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Petits écrits de la Main Gauche
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Samedi 18 novembre 2023 :

PUBLICATION DU TOME 1 DE CAUGHT IN THE MIDDLE LE 18 NOVEMBRE 2023
Pour s'y retrouver avant la lecture : Avant-Propos The Legend Of Zelda

- Caught in the Middle (fanfiction du jeu Zelda Breath of the Wild) =>
T2 achevé ; T3 en cours d'écriture.

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19 juin 2015

C'est moi, Julia - Chapitre 34

À peine quelques secondes plus tard, la réponse de Morgane fusa, toujours du même ton froid :

_ Du soulagement, du bien-être. Comme si quelque chose que j’attendais impatiemment était enfin arrivé. Comment as-tu essayé de me contacter ?

_ J’ai attendu les moments où tu sortais du manoir, mais il y avait toujours quelqu’un de foncièrement dévoué à Denise dans les parages. Ou elle-même, qui avait bien repéré ma voiture et m’adressait des sourires narquois à distance. J’ai abandonné au bout de six mois. Quand as-tu eu tes premières idées coquines concernant cette splendide rouquine?

_ Marraine ! se rebiffa Morgane.

_ Réponds.

_ Mais…

_ Réponds ou le jeu s’arrête ici, tu tireras plus rien de moi.

Le regard de Lisiane n’était pas amusé. Il était extrêmement sérieux, trop peut-être. J’étais mal à l’aise. Que cherchait-elle exactement ? Morgane me jeta un coup d’œil gêné, sachant que nous n’avions jamais abordé ça. Je soupçonnais Lisiane de savoir exactement où étaient les non-dits dans notre couple, et les ciblaient intentionnellement. Le pourquoi d’une telle manœuvre, par contre, m’échappait.

_ La nuit après que tu… qu’elle m’ait embrassée pour la première fois.

_ Précise.

_ Quoi ??? Je ne vais pas te raconter mes rêves érotiques non plus !

Lisiane secoua la tête, un sourire amusé sur les lèvres.

_ Tsss mais non, je ne veux pas connaitre vos positions sexuelles, je te rassure, mon imagination à moi me suffit ! Non, ce que je veux savoir, c’est ce qui est important pour toi si tu fermes les yeux et que tu te remémores ce rêve.  

Morgane se tut à nouveau. Je sentais une sorte de tension émaner d’elle, comme une forme de crainte.

_ Je n’en ai pas un souvenir assez précis.

Cette fuite était bien faible pour Morgane. J’ouvris légèrement les yeux, très curieuse d’un seul coup du contenu de ce rêve qui me concernait, après tout. Qu’est ce qui poussait Morgane à réagir d’une manière si hésitante ?

_ Oh si tu t’en souviens très bien, Morgane. Rappelles-toi les règles du jeu. Tu n’as pas le droit de te dérober. Tu dois répondre.

_ Je t’ai répondue.

_ Pas assez. Fermes les yeux et remémores toi ce premier rêve avec elle.

Morgane me jeta un nouveau coup d’œil, puis les ferma en soupirant. J’étais ébahie par la faiblesse de ces arguments et par son respect des règles d’un tel jeu. Jamais je n’aurais réussi, moi, à lui soutirer de telles choses à contrecœur. Sa voix s’éleva doucement, peu assurée, pendant que je sentais le regard de Lisiane sur moi, pesant, m’observant.

_ C’était dans mon bureau. J’étais comme… collée à ma chaise, je ne parvenais pas à bouger. Julia est alors entrée. Elle me tendait la main pour que je me lève et je faisais tout pour la repousser. Elle hum… a commencé à m’embrasser et… hum… me caresser bien que je tente de la rejeter mais sans y parvenir…

J’avais le sang qui battait mes tempes. J’étais mélangé entre le malaise de savoir que Lisiane entendait ça, et le désir d’en savoir d’avantage. Je vis une perle de sueur sur la tempe de Morgane. Inutile de préciser ce qui se passait exactement sur cette chaise, je l’imaginais très bien toute seule.

_ Et ? fit Lisiane d’un ton péremptoire.

Je lui lançai un regard menaçant. C’était définitivement trop intime, elle n’avait pas le droit de forcer la confidence sur ce genre de chose. Mais à ma grande surprise, Morgane rouvrit les yeux brutalement, et observait Lisiane, sans animosité.

_ Je me souviens très bien de mon cœur qui battait à la folie, de la sensation de liberté qui s’emparait de moi jusqu'à ce que, suite à ses… douces intentions, au…moment crucial, j’ai fini par me décoller de la chaise. Je me suis réveillée en sursaut, avec la sensation d’avoir… explosé mes chaînes. Quelque chose avait envahi ma poitrine, là où il n’y avait plus rien depuis longtemps et j’étais paniquée.

Un court silence s’installa alors que les deux jouteuses se mesuraient, Morgane défiant sa tante d’en demander plus. Celle-ci l’observait, la tête légèrement penchée, sans que je puisse y lire ses réflexions.

Je me sentais toute… bizarre. J’ignorais totalement l’existence d’un tel rêve, et la signification y était, pour moi, claire comme de l’eau de roche. Et que mon baiser, si plein de désespoir à l’époque, presque innocent, ait provoqué de telles pensées chez Morgane me flattaient l’égo. L’idée que j’aurais pu pousser ma chance dès ce jour-là me traversa l’esprit.

_ Qu’est-ce-qui s’est passé lors de l’audience ? reprit Morgane de la même voix ferme.

_ Ta mère avait des ténors du barreau, j’avais un jeune avocat à peine sorti de l’école. Aucun, sinon, ne voulait s’engager contre la famille Perrière. Elle avait la réputation, et l’argent pour soudoyer là où c’était possible. Je ne pense pas que le juge ait été payé pour son verdict, mais la moitié des pièces du dossier avait disparu, et il ne pouvait plus reporter sa décision. Pourquoi avoir rendu les armes face à Julia ?

_ Je l’aime. C’est aussi simple que ça. 

Mon cœur bien malmené par cet échange eut un nouveau raté. La réponse avait fusé d’un ton sans équivoque. Un fait, une réalité, inéluctable, une vérité générale, une évidence. Elle l’avait énoncé avec tant de certitude que j’avais la sensation qu’elle avait saisi mon cœur à deux mains pour l’arracher et le garder avec elle.

Pourtant, elle ne m’avait pas jeté le moindre regard, ni elle ni Lisiane. J’observai la scène, pure spectatrice. J’étais le sujet des échanges, j’étais à côté d’elles, et pourtant elles parlaient de moi à la troisième personne. C’était une sensation très étrange. Comme si j’étais invisible, et pourtant chaque parole de Morgane me frappait la poitrine comme un tambour incessant. Comme si elle me parlait par procuration.

_ Pourquoi me demandes-tu tout ça ? reprit-elle.

_ Parce qu’il y a des choses importantes à rappeler je crois. Quand as-tu accepté que tu étais amoureuse de Julia ?

_ Quand j’ai craint de la perdre une deuxième fois. Qu’a…

_ Non non non, l’exclama Lisiane. Je ne t’ai pas demandé quand est-ce que tu lui as dit que tu l’aimais, ça je le sais. Je t’ai demandé quand TU l’as accepté.

Morgane poussa un soupir profond, et me regarda à nouveau, signalant qu’elle n’avait pas oublié ma présence pour autant. Lisiane ciblait des moments bien particuliers de notre relation, auxquelles je n’avais pas accès. La voix de Morgane s’éleva alors, douce cette fois-ci.

_ Tout dépend de ce que tu entends par aimer. Il y a l’amour-attirance, quand on ne peut pas se passer de l’autre mais sans réussir à dissocier l’attirance physique et les sentiments. Puis il y a l’Amour avec un grand A. Tu veux le premier et garder le second pour la question suivante ?

Lisiane déposa les yeux sur moi, m’observant un instant. J’avais le cœur qui me fracassait les côtes, angoissée par la réponse qu’elle donnerait. Et son prélude ne me rassurait aucunement.

_ Je crois que ce n’est pas à moi qu’il faut poser la question. Personnellement, je vais aller faire pipi, fit-elle en se redressant. Où sont les toilettes ?

Je lui indiquai alors du doigt, et l’observai sortir de la pièce. Le silence s’installa entre Morgane et moi. Elle ne bougea pas d’un pouce, comme gelée.

_ Alors, fis-je timidement, tu distingues deux sortes d’amour toi ?

Elle se saisit des cigarettes posées sur la table, et m’en tendit une que j’acceptai.

_ En quelque sorte. L’amour-attirance est la finalité de toutes les relations éphémères. Mais il est une étape de l’amour avec une grand A.

Je tournai ma cigarette entre mes mains, n’osant la regarder.

_ C’est quoi, la différence ? Il n’y a plus d’attirance physique dans la seconde partie ?

_ Bien sûr que si, assura-t-elle d’une voix des plus douces. C’est quand on s’aperçoit qu’une harmonie s’installe, un équilibre qui donne un sens à notre vie, une fois que la passion dévorante des premiers instants se dissipe.

Je tirai sur ma cigarette tandis que Morgane attendait patiemment la question suivante. Elle savait que j’avais besoin d’une réponse à toutes ces interrogations après ce qu’il s’était passé ses derniers mois.

_ Alors, pour nous, étape ou finalité ? murmurai-je.

Un silence cuisant me répondit.

Nous avions déjà abordé la teneur de ses sentiments, à de multiples reprises. Mais à chaque fois, c’était dans un contexte de bataille, une de nos nombreuses discussions malsaines. Maintenant que je commençais à la retrouver à nouveau, j’avais le besoin viscéral d’entendre ce qu’elle ressentait pour moi. Que je n’avais pas tant souffert pour une chimère.

Si jamais elle parlait d’une finalité, j’étais prête à hurler à pleins poumons. Je l’entendis se mouvoir à côté de moi, mais je n’osais pas regarder. Je dus cependant lever la tête quand elle s’assit sur la table basse en face de moi. Ses yeux étaient d’une clarté surprenante, comme je les avais rarement vus, bien qu’un tourbillon noir agitait encore leurs eaux.

_ A ton avis, Julia, comment pourrais-je connaitre l’existence de l’amour avec une grand A si je ne le vivais pas ?

Elle se pencha alors et déposa un baiser sur mes lèvres, plus léger qu’un papillon. Mon cœur explosa dans ma poitrine. C’était le premier, le tout premier baiser qu’elle me donnait depuis des mois, de son initiative, sans être endormie, ou shootée, ou juste par habitude.

_ Je sais que je t’ai donné toutes les raisons du monde de douter de mes sentiments, Julia. Et je me demande encore comment tu fais pour me pardonner et te tenir face à moi malgré tout.

Je choisis d’ignorer ses dernières paroles. Je n’avais tout simplement pas la force, dans l’instant présent, d’aborder les raisons de mon acharnement. Elles étaient suffisamment claires pour moi. Je lui étais inéluctablement acquise, et rien ne pouvait y remédier. À ce moment privilégié, c’était de ses sentiments, beaucoup plus nébuleux, dont il s’agissait.

_ Réponds à la question de Lisiane, s’il-te-plait.

Elle se redressa, frottant ses deux mains contre ses cuisses, se raclant la gorge.

_ Je me doutais de mon attirance dès le premier baiser, mais je l’ai occulté autant que possible. J’étais paniquée. J’ai compris que j’étais attirée par toi de manière presque irrémédiable quand Marie m’a appelé pour m’annoncer ton hospitalisation. Je n’ai pas pu faire autrement que de venir te voir et de te proposer de t’aider.

Elle marqua une pause, regardant fixement par la fenêtre. Elle se leva et s’en approcha, croisant les bras sur son torse, continuant à fixer un point imaginaire dans le jardin, me tournant le dos.

_ À défaut d’avoir la force de faire face à cette attirance, je me disais que j’arriverais davantage à passer outre si tu étais en bonne santé et avec un avenir radieux. Quand j’ai compris que c’était réciproque, j’ai voulu prendre de la distance. Quand on s’est vu au café à Noël, je n’ai pas pu faire autrement que d’accepter que tu n’avais pas quitté mes pensées. À ce moment, je voyais ça comme une sorte d’obsession incongrue, que mon corps avait besoin d’assouvir. Mais t’embrasser ne suffisait pas, tu étais toujours là dans un coin de ma tête.

Elle tira sur sa cigarette presque jusqu’au filtre, témoignant de sa nervosité. Pour ma part, je buvais ses paroles inlassablement.

_ C’est à ce moment que j’ai compris que je t’aimais, de cet amour-attirance qui dévore les entrailles de désir inassouvi. L’harmonie, elle, je ne l’ai acceptée que bien plus tard. Quand tu es revenue au cours de ta formation, quand je t’ai vue, là, adossée à ta voiture, m’attendant… j’ai su que je ne pouvais plus me voiler la face, et que ma place était auprès de toi. Nulle part ailleurs.

J’enfouis mon visage dans mes mains. L’imbroglio d’émotions que je ressentais était tellement déstabilisant... Elle énonçait des choses que je savais déjà, en soi. Au plus profond de moi-même, je savais exactement à quels moments de notre relation les choses avaient évoluées. Et je savais qu’elle m’aimait profondément, mais après tout ce qui s’était passé… Je ne me comprenais plus. Autant j’étais ravie qu’elle le dise, faisant battre mon cœur, autant tout ça appartenait à une autre histoire. Celle d’avant. Tous ces évènements se conjuguaient au passé. Quel était la place de cet amour au cours de ces derniers mois ?

Cela me déchirait les entrailles, mais je n’étais toujours pas certaine que son intensité soit restée intacte. Si j’étais son grand Amour, comment avait-elle pu se comporter ainsi avec moi ?

Bien que connaissant une part plus importante de son histoire, mes craintes étaient bien trop fortes, à présent, pour être apaisées par la compréhension partielle que j’en avais.

 Car même si ces sentiments existaient encore, je n’étais plus aussi sûre qu’ils puissent encore être vécus.

Tout se mélangeait dans ma tête, peurs et doutes que j’avais ignorés et éloignés le plus possible durant tout ce temps.

J’avais besoin de réponse. Maintenant.

_ Pourquoi Morgane ? Pourquoi avoir oublié tout ça, tout cet amour ? Pourquoi m’avoir rejetée ?

_ Je ne l’ai jamais oublié, Julia.

_ Oublier, faire abstraction, qu’importe le mot ! m’exclamai-je en me levant. Tu m’as rejetée tout en maintenant que tu m’aimes, tu ne vois pas la contradiction ?

Morgane poussa un profond soupir. Je vis un tremblement bien distinct parcourir son dos mais elle ne se retourna pas.

_ Julia…

_ Il n’y a pas de Julia qui tienne, Morgane ! Tu te demandes comment je fais pour me tenir en face de toi ? Et bien je n’en sais rien ! Pourquoi m’avoir mise de côté ainsi ? Expliques-moi ! Réponds-moi !

_ Ça suffit, Julia…, fit-elle d’une voix grondante mais chevrotante, comme vulnérable.

Au loin, je vis ses jointures blanchir sur le rebord de la fenêtre. Je ne m’approchais pas. L’avertissement que contenaient ses mots était bien audible, mais je l’ignorai.

_ Non Morgane ! Je ne me plierai pas à ta volonté, pas cette fois ! criai-je. Réponds-moi ! Pourquoi m’as-tu abandonnée comme ça sur le b…

_ ASSEZ !

Un craquement sinistre retentit lorsqu’un morceau de l’encadrement en bois de la fenêtre se brisa sous sa poigne.

Un nouveau silence. Les battements de mon cœur me martelaient les oreilles.

_ Comment peux-tu dire que je t’ai abandonnée, Julia… Tu oses parler de ce que tu ne connais pas, t’approprier MA réalité… murmura-t-elle d’une voix sourde.

Je compris alors. Je compris que le moment était venu. Les coups de burin assenés sur ses remparts d’acier depuis deux jours avaient fini par avoir raison d’elle.

Morgane s’écroulait. Et moi j’avais peur.

_ Elle a tout fait pour me détruire, reprit-elle à voix basse, comme un roulement de tonnerre. Et moi j’ai tout fait pour survivre. Je ne sais pas ce que je lui ai fait alors que je n’étais qu’un bébé pour qu’elle s’acharne autant sur moi. Elle m’a rejetée, m’a bafouée, humiliée, instrumentalisée…

Un nœud s’était formé dans ma gorge. Je percevais aisément la forte tension qui parcourait ses membres, de là où je me tenais. Du coin de l’œil, je vis que Lisiane était revenue, demeurant à l’entrée du couloir, observant. Je me reconcentrais sur Morgane.

_ Ma propre mère… Mieux valait ne rien ressentir, ne tenir compte de rien. Mes sentiments envers elle étaient ma faiblesse, s’attacher est trop dangereux. Elle détruit tout, tout ce qui est bon dans ma vie. Même toi, elle t’atteint…

Elle frappa alors fortement du poing contre le montant de la fenêtre dans un bruit sourd, faisant trembler les cadres à proximité.

_ J’aurai dû avoir la force de me tenir éloignée de toi, cracha-t-elle d’une voix forte. Mais maintenant c’est trop tard. Et je ne la laisserai pas à nouveau réduire ma vie à néant. Il en est hors de question.

Je jetai un œil à Lisiane, qui semblait tout aussi inquiète que moi. J’avais l’impression qu’après une longue attente, le navire, enfin gorgé d’eau, sombrait au fond de l’océan, et j’ignorais comment sauver nos vies du naufrage.

Elle se retourna brutalement, me faisant face. Son expression était effrayante. Ses traits étaient déchirés entre la rage et la souffrance, ses pupilles étaient noires. Des larmes s’en écoulaient sans fin, et son corps entier était parcouru de spasmes de tension nerveuse.

J’étais paniquée.

Sa voix était forte quand elle reprit la parole, me faisant sursauter, tandis qu’elle me fixait de ses yeux presque fous de douleur. Ses bras s’agitaient dans tous les sens, mimant ses paroles en de grands gestes expressifs.

_ Moi qui me suis acharnée toute ma vie à ne laisser personne entrer, personne me toucher ! Mes tripes étaient vides mais au moins je n’avais pas mal ! Et te voilà qui débarque, avec toute… toute ta fragilité et ta force mélangées, ta personnalité si… belle qui a complètement envahit mon être si sombre en un claquement de doigt alors que rien ne filtrait depuis des années. Tu m’as complètement bouffée Julia, t’as tout foutu en l’air, tu comprends ça ? À partir du moment où tu es rentrée dans ma vie, j’ai recommencé à avoir peur, à avoir mal. MAIS JE NE VEUX PLUS AVOIR MAL !

Au fur et à mesure de son discours, son ton montait, finissant par hurler. Le mot belle, qui aurait pu être un compliment, avait été craché avec mépris. Son comportement tournait à l’hystérie et nous ne pouvions que subir. Je retenais les larmes qui montaient à mes paupières. Je devais rester forte. Nous ne pouvions pas nous écrouler toutes les deux. Mais la frayeur se répandait dans mon sang comme une infection.  

_ Comment peux-tu dire que j’ai oublié mes sentiments pour toi ? reprit-elle, la voix rauque et caverneuse. Ils me dévorent, chaque minute et chaque seconde, ils me font peur ! Et je ne peux pas être aussi faible Julia tu m’entends ? Je ne peux pas être aussi faible face à Elle ! Tu ne peux pas La laisser me blesser, je refuse de Lui donner ce pouvoir à nouveau !

Son regard se déporta sur Lisiane qui tressaillit sous les éclairs meurtriers. Ses pupilles étaient dilatées, et une véritable tornade noyait le bleu de ses iris. Sa tante disait qu’elle savait ce qui l’attendait. Mais se retrouver face à tant de souffrance et de rage était une tout autre chose.

_ Et toi, qui reviens dans ma vie ainsi ! Tu en as disparu depuis dix ans !!!! Dix ans sans nouvelles de toi, sans soutien, toi ma Marraine, ma Tante, ma confidente, où étais-tu toutes ces années ? Où étais-tu quand Elle me rendait responsable de tout, de tous Ses malheurs, m’interdisant de voir ma sœur, me coupant de toute amitié, brisant tout ce qu’aurait pu être ma vie ? L’en as-tu empêché ? Où étais-tu quand il y avait tous ces regards lubriques sur mon corps, ces salissures, quand Elle me poussait dans les bras du premier bon parti venu, vêtue, maquillée et traitée par ma propre mère comme une poupée gonflable ? Où étais-tu quand ils essayaient de me violer ? Où étais-tu quand le seul être au monde qui me comprenait a été tué par ces porcs ? OU ETAIS-TU QUAND JOSEPHINE EST MORTE ?

Lisiane encaissa à son tour en silence les reproches qui lui étaient destinés. Elle ne broncha pas, ne pleura pas, mais les plaies étaient bien lisibles dans son regard.

Morgane n’allait épargner personne.

_ Sais-tu seulement ce qu’elle a craché au-dessus de son cadavre dans la chambre funéraire ? Elle s’est réjouie de sa mort, clamant que Jo s’était libérée d’une vie de débauche, et que décédée elle redevenait sa fille ! Tu entends ça ? ELLE ETAIT SOULAGEE DE VOIR MA SŒUR MORTE !!! Et vous êtes là, toutes les deux, à m’accabler de vos peines ! Je suis trop froide, je suis trop distante, je suis sanguine, OUI, OUI je peux être une bien vilaine petite fille !

Un rire complètement dément s’échappa de ses lèvres tordues en un rictus presque inhumain. Sa folie m’effrayait. Je comprenais que je l’avais jetée dans un abîme qu’elle avait longé toute sa vie, mais je n’étais pas du tout persuadée de pouvoir l’en faire ressortir.

_ C’est ce que j’ai été toute ma vie n’est-ce pas ? ricana-t-elle. La vilaine, la méchante ! Laquelle d’entre vous aurait une autre recette à me proposer que de répondre à cette injonction dès ma naissance ? Allez-y, faîtes des propositions, et montrez-moi combien je suis faible !

L’espèce de rire qui la parcourait s’arrêta brutalement, laissant à nouveau place à une rage incommensurable. Elle naviguait entre les émotions comme une coquille de noix en plein torrent.

_ Je ne suis pas parfaite, je n’étais qu’une gamine bordel ! Un nourrisson qui ne demandait qu’à être aimé ! Et on le lui a refusé à cette petite fille ! Tout ce qu’elle a appris, c’est qu’aimer c’est souffrir ! Et vous osez me dire que je ne suis pas assez aimante ? Mais qui a dû se battre contre ce monstre sans cœur pour éviter qu’Amélie ne subisse les mêmes folies ? Qui s’est dressée face à cette tarée que personne n’ose défier ? Qui a réussi là où tu as échoué Lisiane ? Et vous croyez que c’est en baladant mon cœur dans mon sac-à-main que j’ai pu le faire ? Je me suis protégée, bordel, je me suis sécurisé ! Je me SENS en sécurité !

_ Morgane… tentais-je, hésitante.

Lisiane me retins par le bras alors que je m’avançais, me déconseillant de m’approcher d’elle. Ce qui la fit enrager encore plus.

_ Vas-y, chère Marraine, protèges les innocents du monstre que je suis devenue ! Car n’est-ce pas ce qu’Elle a fait de moi ? Un monstre sans cœur ? N’est-ce pas ce que vous me reprochez si bien, vous, les blanches colombes ? Oui, oui, je suis noire, je suis sale, je suis torturée ! Pourquoi ? Parce que PERSONNE ne s’est élevé contre Elle ! Tout le monde a préféré détourner le regard plutôt que de vouloir sortir des enfants de ce cauchemar ! Qu’est-ce que trois enfants contre l’hypocrite bien-être d’une communauté de vipères ? Même un putain de juge n’a pas été foutu de se dresser face à Ses conneries ! La protection de l’enfance ça ne parlait à personne ! En toute impunité, Elle m’a ignoré, m’a insultée, m’a humiliée devant une assemblée, Elle m’a brimée, Elle m’a enfermée dans cette putain de baraque dorée ! Elle m’a interdit de vivre, je n’aurai jamais dû exister pour Elle ! J’ai dû subir sans broncher toutes Ses mesquineries, et Son alcoolisme ! Quelqu’un en a parlé de Son alcoolisme ? De Sa réaction quand Amélie est née ? De Ses insultes, des monstruosités qu’Elle a pu dire, de Sa venue bourrée à l’hôpital en crachant sur les origines de Romain, rejetant encore un autre bébé ? Qui en a parlé lorsqu’Elle a demandé la garde d’Amélie ? Personne voyons ! Ne salissons donc pas le grand nom des Perrière !! Tant pis si les gamins trinquent !

Elle semblait intarissable, longeant de long en large le salon, s’agitant, pleurant, hurlant. Lisiane et moi assistions au spectacle de son désarroi frôlant la folie avec inquiétude, ne pouvant prendre une autre place que celle de spectateur passif.

_ Vous me reprochez d’être ce que je suis, mais c’est ce qu’elle a fait de moi ! Je croyais que tu me comprendrais Julia, et que tu m’aiderais ! Pas que tu voudrais me détruire ! Je voulais… un consensus, quelque chose, ou que tu me dises que tu ne pouvais pas faire face je l’aurais accepté ! Mais pas que tu me ferais ça ! Tu es censée m’aimer comme je suis ! Pas me changer ! C’est Elle la responsable ! C’est Elle que vous devez m’aider à détruire ! Je pensais que tu lui dirais Marraine ! Que tu lui expliquerais, que tu me comprenais ! Que tu reprendrais le combat là où il s’est arrêté il y a dix ans mais avec moi ! Que tu rachèterais tes fautes, ton échec qui m’a fait espérer un avenir qui n’était qu’un mirage ! JE SUIS LA VICTIME ! Pourquoi me traiter comme la coupable ? Qu’est-ce que je dois vous raconter pour que vous le compreniez ? Pour que vous reconnaissiez tout ce qu’Elle m’a fait vivre ! Les cours particuliers où Elle me tapait sur les doigts avec une baguette ? Que ma chambre était fermée à clé toutes les nuits, sans pouvoir aller aux toilettes, sans avoir le droit de pleurer et d’appeler parce que j’étais malade ? Que j’avais interdiction de jouer dans le jardin, de marcher dans la pelouse, que je devais rester sur la terrasse en regardant tout cet espace sans pouvoir en profiter, et que la seule fois où j’ai enfreint cette règle j’ai passé une semaine enfermée dans ma chambre à jeun ? Les soirées interminables où nous faisions tapisserie, tirés à quatre épingles, pendant que ma mère nous dénigrait devant ses invités ? Qu’elle ne m’a jamais tenue dans ses bras ? Les comparaisons incessantes avec cette putain de fée Morgane ? L’obligation de lire toutes les versions des cycles arthuriens pour que je comprenne qui je suis aux yeux de ma mère dès mes six ans ? Les restitutions obligatoires face à elle, où je devais dire qui j’étais d’après elle ? Et cette phrase, cette phrase incessante qu’elle a gravé dans mon âme, que je devais répéter à la lettre dès que je faisais une connerie ou que je lui déplaisais ! Vous voulez la connaitre cette putain de phrase ? Vous voulez savoir qui je suis ? Je suis Morgane, ma mère m’a tout donné, tout le monde a été bon avec moi, mais je suis un être sans morale ni conscience voué à faire souffrir les autres. Je suis comme la fée Morgane, je voue mon existence à détruire ceux qui m’aiment, je n’aime personne sauf moi ! Je suis mauvaise ! VOILA QUI JE SUIS ! Cette phrase justifie tous mes agissements, et je devais la répéter, encore et encore, à en vomir, à un âge où je ne comprenais pas encore ce qu’elle signifiait ! JE SUIS CETTE PUTAIN DE PHRASE ! Je pensais m’en être défaite après toutes ces années, mais pas à vos yeux ! Elle me colle à la peau, Elle a gagné cette fichue tarée ! Elle m’a modelée comme Elle voulait ! Un monstre ! Un putain de monstre, c’est ce qu’elle a fait de moi ! Je détruis tout ! C’est bien ce que tu veux me dire Julia, hein ? Je TE fais du mal, je fais du mal à Amélie ! JE SUIS LA RESPONSABLE ! Mais qui est le véritable monstre ? Tu m’as fait croire que j’avais le droit d’être aimée putain ! J’y ai cru, j’ai cru que j’avais le droit d’être heureuse ! Pourquoi m’avoir foutue dans ce mirage pour tout détruire après ? C’est toi le monstre ! C’est toi qui m’as fait espérer là où je n’avais plus le droit d’espérer ! Je ne mérite pas d’aimer et d’être aimée ! JE N’EN AI PAS LE DROIT ! Vous m’avez toutes les deux fait croire que j’avais le droit au bonheur, toi, Marraine, en me faisant miroiter un procès qui n’a été qu’un échec et en m’abandonnant dans ce bordel ! Et toi, Julia, en me bousculant, en me courant après, en m’envahissant de tes belles intentions, de ton amour inconditionnel ! TOUT CA POUR ME FAIRE SOUFFRIR ! POUR ME DETRUIRE ! Vous avez trouvé ma faille, bravo ! J’espérais avoir droit au bonheur ! Mais je dois me faire une raison n’est-ce pas ? Je suis Morgane, je suis foncièrement mauvaise ! Mais c’est bon, vous m’avez abattue ! Prenez tout ce que voulez, enlevez-moi Amélie, foutez-moi à la rue, tuez-moi je m’en fous ! C’EST VOUS LES MONSTRES !! C’EST VOUS !!! C’EST ELLE !!!!! C’EST ELLE !!

Morgane s’arrêta brutalement dans son monologue cinglant, la respiration rapide, les yeux dans le vague. Elle tremblait de tous ses membres.

Elle poussa soudainement un hurlement déchirant, venu du fond de ses entrailles, griffant son visage. Elle explosa en sanglots bruyants, ses bras enveloppant son torse, tentant de contenir l’assaut de douleur qui la fouettait. Je demeurai les bras ballants, n’osant pas encore l’approcher, paniquée en entendant son discours et en voyant son hystérie. J’étais figée, assommée.

Elle se recula alors jusqu’au mur auquel elle s’adossa, puis se laissa tomber à terre, épuisée, le visage ruisselant de pleurs intarissables et bruyants. Nous restâmes là, à l’observer, incertaines de la conduite à tenir. 

Lorsqu’elle reprit la parole au milieu de ses sanglots gémissants, sa voix était chevrotante, incertaine, la douleur remplaçant la colère. Ses larmes redoublèrent, témoins silencieuses du bouleversement de ses émotions.  

_ Quelle ironie n’est-ce pas ? Le seul moyen pour me protéger, c’était d’être aussi monstrueuse et sans pitié qu’elle… Qu’à mon tour, je commence à tout détruire autour de moi… Je suis comme elle, finalement vous avez bien fait de me rendre définitivement folle avant que je fasse trop de mal…

_ Morgane, hasardais-je, tu n’es pas comme elle.

Ses larmes continuèrent de couler, les yeux fixant le vide, ignorant mon intervention. Elle s’essuya le visage maladroitement de ses mains tremblantes.

_ Pourquoi vous êtes-vous acharnée sur moi ? questionna-t-elle d’une voix faible. Pourquoi sur moi et pas sur Elle ? Elle le méritait. Pourquoi vous êtes-vous alliées pour me détruire, pour détruire mon monde, mon seul moyen de survie ?... Vous avez réussi, félicitations, vous m’avez brisée, mais je fais quoi moi maintenant ? Je fais quoi de… de toute cette… peur, cette… souffrance… Vous y avez pensé à ça ? Dîtes-moi ce que vous avez prévu après pour que je survive à tout ça, dîtes-moi que vous avez prévu quelque chose, je vous en prie…

Cette fois-ci, je ne pus empêcher les larmes de dévaler sur mes joues en entendant ses suppliques. Lisiane ne m’avait pas lâché, pour me retenir, ou pour s’y raccrocher. Je m’en dégageai sèchement et me précipitai sur Morgane qui s’était recroquevillée en position fœtale, le corps secoué de sanglots. Je m’accroupis à ses côtés et l’enlaçais en blottissant ma tête dans son cou. Elle s’agrippa derechef à ma tunique d’une poigne de fer, se raccrochant à moi comme un naufragé à un rocher. Ses pleurs étaient sans interruption, déversant toutes les larmes que n’avait jamais pu verser la petite fille blessée qu’elle avait préservée malgré tout.

_ Je suis là, lui murmurai-je. Je suis là et je ne te lâcherai pas.

Elle renifla un grand coup avant de bégayer dans mon oreille. Un poing reposait sur son cœur, comme pour tenter de retenir tout ce qui se déversait dans sa cage thoracique.

_ Mais ça fait mal, putain ! Beaucoup trop mal…

_ Je sais Morgane… Pardonne-moi…

C’est à ce moment-là que Lisiane choisit de se rappeler à notre souvenir, se raclant la gorge discrètement. Je jetai un œil vers elle, et Morgane releva la tête dans sa direction. Elle était toujours plantée au milieu du salon, là où je l’avais laissé. Je sentais, dans son regard, toute l’incertitude qu’avaient provoquée les reproches de Morgane. Avait-elle encore le droit d’être là ?

_ Morgane… Je voulais juste te dire que si on a fait ça, c’est justement parce que contrairement à ta mère, tu pouvais encore être… sauvée ? Peut-être que tu te sentais en sécurité, mais tu ne pouvais pas être heureuse. Et pourtant, je ne connais personne d’autre au monde qui le mérite plus que toi. Et tu as raison, il était temps que je fasse quelque chose pour toi, même dix ans plus tard, même si je te perds à nouveau après.

Sa nièce la regarda fixement pendant un temps, la jaugeant. Ses larmes continuaient de s’écouler toutes seules, maculant ses joues. Lisiane demeurait là, sans bouger, mal à l’aise, attendant le verdict de Morgane. Je croisai intérieurement les doigts en espérant qu’elle ne serait pas trop sévère malgré la douleur.

Morgane se releva alors, chancelante. Ses mouvements étaient si lents qu’elle donnait l’impression d’être couverte d’hématomes. Ce qui, psychiquement, devait être l’exacte réalité. Elle s’installa sur une chaise, la plus proche d’elle, avec soulagement. Elle se saisit d’un mouchoir pour essuyer ses pleurs autant que possible, et resta à le contempler avant de murmurer d’un ton calme et froid :

_ J’ai bien trop mal pour pouvoir être compréhensive et déjà te remercier. Tu m’excuseras d’être égoïste pour le coup, mais il va falloir que je gère tous les démons que vous avez extraits des boites avant de m’inquiéter des démons des autres.

Je fermai les yeux en soupirant, toujours accroupie par terre. Je me redressai en observant le visage décomposé de Lisiane, qui devait supporter le rejet de sa nièce la journée de leurs retrouvailles. Son visage décomptait vingt ans de plus.

_ Je crois que je ferais mieux d’y aller alors, murmura-t-elle d’une voix brisée.

Morgane releva alors la tête, les sourcils relevés.

_ J’ai besoin de temps et d’espace, oui.

J’ouvris grand les yeux devant les propos sans pitié de Morgane. Je n’avais aucun droit de la juger dans l’instant présent, mais cette scène me déchirait les entrailles. Et, égoïstement, me faisait me demander quand serait mon tour. Elle se mit lentement debout, et s’agrippa un moment à la chaise en fermant les yeux, stoppant un éventuel vertige. Je l’observai avec inquiétude. Elle semblait tellement faible à présent…

Lorsqu’elle rouvrit les yeux, elle les posa sur Lisiane et s’avança lentement à sa hauteur.

_ Marraine, je ne veux pas te rejeter. Ni te perdre à nouveau. J’ai juste besoin de temps et d’espace, comme je te l’ai dit. Accorde-les-moi s’il te plait.

Lisiane eut un léger sourire sans conviction, et porta sa main à la joue de Morgane, la caressant.

_ Bien sûr, ma chérie. J’attends ton coup de fil alors ? fit-elle, hésitante.

Sa filleule hocha la tête, sans un mot de plus. Nous la vîmes alors toutes deux fermer les yeux et chercher à tâtons le dossier de la chaise auquel elle se maintenait auparavant tandis qu’elle chancelait à nouveau.

J’eus juste le temps de tendre ma main pour agripper la sienne que mon autre bras dû rattraper son corps entier, prêt à s’écrouler.

_ Morgane ! appelai-je, inquiète.

Une légère pression sur ma main me fit comprendre qu’elle était toujours éveillée, et je l’installai lentement sur la chaise que Lisiane avait rapprochée. Je m’accroupis à ses côtés, repoussant les mèches de cheveux évadées pour voir son visage pâle, sans couleur.

_ Morgane, qu’est-ce qu’il y a ?

Elle inspira un grand coup et porta la main à son front. Sa voix s’échappa en un murmure faible.

_ Des vertiges. Une faiblesse générale. Un manque de sucre. Un contrecoup. J’en sais rien.

Je vis alors Lisiane, que j’avais complètement occultée de mes pensées, s’approcher avec un sucre verdâtre à la main et une boite que je ne pris pas le temps d’observer. Je la regardais, interloquée par la couleur pas très orthodoxe de son sucre.

_ Je l’ai arrosé du sirop de menthe que j’ai trouvé dans le placard là-bas, répondit-elle à ma question muette. Ça rajoute du sucre et c’est plus facile à avaler. Prends ça Morgane, ça te fera du bien.

Celle-ci obtempéra sans mot dire, avalant le sucre avec une grimace. Nous restâmes à l’observer quelques minutes, pendant qu’elle laissait son corps digérer l’apport. Elle tendit alors une main lente et tremblante vers la boite en fer que tenait encore Lisiane. Comprenant sa demande muette, celle-ci l’ouvrit rapidement, laissant apparaitre plusieurs biscuits de formes et de couleurs diverses : bottes, roulés, anges, lapin, kangourou, nounours… Il y en avait des noirs, que je supposais au chocolat, des jaunes pâles, que je supposais à la vanille, et des marrons clairs, qui me laissèrent dubitative sur le goût à associer. Dans tous les cas, c’était de la pâtisserie maison.

A ma grande surprise, Morgane eut un temps d’arrêt en apercevant lesdits gâteaux, avant de murmurer d’une voix légèrement émue :

_ Des sablés de Noël… ceux que tu me faisais quand j’étais petite

Elle leva les yeux vers sa marraine, dont le visage était embelli par un tendre sourire.

_ Je sais que ce n’est pas l’époque, mais je n’en ai jamais refait depuis… Et je ne pouvais pas te revoir sans en avoir. C’est étrange, mais je me suis toujours imaginé que l’on se retrouverait avec ses biscuits entre nous.

Morgane ne répondit pas, et n’attendit qu’une fraction de seconde avant de saisir un énorme Mickey au chocolat. Pour ma part, je me demandais comment Lisiane avait pu faire des biscuits maison alors qu’elle vivait dans un hôtel depuis plusieurs jours, et que j’étais certaine qu’elle n’avait pas emmené cette boite avec elle lorsque nous avions pris la route en pleine nuit.

Une demi-heure plus tard, nous étions toutes assises à table, en silence, dévorant biscuits sur biscuits. Alors que je me saisissais de ce qui devait être une chaussette marron clair – qui s’avérait être à la cannelle – le surréalisme de la situation me choqua. Quelques minutes après la véritable explosion de Morgane, nous voici toutes les trois attablées à manger des gâteaux.

Après une légère réflexion, je mis ça sur la nécessité de se retrouver dans une situation commune, afin de se rassurer après ce que nous venions toutes de vivre. Mais je n’étais certaine de rien.

Un instant plus tard, Morgane se redressa, un peu moins chancelante.

_ Faut que j’aille m’allonger…, fit-elle d’une voix faible.  

Ce fut alors sans surprise que Lisiane et moi la vîmes s’endormir dans l’antre moelleuse du canapé, presque sans coup férir.

Presque soulagée.

C’est moi, Julia.

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Commentaires
P
Quel réalisme....
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V
Putain!<br /> <br /> C'est vulgaire mais c'est le seul mot qui me vient à l'esprit maintenant<br /> <br /> bravo Claire que d'émotion dans ce chapitre <br /> <br /> tu as sublimement retranscrit les émotions de Morgane<br /> <br /> je suis fan totalement accro<br /> <br /> vraiment sincèrement ébloui par ce chapitre pfffff sublime....<br /> <br /> merci!!!!!!!!!!!
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C
Je ne jete pas la pierre à Morgane loin de la. <br /> <br /> Julia sans s'en rendre compte la rendu vulnérable... Elle a brisé cette carapace qui la protégeait de cette peur, de cette souffrance! Il est plus facile de ne pas avoir peur quand on a rien à perdre... <br /> <br /> Alors oui Julia est responsable de son mal être et les reproches de Morgane sont justifiés. Mais peut on reprocher à quelqu'un d'avoir fait naître l'amour en nous...<br /> <br /> Pour la mère de Morgane savoir qu'il existe encore pire dans la vrai vie ne me rassure franchement pas!!! Mais bon je ne suis pas naïve au point de l'ignorer c'est juste que mon coeur de maman devient fou lorsque l'égocentrisme d'une mère fait autant de mal à sa propre chair
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C
Pffff quel chapitre... <br /> <br /> Les remparts cèdent enfin, mais à quel prix!! <br /> <br /> <br /> <br /> Je m'attendais à ce que Lisiane prenne cher mais je m'attendais pas à ce que Julia ai le droit elle aussi à autant de reproches... <br /> <br /> <br /> <br /> Pauvre Morgane la phrase apprise par coeur fait froid dans le dos!! Et surtout elle me donne des envies de meurtre sur sa génitrice!! Comment peut on faire subir ça a un enfant!! Encore pire à SON enfant!!! <br /> <br /> <br /> <br /> Plus les chapitres passent et plus j'ai hâte de lire les suivants... Alors vivement mardi!! <br /> <br /> <br /> <br /> Merci bcp pour ce chapitre riche en émotions
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J
un chapitre fort en émotions... dire qu'il faut maintenant attendre mardi.... tu vas me rendre chèvre.... XD
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