passionnée et ma silhouette endormie dans l’attente de nos retrouvailles. Je ne lui en tins pas rigueur.

Marie vint me chercher dans la matinée. Elle avait spontanément proposé de prendre sa demi-journée afin de m’emmener à la gare. Nos adieux sur le quai furent tout de même quelque peu difficiles. Marie et moi ne nous étions jamais séparées aussi longtemps. Depuis notre adolescence, nous avions tendance à partir en vacances ensemble, et à se voir au moins une fois par semaine, au minimum. Même si mon retour n’était pas si lointain que ça, ce changement de rythme était pour l’une et l’autre assez difficile à imaginer.

Marquant son trouble, Marie ne rata pas de se prendre un plot de stationnement en se garant, ni de marcher dans des déjections canines, ni de finir à quatre pattes en glissant dans l’escalator. Sa grande maladresse, légendaire, avait toujours été accentuée lorsque son esprit était un peu déstabilisé. Dans sa stupéfiante capacité à exprimer ses sentiments, ses derniers mots tandis que j’embarquai furent digne d’une collégienne :

_ Vas-y, Julia, tu vas tout déchirer !

Elle allait me manquer.

Je constatai rapidement que je n’avais pas quitté les pensées de ma reine durant la matinée. A l’heure exacte du départ de mon train, mon portable avait vibré, m’annonçant un message de sa part.

« Bon voyage, ma Julia. Je t’aime. »

Ces simples mots m’avaient certes fait plaisir, mais également engloutie dans une vague de mélancolie.

Lorsque la formation eut commencé cependant, je n’eus guère le temps de me morfondre. Ce n’était pas si simple de devoir à nouveau se concentrer plusieurs heures sur le monologue d’un professeur sans bouger de sa chaise, aussi passionnant fut-il. Jamais je n’avais désiré, si ce n’était imaginé, suivre un tel cursus. Il m’était d’autant plus difficile de m’y investir pleinement, spontanément.

Je m’apercevais surtout combien ces quelques mois passés à proximité de la direction de l’entreprise ne m’avaient pas permis d’acquérir les connaissances nécessaires pour intégrer toutes ces notions étrangères avec aisance. Je découvrais tout un monde de règles et de fonctionnements, avec son propre langage et sa propre logique. Les premières semaines me demandèrent un effort considérable pour enfin m’y mouvoir un tant soit peu.

Je passai mes journées assise dans un amphithéâtre de faculté, découvrant les torsions nécessaires pour pouvoir écrire sur ces tablettes minuscules qui n’avaient pas la largeur d’une feuille et l’organisation savante pour que livres, polycopiés, cours et trousse rentrent dans un si petit espace. Je rageai contre les sièges en bois qui nous faisaient prendre douloureusement conscience de la présence exacte des os de nos hanches en moins d’une heure. Au bout de deux heures consécutives, mon dos m’élançait sans relâche et mon genou blessé se rappelait à moi en des élancements réguliers, ainsi qu’un engourdissement notable des jambes. Ma main droite irradiait de crispations continues à force de s’agripper à mon stylo, tant je m’acharnai dans une prise de notes consciencieuse.

Etant dans une chambre d’hôtel, je ne disposai d’aucun bureau le soir pour tenter de reprendre mes notes au propre ou pour m’arracher les cheveux sur un concept incompris. Je passai donc plusieurs soirées soit au bar de l’hôtel pour plus d’aisance, soit installée tant bien que mal sur mon lit.

Je ne cessai de me dire qu’il n’y avait rien d’étonnant à ce qu’il y ait un tel absentéisme en faculté, tant l’immobilisme et l’inconfort me tapaient sur le système.

J’aurai pu choisir de profiter de quelques soirées de weekend pour me détendre avec des collègues de formation et faire redescendre la pression. Seulement, la majorité d’entre eux étaient des fils à papa d’une vingtaine d’années devant reprendre l’entreprise familiale, et ceux-ci n’avaient apparemment pas hérité de leurs pères les neurones nécessaires à la création d’une entreprise. J’étais habituée à l’esprit quelque peu machiste du milieu du bâtiment. Mais lorsque l’on se retrouvait environnée d’un concentré de testostérone élevé dans cet état d’esprit et pour qui une entreprise leur tombait tout cuit dans le bec sans fournir le moindre effort, difficile de s’y inscrire sans tordre quelques testicules.

Nous étions deux femmes dans la promotion. Ma comparse était quelqu’un d’un peu simplet, très gentille mais définitivement trop commère pour mes nerfs. Toute petite, elle devait approcher les quarante ans. Son corps dénotait un surpoids assez important qu’elle décorait de tenues vulgaires où quelques parcelles de chair dépassaient là où elles auraient dû être cachées.

En conséquence, tous ces jeunes hommes avaient préféré m’élire comme cible à séduire. Sans parler de mon peu d’engouement pour les services trois pièces dont ils étaient dotés, leur comportement de mâles en rut m’exaspérait profondément. Aussi, il était inconcevable de passer une seule soirée en ville avec l’un d’entre eux.

Certains étaient plus âgés, ou plus posés, se contentant de suivre les cours et de disparaitre si tôt ceux-ci terminés. Lors des pauses, ils observaient les coqs de basse-cour avec circonspection et mépris. Je les enviais.

De plus, il était pour moi hors de question qu’un risque d’échec minime à la certification persiste. Le montant que Mr Duteil avait dépensé pour m’offrir ces formations obligatoires avoisinait les cinq milles euros, et il m’était impensable de revenir sans avoir acquis toutes les compétences nécessaires à mon poste, preuves certificatives à l’appui. Aussi, je demeurai recluse dans mon hôtel la majorité du temps, révisant encore et encore, m’acharnant, m’attelant dès le deuxième jour à la construction du mémoire nécessaire à la certification.

Je m’offrais tout de même quelques moments de détente les dimanche matin, où je partais errer le long d’un fleuve tout proche, m’emplissant les poumons d’air frais et du silence matinal. Ces instants étaient pour moi de véritables soupapes, nécessaires pour que je ne me transforme pas en chèvre à l’issu de ces quelques mois.

Je profitai généralement de ces moments pour appeler Marie. En ayant uniquement des contacts téléphoniques avec elle, je m’apercevais du nombre de samedi soir qu’elle passait dans un autre lit que le sien. Régulièrement, je la réveillais après qu’elle soit rentrée chez elle au petit matin en s’échappant comme une voleuse. Elle m’offrit un sacré moment de rigolade la fois où elle avait décroché en étant encore chez le prétendant nocturne. Fatiguée, elle s’était endormie en oubliant de s’enfuir comme à l’accoutumée. Elle s’était alors jetée sur le téléphone pour éviter qu’il ne réveille son partenaire ponctuel, et j’avais suivi l’ensemble de ses chuchotements et vaines tentatives pour s’habiller en silence avant qu’il ne se réveille.

Je notai par ailleurs qu’un certain Matthieu revenait régulièrement dans son planning sexuel, et qu’une soirée avec lui avait davantage tendance à se prolonger jusqu’au petit matin qu’avec les autres. Lorsque je l’avais au téléphone après une nuit passée avec lui, elle semblait toujours plus enjouée, mais ne manquait pas, le soir-même, de dégotter un passe-temps sexuel quelque part, comme pour se rassurer sur sa capacité à se passer dudit garçon.

Etant à distance, je ne relevai pas cet élément. Pour l’avoir déjà tenté, je savais que nommer à Marie la possibilité d’un attachement la poussait dans des comportements totalement inadaptés. Soit elle traitait son prétendant comme une véritable garce, le forçant à prendre ses jambes à son cou, soit elle s’en entichait avec tant d’espoir et de romantisme qu’il s’enfuyait tout autant. Marie était, en fin de compte, le plus grand cœur d’artichaut que je connaissais. Mais elle en avait bien trop souffert pour parvenir à laisser faire les choses. J’espérai sans cesse qu’elle finisse par trouver un galant qui s’accrocherait désespérément, sentant que sous ses frivolités, un cœur d’or était caché.

Mon cœur à moi, par contre, battait de plus en plus difficilement au fil des semaines. Le manque de ma reine se faisait cruellement sentir, mais il était terni par toutes les questions qui me vrillaient le cerveau. J’avais peur, effroyablement peur, que cette longue absence la fasse totalement basculer dans les bras de son grand nigaud. Lorsque mes pensées s’évadaient vers elle, je me demandai sans cesse s’il était avec elle, s’ils avaient passé la nuit ensemble. Je n’avais pas voulu savoir si Amélie le connaissait, s’il était entré dans leur intimité à ce point, là où j’avais dû, moi, demander l’autorisation. Avait-il eu le droit de franchir le seuil de son appartement, chose qui m’avait été interdite en toute circonstance ? Dormait-il dans son lit ? Lui préparait-il le petit déjeuner, prenait-il sa douche avec elle dans ses bras ?

Quand elle m’envoyait un message le soir, je ne pouvais m’empêcher de me demander s’il était allongé à ses côtés. Allait-il, une fois son portable déposé sur la table de nuit, l’embrasser et lui faire l’amour ? Ou au contraire, la prenait-il sauvagement, y prenait-elle du plaisir, et pire, était-elle l’initiatrice ? Le désirait-elle ?

Toutes ces ruminations me poussèrent à répondre de moins en moins à ses messages, à ses appels. Je refusais, alors que j’étais si loin, d’aborder ce sujet par téléphone, et je parvenais de moins en moins à l’occulter lorsque je lui parlai. C’était la raison pour laquelle également je m’abimais dans mes cours pour ne pas trop souffrir. Je devais faire en sorte de penser le moins possible à Morgane.

Lorsque mes idiots de collègues de formation tentaient une quelconque approche séductrice envers moi, je ne pouvais m’empêcher de me demander s’il l’avait abordé ainsi, avec toute cette attitude virile que personnellement je détestais. Malgré moi, tout me ramenait à elle, et à la relation qu’elle entretenait avec l’autre grand dadais, pour éviter d’être trop vulgaire.

Deux mois passèrent aussi bien que possible et je parvins à décrocher ma première certification avec les félicitations du jury. J’eus la sensation qu’un immense poids s’était retiré de mes épaules à l’idée d’en avoir fini avec le droit des entreprises et au répit de trois jours avant le début de la formation sur la comptabilité. Je fus également ravie de fuir tous mes collègues de promotion, dont la moitié avait échoué.

Je ne pus me résoudre à passer ces trois jours seule dans les rues de cette ville inconnue ou enfermée dans ma chambre d’hôtel. Sans plus de réflexion, je pris un billet aller-retour pour le weekend, direction chez moi.

Le trajet me parut encore plus long qu’à l’aller, tant j’étais pressée de revoir des visages familiers et de dormir dans le cocon de mes propres draps. Une forme de crainte sourde m’envahissait cependant, sachant que cela signifiait également que je me rapprochais de Morgane. Morgane à qui je n’avais pas répondue depuis maintenant deux semaines.

Je ne prévins personne de mon retour. Il était évident que je voulais voir Marie, mais j’étais encore totalement incertaine en ce qui concernait Morgane. Ce vendredi matin-là, je franchis les portes vitrées de la gare avec un sourire gigantesque, m’emplissant les poumons des fragrances de ma ville, m’emmitouflant dans mon manteau face aux températures basses qui sévissaient. Le froid était déjà arrivé ici, et nous entrions dans ma saison préférée.

Peu pressée de rentrer, je pris le bus, me permettant de revoir ma ville au fur et à mesure des rues parcourues. C’était avec un sentiment de joie que je descendis à l’arrêt de ma rue, et que je vis ma maison se dresser devant moi.

A peine avais-je franchi le seuil que je me précipitai pour ouvrir en grand tous les volets, et pour aérer l’odeur de renfermé qui trainait. Je gardai mon manteau, le chauffage n’ayant pas été allumé encore, et me laissai tomber avec un soupir de bonheur dans mon canapé.

Je restai là un moment, m’emplissant de la sérénité qui ne manquait pas de me combler en ces lieux. Mais plus le temps passait, plus une drôle de sensation apparaissait, sensation que je reconnus aussitôt.

Mon cœur, mon putain de cœur, l’appelait de toute la puissance de ses battements. C’était comme s’il savait qu’elle était toute proche, et se retrouvait déjà tout excité de la revoir alors que mon cerveau n’avait même pas encore décidé de ce que j’allais faire.

Je laissai s’écouler encore quelques minutes, tentant d’ignorer ce que tout mon corps hurlait, avant de me résigner.

Sur l’heure de midi, je partis voir Morgane.

Je l’attendais devant son bureau, adossée à ma voiture dans le froid perçant. Lorsque je la vis passer la porte du grand bâtiment de la Sécurité sociale, je sentis mon corps se réveiller, oubliant la souffrance de ces deux derniers mois. Elle était là.

Maintenant qu’elle se tenait face à moi, je compris le manque que son absence creusait dans mon cœur, et ce malgré la présence de l’autre nigaud.

Elle marqua un temps d’arrêt lorsqu’elle me vit. Puis un sourire enjoliva son doux visage rosi par le froid et elle se dirigea vers moi en traînant sa lourde mallette sur ses roues, faisant un vacarme de tous les diables.

Tandis qu’elle marchait dans ma direction, je la contemplai comme si je la voyais pour la première fois. Son long manteau noir la protégeait de la température ambiante mais épousait ses formes délicates, me faisant rêver à nos moments passés. Son visage si fin semblait rayonner et ses grands yeux bleus clair comme de l’eau de roche pétillaient.

Lorsqu’elle s’arrêta à ma hauteur, je l’enlaçai délicatement en soupirant d’aise de retrouver enfin ce contact qui m’était si chère. J’en avais oublié le bien-être ressenti.

_ Tu m’as manquée.

Ces simples mots qu’elle prononça du bout des lèvres firent remonter toutes les émotions que j’avais enfouies au plus profond de mon âme. Je sentis tout mon amour pour elle se déverser comme un raz de marée, incontrôlable, impossible à stopper. Toutes les questions qui m’avaient envahi ces derniers temps s’évaporèrent derechef, n’ayant servi qu’à occulter combien elle me manquait.

Je la serrai de toutes mes forces contre moi avant de la lâcher. Doucement, je repoussai une mèche rebelle derrière son oreille, obnubilée par l’énorme sourire qui lui barrait le visage et la tendresse que dégageait son regard posé sur moi.

_ On va boire un café ? proposai-je.

_ Attends deux minutes, j’ai un coup de fil à passer, dit-elle en s’éloignant de moi.

Je me rendossai au pare-chocs de ma voiture en contemplant les graviers, patientant. Je l’entendis alors appeler quelqu’un et signaler son absence pour l’après-midi même. Surprise, je relevai la tête quand elle raccrocha pour la voir me rejoindre de sa démarche féline qui me rendait folle.

_ Pourquoi as-tu appelé…

Elle posa un doigt sur mes lèvres pour m’interrompre.

_ Je veux juste être seule avec toi, quelques heures. Je ne serai pas disponible ce weekend.

Cette seule phrase suffit à faire remonter tous mes vieux démons à la surface. J’étais persuadée, sans qu’elle me l’ait dit, qu’elle passait ces deux jours avec lui. Morgane décela tout de suite mon changement d’expression et me saisit la main, doucement.

_ Allons le boire ce café. Il faut qu’on parle, visiblement.

Sans raison particulière, nous décidâmes de prendre la voiture de Morgane. Le trajet se déroula en silence, ma réaction ayant jeté un gel palpable entre nous deux.

Je ne fus pas surprise de la voir se garer près de notre café habituel, celui où nous nous étions retrouvées tant de fois à nos débuts balbutiants. Je sortis du véhicule calmement. Malgré la situation et la discussion qui allait s’en suivre, pour la première fois, j’étais prête à l’affronter sans tension, sans crainte. Peut-être m’y étais-je tout simplement habituée.

Nous entrâmes sans un mot et allâmes nous installer au fond de la salle, où nous serions tranquilles. Lorsque nous eûmes commandé deux expressos, le silence s’installa, plombant.

Alors que je contemplai la rue, je sentis une main froide envelopper la mienne. C’était la première fois qu’elle esquissait un geste de tendresse envers moi dans un lieu public, et je lui en fus reconnaissante. Heureuse de sentir son contact, je laissai nos doigts s’entremêler. Je posai mes yeux sur elle, qui observait le ballet de nos deux mains enlacées.

_ Tu m’as manquée, chuchota-t-elle.

Un léger sourire vint flotter sur mes lèvres.

_ Toi aussi. Enormément.

Ses deux pupilles bleues remontèrent alors sur mon visage, avec un mélange de colère et de tendresse.

_ Alors pourquoi m’as-tu donné si peu de nouvelles ? Pourquoi tous ces messages sans réponse ?

Je poussai un léger soupir tandis que le serveur s’avançait vers nous avec les cafés. Morgane sépara alors nos mains prestement, et je resserrai mes bras autour de ma poitrine. Dès qu’il fut parti, elle déposa à nouveau ses yeux sur moi, interrogateurs cette fois, attendant que je lui réponde.

_ Parce-que… fis-je d’une voix enrouée avant de m’éclaircir la gorge. Parce-que j’étais en colère.

_ Pourquoi ? Rien n’a changé depuis notre dernière soirée.

_ Je ne sais pas si ça m’enchante ou pas…

Elle haussa les sourcils, ne comprenant pas dans quel sens saisir ma phrase. Pour ma part, je me demandai comment j’allais pouvoir formuler ce qui me rongeait. Etant à l’intérieur, je ne pouvais pas fumer, aussi pris-je le parti de faire tourner ma cuillère dans ma tasse de café, alors que je n’avais pas mis de sucre.

_ Crache le morceau, Julia. Il faut que je le sache si on veut…

_ Que fais-tu ce weekend ? l’interrompis-je.

Elle eut un moment d’arrêt devant mon ton brutal avant de répondre.

_ Mon petit frère est là avec sa femme, donc je vais en pro…

_ Tu es toujours avec lui ? repris-je sans la laisser finir.

Poussant un profond soupir, elle se passa une main sur le visage, doucement. Elle savait très bien de qui je voulais parler.

_ C’est donc ça ? Julia, on en a déjà parlé, je sais que je dois le quitter mais…

_ Ce n’est pas ça qui m’inquiète.

_ Que… ? C’est quoi alors ?

Je restai un instant silencieuse, cherchant mes mots.

_ Je ne veux pas qu’il ait plus de droit que moi, grommelai-je.

_ Plus de droits ? De quoi parles-tu ?

_ Est-ce qu’il est déjà venu chez toi ? repris-je en la mitraillant des yeux. Est-ce qu’il dort dans ton lit ? Est-ce qu’Amélie le connait ?

_ Julia…

_ J’ai le droit de savoir, Morgane, lui dis-je d’une voix ferme.

Elle resta un instant à me fixer, perplexe. Elle baissa alors les yeux sur sa tasse de café et en but une gorgée, doucement. Elle déporta son visage vers la fenêtre, avant de me répondre d’une voix calme.

_ Il n’est jamais venu chez moi et Amélie ignore son existence. Je ne le vois que certains midis, ou quand elle est chez sa grand-mère. Jamais plus d’une fois par semaine et généralement dans un lieu public.

Elle se tourna à nouveau vers moi.

_ Autre chose ?

Elle avait voulu sa voix sèche mais il y perçait surtout une certaine hésitation. Elle savait à l’avance quelle serait ma prochaine question, mais espérait tout de même que je n’oserai pas la poser. Mais j’avais trop besoin de savoir pour me taire.

_ Est-ce que… Est-ce que tu aimes quand il… quand vous…

Ma voix s’étrangla avant que je ne réussisse à formuler ces mots à haute voix. Ça les rendait beaucoup trop réel à mon goût.

_ Julia, tu te fais du mal pour rien…

_ Réponds-moi.

Ma voix était nette et sans réplique. Elle savait qu’elle devait me répondre. Elle se passa une main dans les cheveux, mal à l’aise. Son habituel masque glacial vint figer ses traits tandis qu’elle vrillait son regard dans le mien.

_ Est-ce que j’aime quand il me baise ? C’est ça que tu veux savoir, Julia ? Et bien si ça peut rassurer ton égo, la réponse est non. J’évite au maximum d’être seule avec lui. Et oui, je pense à toi quand ça arrive, je ferme les yeux pour imaginer que tu es là. Et non, jamais je ne t’ai envoyé de message quand tu étais là-bas alors que j’étais avec lui et encore moins si nous venions de le faire.

Je commençai à m’habituer à ses sautes d’humeur la transformant en glaçon et en langue acerbe. Aussi, même si son ton sec et cinglant me blessa légèrement, ses paroles et sa réaction me rassurèrent surtout. Je savais que lorsqu’elle était enveloppée de cette aura glaciale, elle ne mentait jamais de front.

Elle me saisit alors spontanément le visage de ses deux mains, collant nos regards au travers de la table.

_ Non, ton absence ne m’a pas rapprochée de lui. Au contraire. Tu me manquais beaucoup trop pour que je réussisse à me comporter comme si de rien était.

Je la contemplai un instant, presque ravie. Evidemment que j’avais envie qu’elle le quitte, mais savoir qu’il avait de Morgane moins que moi me rassurait. Et j’étais même heureuse d’être un obstacle entre eux.

_ J’ai furieusement envie de t’embrasser, lui donnai-je comme toute réponse.

Elle se raidit, figée, et je vis presque immédiatement son visage de glace fondre sous l’assaut d’un léger sourire.

_ Tu as fini ton café ? me demanda-t-elle.

A peine eussé-je acquiescé qu’elle déposa un billet dans la coupole d’addition et m’entraina à sa suite hors de l’établissement.

Morgane s’engouffra prestement dans sa voiture, m’intimant d’en faire autant. Nous roulâmes quelques temps sans que je parvienne à reconnaitre une destination, et j’eus un instant l’espoir qu’elle m’entraina chez elle.

Je fus surprise de la voir sortir de la ville et s’engouffrer dans une route tortueuse au bout de quelques mètres. A peine dix minutes plus tard, elle s’arrêta. Je remarquai alors que nous étions arrêtées dans une campagne déserte, où les champs s’étiraient à perte de vue.

_ Où sommes-nous ?

_ Je ne sais pas trop. Dans un coin reculé pour  être tranquilles. Je ne savais pas trop où aller. Je voulais juste être seule avec toi.

Elle posa alors doucement ses lèvres sur les miennes. Je me sentis transportée hors de moi-même, de mes questions, de mes peines. Je me jetai alors sur elle, la dévorant comme une furie.

Nous fîmes l’amour sur la banquette arrière de sa voiture. Ce n’était pas vraiment romantique mais ce fut un moment merveilleux, et quelque peu cocasse au vu des acrobaties nécessaires.

Il n’y avait plus de souffrance. Plus de déchirement dans le cœur. Ça ne me faisait plus mal de toucher le corps de ma reine. Nous étions assoiffées l’une de l’autre et nous désaltérions goulument, un peu sauvagement, mais cela était propre à notre amour. Ce n’était plus que l’expression du manque, du désir de l’autre.

Nous passâmes l’après-midi à alterner amour et cigarettes pour ma part en écoutant de la musique. Nos seules paroles furent des « je t’aime » et des « tu m’as tellement manquée ». Le reste, le corps se chargeait de le dire.

Ce fut vers seize heures trente que Morgane me ramena jusqu’à ma voiture. Nous restâmes quelques minutes dans l’habitacle, peu désireuses de se quitter.

_ Tu repars quand ? me demanda-t-elle.

_ Demain soir, pour un mois.

Elle soupira, posant sa tempe sur son poing, le bras accoudé à la fenêtre.

_ Ça va être long encore…

Je lui caressai doucement la joue, ne pouvant dire le contraire. Je me résignai alors à sortir de la voiture, et Morgane me rejoignit sur le trottoir.

_ Au fait, tu as eu ta certification ? me demanda-t-elle.

J’affichai un énorme sourire en lui répondant :

_ Avec les félicitations du jury s’il vous plait !!

Ce fut spontanément au vu de la joie qui illuminait son visage qu’elle déposa un baiser sur mes lèvres, là, en pleine rue.

Un hoquet de stupeur nous parvint aux oreilles et je vis derrière nous le grand dadais qui nous regardait, suffoqué, avant de s’en aller prestement.

Je reposai mes yeux sur Morgane, inquiète. Elle n’avait rien raté de la scène, et contemplai, le visage à nouveau de marbre, la direction dans laquelle il s’était enfui.

_ Ne m’abandonnes pas, suppliai-je en lui saisissant la main, craignant qu’elle parte.

Je me moquais qu’il nous ai vu. La seule conséquence que je craignais, c’était qu’elle le suive pour le rattraper, me laissant là. Choisissant dès lors entre lui et moi.

Elle observa un instant nos mains jointes, et enlaça d’avantage nos doigts, sans quitter leur danse des yeux. Ce ne fut qu’un murmure presque inaudible qui s’échappa de ses lèvres.

_ Je ne commettrai pas cette erreur.

Incrédule.

C’est moi, Julia.

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Commentaires
E
Ah je suis bien contente de son choix !! Elle a géré !! C’est joliment écrit !!
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T
Étrange, inattendue et troublante l'attitude de Morgane.<br /> <br /> <br /> <br /> Serait - ce un clone de la fée Morgane ? Ceci expliquerait cela.<br /> <br /> <br /> <br /> Encore bravo, tu nous étonnes et tu nous entraînes dans un espace émotionnel proche de la douche écossaise.<br /> <br /> <br /> <br /> Est - ce tiré d'une situation qui a été vécue, plus ou moins ?
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P
Pourquoi pas ;). Mdr
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P
Beau geste d'amour, cette dernière phrase. <br /> <br /> <br /> <br /> Bravo à Julia pour son diplôme... Oui, je sais, ce n'est qu'une histoire, mais elle est tellement vivante... ;)
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