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Petits écrits de la Main Gauche
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Samedi 18 novembre 2023 :

PUBLICATION DU TOME 1 DE CAUGHT IN THE MIDDLE LE 18 NOVEMBRE 2023
Pour s'y retrouver avant la lecture : Avant-Propos The Legend Of Zelda

- Caught in the Middle (fanfiction du jeu Zelda Breath of the Wild) =>
T2 achevé ; T3 en cours d'écriture.

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23 juin 2015

C'est moi, Julia - Chapitre 35

Lisiane et moi restâmes un instant silencieuses, comme savourant cet instant de paix. Pour ma part, je commençais tout juste à réaliser ce qu’il s’était passé. C’était fini. Le combat était fini. La carapace de Morgane s’était écroulée, et toutes les cartes étaient à présent entre ses mains. Je n’avais plus aucun pouvoir, mon rôle était achevé.

Une drôle de sensation m’envahissait le ventre. Je m’étais habituée au mystère qui enveloppait Morgane, à cette histoire sombre à laquelle je n’avais pas accès. En une semaine, tout avait été bouleversé. Non seulement j’avais appris ce qui la rongeait, mais j’avais également poussé la personne que j’aimais le plus au monde dans ses derniers retranchements. Concrètement, j’avais tout fait pour la faire souffrir.

Etrange réalité que l’amour, en somme.

Epuisée, je me secouai intérieurement pour vider mon esprit de toutes ces réflexions. Advienne que pourra.

_ Comment est-ce que vous avez pu faire des biscuits en étant dans un hôtel, Lisiane ?

Celle-ci releva brusquement la tête, surprise par ma question. Elle arrivait comme un cheveu sur la soupe, j’en avais bien conscience. Mais c’était la première chose anodine qui m’était passée par la tête.

Lisiane haussa les épaules, sans l’ombre d’un sourire.

_ Une amie, que je n’avais pas revue depuis longtemps. On a fait une après-midi pâtisserie, comme avant.

_ Attention Lisiane, vous prenez des habitudes de personnes âgées… fis-je pour détendre l’atmosphère, maladroitement.

Lisiane esquissa à peine un sourire, ne prenant pas la peine de répondre. Elle n’était plus que l’ombre d’elle-même, et dardait son regard pénétrant sur le canapé, sur sa nièce, sur Morgane, qui dormait.

J’abandonnai l’idée de changer de sujet. Nous étions toutes les deux bien trop envahies par les derniers évènements. Le silence se réinstalla, tandis que j’observai Morgane également, m’interrogeant sur les rêves que son esprit pouvait créer après qu’une telle tornade l’ait dévastée.

_ Elle est si belle, murmura soudainement Lisiane.

Ce n’était certainement pas moi qui allais la contredire, même si je trouvais que son admiration était des plus insolites pour une aïeule. Mais effectivement, Morgane était une femme magnifique. Son visage était étrangement détendu, en contraste total avec les émotions qu’il avait exprimé il y avait peu de temps. Son teint de nacre, sans la moindre imperfection, émettait comme une faible lueur, auréolée de la couronne de ses cheveux de jais en désordre. Ses lèvres ourlées dessinaient une courbe parfaite, légèrement rosée. Son corps était fin, presque frêle, mais les courbes gracieuses de ses muscles étaient solides.

Je me remémorai alors un de nos moments passés, dans l’antre douillet et rassurant de notre chambre. Nous avions fait l’amour peu de temps auparavant, nos corps portant encore les stigmates de nos ébats empreints de cette passion urgente, violente et déchirante qui nous consumait. La couverture avait été expulsée hors du lit, ainsi que les oreillers, où s’emmêlaient nos silhouettes épuisées.

Morgane était allongée sur le dos, en diagonale, les jambes écartées. « Pour faire sécher », m’avait-elle dit une fois sans la moindre classe, entrainant un fou-rire incontrôlable. A cet instant, j’étais posée sur le flanc, à ses côtés. D’une main, je caressais lentement sa peau recouverte d’une fine pellicule de sueur, absorbée dans les dessins imaginaires que j’esquissai.

_ Tu sais que tu as un corps magnifique ? avais-je murmuré.

Morgane avait eu un instant d’arrêt. Je savais qu’elle m’observait, mais je ne relevais pas la tête, continuant mon œuvre sur son épiderme brulant.

_ Si tu oublies les seins ridiculement petits, mon absence quasi-totale de hanche… Bref, si tu le considères comme le corps d’une ado, peut-être est-il beau. C’est con, j’ai plus de 20 ans et ma puberté est loin derrière moi…

J’avais gloussé, mon esprit planant dans une plénitude parfaite. Je m’étais alors redressée et m’étais installée à cheval sur son corps, un léger sourire flânant sur mes lèvres. Mes yeux s’étaient posés un instant sur les siennes, encore rougies et gonflées de notre étreinte.

_ Des petites hanches…

Je lui chatouillais légèrement cet endroit, lui arrachant un gloussement.

_ Des petites fesses, fis-je en réitérant mon geste sur les concernées. Des petits seins, rajoutai-je en les pinçant doucement.

Morgane se tortillait comme une anguille sous moi, tentant de se soustraire à mes mains inquisitrices.

_ Des petits pieds, continuai-je en me penchant en arrière.

Je n’eus pas le temps de les saisir que Morgane s’était redressée pour m’en empêcher.

_ NON ! Pas les pieds !

Un combat s’était alors engagé entre nous, nos deux corps s’entortillant pour prendre le pas sur l’autre, et l’empêcher de toucher à des zones particulièrement sensibles aux éclats de rire.

Après un rodéo des plus épuisants pour rester en selle, j’étais parvenue à bloquer Morgane sur le lit, lui tenant les poignets au-dessus de la tête.

_ C’est une vérité générale : tout ce qui est petit est mignon.

Nos lèvres s’étaient alors unies passionnément, avant que nos mouvements s’enchaînent dans une bataille moins amusante mais tout aussi plaisante.

Un sourire s’installa sur mes lèvres alors que je me remémorai cet instant si léger, ne lâchant pas la silhouette assoupie de Morgane du regard.

Comme toujours lorsque je l’observai ainsi, une certaine fierté m’envahissait de savoir cette beauté exclusivement destinée à mes seules étreintes. Je sentais, cependant, que la déclaration de Lisiane n’était pas uniquement liée à l’indubitable splendeur corporelle de ma femme.

Je me tournai donc vers elle, interrogative, m’arrachant à contre cœur à la vision de Morgane.

_ Evidemment que je parle de la beauté de son corps, Julia, reprit-elle, répondant à ma question muette. Un aveugle ne s’y tromperait pas sur ce point. Mais…

Lisiane inspira un grand coup, tandis que je me sentais rassurée en constatant qu’elle n’avait pas totalement perdu son mordant.

_ J’ai toujours su qu’elle était dotée d’une personnalité extrêmement forte. Mais lorsque j’ai perdu tout contact avec elle, j’étais presque certaine que toutes ces années de souffrance que je ne pouvais plus lui éviter allaient la détruire. Et en la voyant aujourd’hui… je craignais de la retrouver voutée, plus âgée qu’elle ne le devrait, maigre, affaiblie, fragile… Ou au contraire, effroyablement sèche, rigide, sans plus aucune lueur dans le regard. Mais… toute sa beauté, si présente déjà lors de son enfance, est intacte. Sa posture est droite et fière, et ses yeux sont brillants de vie préservée. Elle a réussi à protéger qui elle est réellement. Une petite fille fragile drapée d’un caractère d’une force impressionnante. Tous mes vœux les plus chers ont été exaucés, et elle en est la seule responsable. La beauté de son corps n’est que l’exact reflet de celui de son âme… Elle est magnifique.

J’esquissai un sourire d’approbation, ne trouvant rien d’autre à ajouter, et me retournai à nouveau vers la principale concernée. Attendrie par le spectacle de ma reine endormie, je me levai pour me diriger vers le canapé. Occultant totalement la présence de Lisiane, je me saisis du plaid posé sur le dossier et l’en recouvris délicatement, songeuse. Je m’accroupis alors à ses côtés et repoussai une mèche de cheveux égarée, l’observant, sans pensée précise.

_ Et vous allez parfaitement ensemble, rajouta Lisiane.

Je me tournai à nouveau vers elle, esquissant un sourire. Je ne trouvais pas les mots, et je n’en avais guère envie. Le silence qui nous nimbait était pour moi des plus parfaits.

Un instant s’écoula pendant lequel je demeurai accroupie, caressant le visage de Morgane. Je sursautai lorsque la chaise de Lisiane racla le sol. Je me tournai vers elle et la vit prendre son manteau avec stupeur. Je me redressai alors, interloquée.

_ Qu’est-ce que vous faîtes ?

Alors qu’elle enroulait son écharpe autour de son cou, elle me jeta un regard plein d’empathie, un léger sourire sur le visage.

_ Je ne veux pas gâcher des retrouvailles qui peuvent être très… gymnastiques…

Je fronçai les sourcils, bien plus que dubitative sur la probabilité d’une telle issue à cette journée.

_ Lisiane… Ce genre d’activités n’est pas vraiment d’actualité, enfin.

_ Hum, petite ingénue va…, répliqua-t-elle avec un sourire coquin. Reste que mon rôle est terminé pour aujourd’hui.

_ Morgane voudra vous voir en se réveillant.

Elle réajusta son manteau, attachant tous les boutons précautionneusement. Elle gardait son visage rivé vers le sol.

_ N’en sois pas si certaine…

_ Lisiane, les reproches qu’elle vous a faits…

_ Je sais, Julia, m’interrompit-elle, un peu sèchement.

Je restai coite un instant, ne m’attendant pas à une telle réaction. Peut-être savait-elle effectivement que Morgane n’allait pas définitivement la rejeter, mais les plaies que tout ceci avait causées étaient clairement à vif.

_ Désolée, Julia, reprit-elle doucement, me regardant. Je suis, moi aussi, épuisée. Je n’ai plus vingt ans… Morgane a besoin de se retrouver, de s’apaiser. Ma présence est liée à bien trop de questions pour qu’elle y parvienne. Elle a besoin de se retrouver dans son environnement, avec toi, que vous vous retrouviez toutes les deux.

_ Vous m’avez déjà fait le coup à l’hôpital, vous n’allez pas à nouveau vous effacer. C’est votre nièce, que vous n’avez pas vu depuis dix ans.

_ Inutile de me rappeler ces points. Mais il est normal que je m’efface. Tu es prioritaire. Tu es son rocher, sa bouée et sa faille. Ces derniers temps, tu étais la personne la plus chère à son cœur tout en étant sa pire ennemie. Il est temps pour vous de remettre tout ça à plat, pour vous deux. Ma relation avec elle est secondaire, elle a bien fait avec mon absence pendant dix ans. La tienne par contre, est primordiale à son équilibre actuellement.

_ Votre lien n’est pas secondaire, ou elle ne m’aurait pas envoyée vers vous. Morgane ne fait rien au hasard.

Elle poussa un soupir devant mon entêtement, tandis qu’elle se saisissait de son sac à main.

_ Julia, je te dois d’avoir exaucé mes rêves les plus fous. Jamais je n’aurais cru la revoir, et si tu n’étais pas entrée comme un typhon dans sa vie, et si tu n’avais pas tenu bon tout ce temps, ça ne serait jamais arrivé. Je te le dois Julia, alors laisse-moi te rendre les plus petits services que ce soit. Et de toute façon, moi aussi je dois prendre de la distance avec tout ce qu’il s’est passé ces dernières heures.

Ne sachant plus quel argument apporté, et voyant bien qu’elle n’en démordrait pas, je capitulai, non sans grommeler.

Je lui proposai de la raccompagner en voiture, mais elle refusa, affirmant que marcher un peu lui ferait du bien, et que de toute façon, elle ne rentrerait pas tout de suite à l’hôtel. Qu’elle préférait avoir du monde autour d’elle pour l’instant.

La minute suivante, j’observai sa petite silhouette s’éloigner lentement, jusqu’à ce qu’elle disparaisse de ma vue.

 

****

 

Un crépuscule grisâtre et glacé commençait à s’étendre lorsque je terminai ma cigarette. Ne supportant plus l’odeur de tabac froid qui s’était répandue dans la maison ces dernières heures, j’avais choisi de m’emmitoufler pour aller fumer dehors. Le froid ambiant semblait redonner un coup de fouet à la léthargie de mes muscles, engourdis de chaleur et de fatigue. Ce petit bol d’air m’apportait une certaine sérénité.

Je venais tout juste de raccrocher avec Amélie. La petite avait sauté sur le téléphone en arrivant chez son amie, visiblement. Elle m’avait juré avoir tout fait pour rester concentrée à l’école, et de ne pas avoir fait trop de bêtises. Refusant d’expliquer clairement ce qu’il s’était passé, je lui avais juste dit que nous avions beaucoup parlé, que nous nous comprenions davantage, que les choses étaient en bonne voie, je l’espérais. Elle croyait en moi, m’avait-elle dit, je ne pouvais que réussir. L’aveugle confiance qu’elle me destinait m’effrayait quelque peu, dans ces moments-là.

Je rentrai doucement dans la maison, ne souhaitant pas réveiller Morgane, toujours assoupie depuis plusieurs heures maintenant. Une fois débarrassée de mes atours extérieurs, je me dirigeai vers la cuisine, coupant le feu sous la soupe que j’avais préparée. Cuisiner m’avait également apaisée, et un bon bol de soupe me semblait le repas le plus requinquant de toute l’histoire de l’humanité.

Cette activité n’avait pas pour autant empêcher mon esprit de vagabonder d’interrogations en questions, retraçant paresseusement les évènements de ces derniers jours. Je prenais conscience que malgré ses mots durs, Morgane avait accepté dès le début ce qui l’attendait. Elle m’avait accordé ces deux jours en toute connaissance de cause, m’avait laissée manœuvrer la barque. Elle savait que mon but ultime était de briser ses remparts, et mine de rien, elle me l’avait quasiment demandé, lorsque l’on s’était vues au café. Peut-être était-ce inconscient, mais j’étais persuadée que c’était elle qui m’avait donné cette mission, et que les reproches acerbes qu’elle avait déversés n’étaient liés qu’à la peur et à la souffrance qu’elle éprouvait maintenant.

Tout du moins, je l’espérais. Tout cela restait néanmoins théorique, basé sur ma connaissance de Morgane. Mais j’ignorais quelle serait la personne qui allait se réveiller. Même si c’était à sa demande inconsciente, qui pouvait m’assurer que ce qu’elle éprouvait maintenant n’était pas trop douloureux pour qu’elle puisse me pardonner ? Ou m’étais-je réellement fourvoyé ? N’avait-elle eu comme seule idée de créer une alliance contre sa mère, n’imaginant pas qu’elle serait notre cible prioritaire ? Lisiane et moi étions persuadées que la libérer de ses défenses était nécessaire à son bonheur. Mais n’avions-nous pas fait plus de mal que de bien, finalement…

Alors que je contemplais le paysage assombri à la fenêtre, un froissement de tissu parvint à mes oreilles. Je me retournai pour voir Morgane assise, le visage dans les mains.

_ Bonjour, fis-je doucement, presque un murmure.

Elle se retourna, posant son regard sur moi, esquissant un pâle sourire.

_ Tu as bien dormi ?

Elle hocha la tête, toujours silencieuse. Mon cœur battait à tout rompre, ignorant que penser de son mutisme. Le faible sourire qu’elle m’avait adressé me rassérénait tout de même sur son attitude plutôt positive me concernant.

Je m’approchai d’elle et m’assis à ses côtés, tandis qu’elle fixait le vide devant elle. Je rangeai délicatement une mèche de cheveux derrière son oreille sans qu’elle bronche.

_ Comment te sens-tu ?

Elle resserra le plaid autour de ses épaules, réprimant un tremblement.

_ J'sais pas, fit-elle d’une voix basse et rauque. Bizarre.

Je me levai, sans un mot. Je servis alors un bol de soupe, persuadée que cela lui ferait le plus grand bien. Transportant précieusement le liquide vacillant, je vins le poser délicatement sur la table basse, m’installant par la suite sur le fauteuil, à ses côtés.

Voyant qu’elle demeurait toujours prostrée dans son silence sans même percevoir les odeurs qui se dégageaient du récipient posé devant elle, je tendis la main afin de saisir la sienne, posée sur son genou. A peine l’eussé-je frôlée qu’elle la retira vivement. Ce rejet physique, presque inconscient de sa part, me poignarda le cœur.

_ Morgane, je…murmurai-je, la voix brisée.

Elle n’eut aucune réaction. Une crainte sourde m’envahit, une larme perlant au coin de mes paupières. Hésitante, je posai à voix basse la question qui me broyait le cœur :

_ Tu veux que je parte ?

J’étais tout bonnement incapable de faire une phrase plus construite. Je craignais un rejet total de sa part, et j’avais une peur bleue de la laisser seule dans cet état.

A peine eussé-je finis ma phrase qu’elle ouvrit grand les yeux, un éclair de panique les traversant, et que sa respiration s’accéléra derechef. Elle me saisit la main brutalement.

_ NON ! Ne me laisse surtout pas toute seule je t’en prie !

Sa voix était suppliante, agonisante. Je m’accroupis de suite à ses côtés, ramenant sa main contre mon cœur, embrassant ses doigts. J’étais soulagée d’avoir le droit de la toucher, finalement. Et de l’avoir sortie de son mutisme.

_ Chht calme-toi. Je ne vais nulle part si tu ne me le demandes pas. Je pensais juste... après ta réaction et ce que tu as dit tout à l’heure…

Elle secoua mollement la tête.

_ Je… je ne sais plus ce que j’ai pu dire, c’est flou dans ma tête… J’ai l’impression de me réveiller du coma après qu’un poids-lourd m’ait roulé dessus…

Je caressai son visage, repoussant les habituelles mèches rebelles qui y trainaient, avec un léger sourire.

_ Ce n’est pas grave ma chérie. Rien n’est grave. Qu’est-ce que tu ressens ?

Elle s’affala sur le dossier du canapé en soupirant, posant un bras sur ses yeux. Je pus tout de même discerner quelques larmes qui s’évadaient à nouveau.

_ Je ne sais pas. Tout est embrouillé, flou. J’ai juste… juste super mal, comme un trou béant dans ma poitrine qui… vomit des litres et des litres de douleur… Comme si une barrière avait explosé en moi…

_ Je crois bien que c’est exactement ce qui s’est passé, Morgane.

Elle retira son bras en soupirant, fixant le plafond, le regard vide.

_ Peut-être…

De nouvelles larmes firent leur apparition, et elle renifla un grand coup.

_ Putain, grogna-t-elle en s’essuyant les yeux, j’arrête pas de chialer comme une madeleine en plus…

Je restai un instant à la fixer, surprise, avant d’exploser de rire. Sa réaction, si humaine, si spontanée, était un pur soulagement, un véritable bonheur. C’était égoïste, mais j’étais heureuse. Elle avait mal, elle était en larmes, elle était perdue, mais moi je la retrouvais. Morgane me regarda les sourcils levés, l’incompréhension bien lisible dans son regard.

_ Qu’est-ce qu’il y a ?

Je tentai de calmer mon hilarité nerveuse avant de répondre. Je ne pouvais pas dire, clairement, le bonheur que provoquait sa souffrance. Alors je sortis la phrase qui me semblait la plus véridique en lui caressant la joue :

_ Merci d’être revenue, c’est tout…

Elle continua à me regarder, interloquée. Pour ma part, je fixai ses grands yeux bleus redevenus si clairs, si profonds. Je rentrais chez moi.

_ T’es bizarre, Julia…

Sa remarque m’arracha un nouveau ricanement, un peu nerveux tout de même. Je déposai un baiser sur son front avant de me relever, ne pensant pas que le moment était bien choisi pour continuer cette conversation.

_ J’ai préparé une soupe, fis-je d’un ton léger.

_ Je n’ai pas faim, grogna-t-elle.

_ Je te rappelle que tu as été hospitalisée il y a moins d’une semaine parce que tu étais déshydratée et en hypoglycémie. Alors tu vas avaler quelque chose, ça te fera du bien.

_ J’ai froid.

Je réinstallai doucement le plaid pour la couvrir entièrement, avec un léger sourire.

_ Manger te réchauffera également.

_ Je n’ai pas faim, répéta-t-elle entre deux reniflements.

_ Morgane… grondai-je gentiment.

Elle poussa alors un profond soupir, rapprochant le bol avec une moue dégoutée. En cet instant, elle ressemblait tellement à Amélie que le lien de parenté était plus que flagrant. Un soulagement immense m’envahissait, m’emplissait, me berçait dans son étreinte chaleureuse. Dans son malheur, Morgane ne devait même pas avoir conscience du cadeau qu’elle me faisait, en étant juste elle-même en cet instant.

Au fur et à mesure des cuillerées, il semblait que son appétit revenait, jusqu’à ce qu’elle vide entièrement le récipient. Je ne prononçai mot en débarrassant, bien que je laissai un léger sourire flâner sur mes lèvres.

Lorsque je me réinstallai à ses côtés, deux tasses de café brulantes dans les mains, Morgane continuait de fixer le mur, le regard vague. Elle était enveloppée dans son plaid, recroquevillée en position fœtale, et les larmes continuaient de couler sans interruption, dévalant de ses joues en un courant indubitable. Je m’interrogeai sur le cours de ses pensées, mais n’osai pas engager la conversation. Malgré le calme apparent de Morgane, j’ignorais totalement ce que j’avais le droit de dire, ce que j’avais le droit de demander.

A mon grand soulagement, ce fut elle qui rompit le silence :

_ Tu as eu des nouvelles d’Amélie ?

Je hochai la tête en avalant une gorgée bien chaude.

_ Je l’ai eu au téléphone. Elle t’embrasse.

_ Qu’est-ce que tu lui as dit ?

Je haussai les épaules, lui jetant un rapide coup d’œil.

_ Rien de précis. Que nous avions beaucoup discuté, et que maintenant tu te reposais.

Morgane ne répondit pas. Dans notre entente si particulière qui se reconstruisait au fur et à mesure, je sus qu’elle avait compris. C’était à elle qu’il appartenait d’expliquer les choses à Amélie. A elle de trier ce qu’elle avait besoin de savoir, et l’inutile.

_ Et où est Marraine ?

Cette habitude qu’elle avait préservée de l’appeler Marraine en toutes circonstances et malgré leur éloignement, me faisait sourire. De plus, cela était un excellent présage quant à leur relation future, ce qui était loin de me déplaire. J’appréciai réellement Lisiane.

_ Elle a préféré partir. J’ai essayé de la retenir, mais elle disait que l’on devait se retrouver, toutes les deux. Et elle avait besoin de digérer tout ce qu’il s’est passé aussi, je pense.

Morgane soupira, profondément, une grimace douloureuse déformant progressivement ses traits. Elle enfouit son visage entre ses mains, laissant un sanglot l’envahir. Je me précipitai pour l’enlacer, ayant du mal à saisir ce qui avait provoqué sa réaction.

_ Morgane… Chhhht… Calme-toi, Morgane… Qu’est-ce qu’il se passe ?

Elle hoqueta bruyamment, tentant de reprendre sa respiration entre deux sanglots.

_ Je suis désolée, Julia, désolée, désolée, désolée… Je…

Ses pleurs reprirent de plus belle, sans que je parvienne à en saisir davantage leur raison.

_ Mais de quoi, Morgane ?

_ De tout ce que j’ai dit, de tout ce que je vous ai reproché… de tout ce que je vous ai envoyé dans la gueule, alors que vous vouliez juste m’aider… ça… ça me revient peu à peu et je…

Elle renifla bruyamment, les yeux gonflés, son visage trempé par des larmes intarissables. 

_ Oh mon dieu, Marraine… Je la retrouve après toutes ces années, et je lui crache dessus comme ça… et toi, toi qui restes là, qui me consoles, après tout ce que je t’ai fait vivre, tout ce que je t’ai dit… Je ne te mérite pas, je ne mérite pas tout ça…

Ses pleurs redoublèrent intensément. Elle se blottit contre mon épaule, serrant ses mains contre sa poitrine ravagée. J’avais remarqué combien ce geste était signe de douleur chez elle, et combien il revenait ces dernières heures. Je la serrai davantage contre moi, l’enveloppant autant que possible de la chaleur de mon corps tandis que le sien était secoué de spasmes.

_ Morgane… Lisiane ne t’en veut pas. Je peux te le jurer. Les reproches que tu as faits, elle les attendait. C’est juste que c’est beaucoup d’émotions pour elle aussi, et elle pensait que tu avais besoin de te poser, alors que sa présence entrainerait d’autres questions. Je sais que tu vas avoir du mal à le comprendre mais elle n’attend qu’une chose, c’est que tu la rappelles. Que tu la rappelles, que vous alliez boire un café ensemble une fois que tout sera plus clair dans ta tête, et que vous mettiez à plat toutes ces années. Que vous vous retrouviez vraiment, sereinement…

Elle hocha faiblement la tête, tandis que ses pleurs s’apaisaient quelque peu. Je n’attendis pas d’autres réactions de sa part avant de continuer.

_ Est-ce que je peux te poser une question ?

Elle renifla à nouveau. Une chose était sûre, quelqu’un qui pleure, ça n’est jamais très glamour. Je n’ai jamais pu comprendre comment ils pouvaient faire passer ces instants comme romantiques dans certains écrits, parce que la fille pouvait être une pure beauté, elle finissait quand même le visage rouge et gonflé, le nez dégoulinant.

_ Vas-y, on verra si je peux te répondre.

Je poussai un profond soupir, un peu nerveuse. Je triturai rapidement un coin du plaid de Morgane, regardant fixement le mouvement de mes doigts.

_ Comment tu as vécu tout ça ?... Je veux dire… J’ai essayé plusieurs fois, avant, de te faire ouvrir les yeux, et là… Je ne suis pas heureuse de te voir si mal, mais… Enfin, tu m’as accordé un délai, tu as lâché des tas de trucs d’un coup, et… Et puis d’un seul coup tout à l’heure, enfin… Enfin, je veux dire, t’étais pas obligée de me laisser faire si ça te faisait si mal, et…

Je stoppai mon bégaiement de moins en moins clair tandis que Morgane se redressait, s’éloignant de moi. J’avais à nouveau cette impression d’être un funambule.

_ Je n’arrive pas vraiment à t’expliquer ce que je veux dire… C’est juste… Pourquoi ? Comment ?

Morgane, appuyée sur l’accoudoir opposé, se frotta les yeux, essuyant ses pleurs. Ceux-ci dévalaient encore sporadiquement ses joues, mais son visage s’était refermé, le désespoir y était moins marqué. Je ne savais comment interpréter ce changement de comportement, et la crainte recommença à faire surface. Elle ne me regardait pas, fixant toujours un point imaginaire devant elle.

_ Tu veux savoir ce qu’il s’est passé tout simplement. Savoir pourquoi cette fois-ci tout s’est écroulé… Et surtout connaitre le résultat. Hormis que je passe mon temps à pleurer.

Elle renifla à nouveau, soupirant. La tension me battait les tempes, le silence m’était insupportable.

_ Je crois que je n’ai pas vraiment de réponse à te donner, Julia, reprit-elle, d’une voix d’un calme contrastant avec les émotions de ces dernières heures. Probablement pas qui te convienne en tout cas. Pas aujourd’hui. Plus tard peut-être, quand j’aurais un peu… digérer. Ce que je peux te dire, c’est que ce qu’il s’est passé l’autre jour… enfin, hier matin…

Elle s’interrompit et se passa une main sur le visage. Je me rappelai alors comme un coup de poignard la violence dont j’avais fait preuve à ce moment-là à son égard. Il me semblait que des millénaires s’étaient écoulés depuis. Et au vu de la réaction de Morgane, il en était de même pour elle.

_ Ce qui s’est passé hier matin, était inimaginable pour moi avant. Je pense qu’aucune de nous deux ne pouvait imaginer en arriver à de telles extrémités. Et ça m’a fait peur Julia. Peur de voir ce que je te faisais, peur de te perdre, de nous perdre. Tu venais tout juste de me revenir… Il fallait essayer de résoudre le problème, et je savais qu’il venait de moi. Je savais que tu n’aurais jamais fait ça si je ne t’avais pas poussé à bout. Alors j’ai accepté. Pour nous, pour Amélie, pour toi.

Elle se saisit du paquet de cigarettes sur la table et s’en alluma une. Autant pour l’odeur de tabac froid. Je l’imitai.

_ Ensuite… Ensuite, j’ai essayé de comprendre, mais plus notre discussion avançait, plus j’avais peur… Mettre des mots sur… sur ça, c’était le rendre plus réel, le désigner, alors que même si j’en avais conscience, c’était vague, c’est une part de moi et… Et je ne peux pas t’expliquer exactement ce qu’il s’est passé. C’était trop tôt, je pense. C’EST trop tôt. Oui, quand on est sorties, de revoir tous ces lieux que j’ai soigneusement évités toutes ces années, oui, je me suis laissée entrainer, j’ai plongé dedans et ça m’a presque…  soulagée ? Mais en ce qui concerne ma mère…

Sa voix se brisa et un tremblement bien distinct la parcourut, indiquant qu’effectivement, le sujet était loin d’être réglé. De nouvelles larmes apparurent à nouveau sur ses joues, et elle tira une bouffée sur sa cigarette en une mimique douloureuse. Lorsqu’elle reprit la parole, c’était d’une voix chevrotante.

_ Parler de mon passé avec ma mère, parler de… ça… Je ne peux pas Julia. C’est… disons que tout ce que tu m’as dit, que la présence de Marraine… Disons que maintenant je sens que quelque chose s’est brisé en moi et que j’ai accès à… aux conséquences de mon passé, ce qui auparavant était fermé à double tour. Maintenant, il faut que j’arrive à vivre avec ça, à en faire quelque chose… à y faire face…

_ Tu penses faire comment ? demandai-je d’une voix douce.

_ En allant voir quelqu’un, probablement… Il est peut-être temps que je suive le conseil que je donne à la moitié de mes usagers…

J’esquissai un léger sourire, fugace. Après un instant de silence, je me raclai la gorge.

_ Et hum… le résultat ?

Elle se redressa un peu, se réinstallant plus confortablement. J’entendis ses genoux émettre des craquements sonores lorsqu’elle les déplia, se remboitant. 

_ Le résultat… Le résultat c’est que je ne contrôle plus rien, Julia. Tout… Tout m’envahit, des émotions sur lesquelles je ne parviens pas à mettre de mot, de raison derrière… Tout, tout semble prendre des proportions vertigineuses… Rien que quand tu m’as demandé si je voulais que tu partes… J’ai eu peur, et… Et c’est sorti comme ça… spontanément

_ Morgane, fis-je d’un ton léger. Sais-tu que c’est le lot de la majorité des êtres humains ?

Elle émit un faible grognement mécontent.

_ Oui, et bien pas moi. Et en toute sincérité, ça commence déjà à m’agacer. Mon dieu Julia, comment fais-tu pour rester à mes côtés ainsi… Tu as mis deux ans à m’épingler, et quelques mois après, je t’ai ignorée, bafouée, rejetée. Je suis une véritable adoratrice du sur-contrôle, je suis pleine de noirceur, de colère, je suis froide, distante, psychorigide… Et toi, toi tu es encore là ?

Je haussai les épaules.

_ Faut croire que j’ai des tendances sado-maso. Faudrait qu’on essaye, ça pourrait nous plaire.

_ Julia, je suis sérieuse, gronda-t-elle avec cependant, un léger sourire.

_ Moi aussi Morgane. C’est la deuxième fois que tu me dis ça depuis ton réveil, et je n’ai pas de réponse. Je crois que ça s’appelle juste l’amour, et qu’il n’y a pas à chercher plus loin. Je ne suis certaine que d’une chose, c’est que j’ai beau avoir essayé régulièrement depuis qu’on se connait, vivre sans toi n’a jamais été une réussite. Je t’aime et c’est tout. Avec tes mystères, tes noirceurs, ton sur-contrôle… Je les aime parce que sans eux, tu n’aurais jamais pu préserver la petite fille qui vit toujours en toi.

_ Elle est morte depuis bien longtemps cette petite fille, fit-elle en un ricanement lugubre.

_ Détrompe-toi. Les reproches que tu as pu nous faire tout à l’heure, c’est pas l’adulte froide et rigide qui les exprimait, c’était les douleurs d’une petite fille qui s’est tue pendant trop d’années, mais qui est bien là. Alors oui Morgane, je t’aime dans toute ta complexité parce que c’est tout ça qui l’a sauvée. Quant à moi… Comment je fais pour tenir le coup ? Je n’en sais rien, je l’ai fait, c’est tout. Oui, j’ai souffert ces derniers temps. Mais ce serait très con de ma part de partir maintenant que la bataille est terminée non ?

Elle redressa la tête, les sourcils froncés, et m’observa de ses yeux d’un bleu si brillant que j’eus un mal fou à ne pas y sombrer. Sa question, muette, était pour moi des plus claires.

_ Te retrouver, nous retrouver, ça vaut toutes les souffrances du monde, Morgane.

De retour chez moi.

C’est moi, Julia.

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Commentaires
R
Y a un truc bien en débarquant des années plus tard, c'est qu'on peux s'installer tranquille et savourer tes récits ( ouai ouai commentaire commun) de toute façon la frustration d'attendre m'aurait sûrement tuée tu te serais sentie coupable et .. bref c'est mieux comme ça. J'ai juste adorée les 2 celle là plus que l'autre mais uniquement car les personnages me parlent plus. C'est réellement un délice à lire, un véritable ascenseur émotionnel qui m'a mené des rires aux larmes de ma peur à la tendresse. <br /> <br /> Le truc moins bien quand on débarque des années après c'est qu'on a tout le loisir de voir que ça fait un petit moment que t'es pas active :'( ça c'est la lectrice obsessionnelle qui parle. L'être humain en moi elle se dit que t'as vie doit être bien rempli et espère pour le mieux, mais on s'en fout d l'humain, reviens !!! Te plaît ??<br /> <br /> Merci pour ces heures de lecture
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J
bon... j'ai pas laissé de coms mardi... malgré le fait que j'ai dévoré le chap à peine le mail reçu me prevenant de la publication XD... en fait ca va etre un commentaire mais pas vraiment pour commenter :P... mais juste pour dire... H - 24!!!!!... avant de decouvrir la fin de ce magnifique récit.... H- 24 avant d'avoir le big smile parce que je suis sure que ca se finira bien... mais aussi H -24 avant d'être littéralement dégoûtée parce que justement ce sera fini...
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A
Bonjour/Bonsoir x)<br /> <br /> Toute nouvelle lectrice subjuguée par tout ce talent ! Que dire à part WOW, tes écrits sont tout simplement exquis, c'est un vrai régal de lire chacun de tes chapitres. J'aime énormément la lecture, et encore plus quand c'est aussi bien soigné. On a vraiment l'impression de vivre le plein d'émotions auxquelles fait face Julia et toutes ses aventures. Un grand bravo ! Je ne trouve pas toujours d'histoires si bien écrites, si bien racontées, et la tienne m'a retenue dès les premières lignes, et j'ai hate de la suite ! Bon courage à toi ! x)
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C
Mon dieu que ça fait du bien de lire une telle suite!! <br /> <br /> Elles sont enfin réunies dans une ambiance sereine. Ça sent l'amour, le bonheur et ça j'adore!! <br /> <br /> Il manque plus que les retrouvaillle avec Amélie et leur famille sera au complet! <br /> <br /> Merci pour ce très beau moment
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C
Il y'a deux choses pour ma part qui me permettent toujours de faire une pause en me déconnectant l'esprit du taff', ce sont les jeux et la lecture ! La lecture par ma tonne de bouquins mais aussi par des fictions comme la tienne, alors merci pour ta plume en espérant que tu tombes jamais à court d'encre :p
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