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Petits écrits de la Main Gauche
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Samedi 18 novembre 2023 :

PUBLICATION DU TOME 1 DE CAUGHT IN THE MIDDLE LE 18 NOVEMBRE 2023
Pour s'y retrouver avant la lecture : Avant-Propos The Legend Of Zelda

- Caught in the Middle (fanfiction du jeu Zelda Breath of the Wild) =>
T2 achevé ; T3 en cours d'écriture.

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17 avril 2015

C'est moi, Julia - Chapitre 17

Je tournais en rond. En carré, en rectangle, en hexagone, j’étudiais toute la géométrie de mes pas fébriles.

Cela faisait deux minutes. Deux petites minutes et j’avais eu le temps d’explorer tous les recoins de ce hall somptueusement sordide. Tout était moderne, tout avait une place définie, rien ne dépassait. Les moindres surfaces brillaient à t’en crever les yeux et moi j’étais bloquée là pour une durée indéterminée.

Au fond, un ascenseur. Il me suffisait d’y entrer et de monter au deuxième étage. Salle 203. Une salle toute aussi rutilante, mais où mon âme s’était enfermée.

Trois minutes.

Après tout, c’était moi qui avais mis un point d’honneur à ne pas l’accompagner. Je considérais qu’au vu de la situation ma présence aurait eu tendance à compliquer les négociations. Si négocier était possible.

Quatre minutes.

Qu’importe. Je ne tenais plus. Je serai mieux à faire des ronds dans le couloir qu’à faire des carrés dans ce hall.

Je me dirigeai d’un pas mal assuré vers les portes coulissantes et appelai l’engin. Sans un bruit, il s’arrêta délicatement à ma hauteur et ouvrit son antre pour m’accueillir. Je restai un instant devant, hésitante. Une mélodie mielleuse et rabat-joie agressait mes tympans naïfs. Les portes se refermèrent.

Qu’allais-je faire dans ce couloir ? Rien de plus qu’ici, hormis courir le risque de rencontrer le diable en personne. Dans ce hall, je la verrai passer anonymement, elle ne tournerait même pas la tête vers moi. Je ne serai qu’une ombre dans cette salle. Face à la porte, elle sortirait et se retrouverait face à moi, et comprendrait. Elle saurait que j’étais la pécheresse qui avait perverti sa fille, que j’étais le démon dont il fallait protéger Amélie, sans doute possible. Je n’avais fait que l’apercevoir dans ce café à la Noël mais cette simple vision m’avait laissé un goût amer.

Et il fallait que Morgane se batte seule. Je la soutiendrais mais c’était son combat. Et s’il y avait Amélie ? Morgane devait pouvoir profiter de ces brèves retrouvailles autant que faire se peut. Et au vu des insanités que sa mère avait pu cracher en sa présence, je n’imaginais pas ce que les oreilles sensibles de cette enfant auraient à subir si j’étais là.

J’étais toujours face à l'ascenseur.

L’hôtesse d’accueil devait me prendre pour une folle.

Mon portable sonna dans mon sac, raisonna dans le hall immensément vide, me faisant sursauter. Je m’en saisis et fronçais les sourcils en voyant que la responsable de ce tintamarre n’était autre que ma petite brune.

« Te savoir en bas me réconforte. Elle ne l’a pas amenée. Je t’aime. »

Il ne m’en fallait pas plus pour rompre les digues qui m’entravaient. Je lui avais promis de me battre à ses côtés pour retrouver Amélie. Cette guenon ne l’avait pas amenée, elle n’avait même pas eu la sensibilité de leur permettre de se voir en un lieu neutre.

J’avais tort. Ma place était à ses côtés, et nulle part ailleurs.

J’appuyai à nouveau sur le bouton de l’ascenseur qui s’ouvrit immédiatement. Je m’engouffrai à l’intérieur et appelai le second étage. Fébrile, en proie au stress, je me retournai vers le miroir qui se dressait sur la paroi du fond afin d’évaluer ma prestance.

Droite comme un I, je portais un tailleur-pantalon noir qui retombait avec légèreté sur mes talons hauts. Mon chemisier blanc légèrement ouvert laissait apparaitre la naissance de mes seins sans vulgarité ainsi que le petit pendentif qui ornait mon cou. Mes cheveux roux tombaient en cascade brouillonne sur mes épaules, mais cela ne pouvait en être autrement. Mes yeux verts étaient légèrement cerclés de noir et un fin maquillage ornementait mon visage.

J’observais d’un œil critique l’ensemble et constatai que j’avais bien changé ces deux dernières années. Mon corps était redevenu svelte, à mon grand bonheur. Avant adepte des jeans et quelques fois des tenues féminines, mon nouveau métier m’avait transformée en véritable femme d’affaire. Mais cela ne me dérangeait pas. Plus classe, plus féminine, plus adulte, j’aimais bien ce nouveau moi.

Et grâce à lui, aujourd’hui la famille de Morgane ne verra pas une petite péronnelle encore vêtue à la mode lycéenne, mais une jeune femme accomplie et décidée. Je n’avais pas fait d’efforts particuliers ce matin, et pourtant j’avais l’allure nécessaire pour en imposer.

Car sérieusement, une jeune fille en jean et basket entre dans la salle, et tente de faire entendre sa parole, elle aura des plus grands maux à être vue comme une personne crédible. Une jeune femme classe et féminine franchit le seuil, elle aura bien plus de facilité à faire entendre sa voix.

Ma position serait délicate, mon allure n’effacera pas aux yeux de sa mère les liens particuliers que j’entretenais avec sa fille. Il serait cependant bien plus difficile de faire coller l’image de la dévergondée sur une femme en tailleur et talons hauts.

Maintenant, il faudra que j’adopte l’attitude qui convienne. Mais cela, je ne m’en inquiétais pas trop. Mon nouveau métier m’avait formée aux relations sociales et me sachant dans la tenue adéquate, je me sentais confiante.

J’aurais pu faire mieux, me vêtir de façon à en imposer encore davantage, mais cet habit ferait l’affaire. Je me savais belle dedans. Cela était un atout, même envers ma « belle-mère ». On méprise plus facilement la laideur que la beauté.

Je devais juste faire attention à ne pas apparaitre comme une prédatrice.

L’ascenseur s’arrêta, les portes s’ouvrirent silencieusement. Le couloir face à moi était désert. Je retournais ces jolies phrases rassurantes dans ma tête et avançai.

Salle 203. Je m’arrêtai face au battant. Je soufflai fortement et me redressai, afin de conserver cette assurance qui doucement s’évaporait. Je frappai à la porte.

La porte s’entrouvrit lentement sur ses gonds et laissa échapper un hoquet de stupeur. Sans même avoir eu le temps d’articuler un mot, je fus projetée en arrière et la porte se referma, avec une personne en plus sur le palier.

_ Mais qu’est-ce que tu fais ?

Ma petite brune avait l’air affolé. Soudainement, je me sentis bien plus hésitante.

_ Ben, heu… je viens te réconforter davantage !?

Morgane me fixa, interloquée. J’esquissai un petit sourire maladroit avec des yeux suppliants de cocker pour lui signifier mes bonnes intentions. Pour mon plus grand bonheur, un petit rire s’abandonna sur ses lèvres, sans joie certes, mais c’était plutôt pas mal. Elle se faufila dans mes bras.

_ Merci Julia.

_ Mais de rien ma reine. Comment ça se passe là-dedans ?

_ Personne ne desserre les dents. Je ne sais pas trop si je vais réussir à leur arracher la moindre parole.

Je la serrai plus fort contre moi et quêtai ses lèvres pour un baiser communiquant toute ma force.

_ Allez, viens, rentrons dans l’arène, j’espère que les lions ne sont pas trop affamés, fis-je dans une tentative d’humour en me séparant d’elle.

_ Quoi, tu veux venir ??

_ Combien tu paris que ma présence va délier les langues ?  

Elle resta quelques secondes immobile, la tête légèrement penchée, comme elle me l’avait déjà fait auparavant. J’avais compris depuis que c’était le signe que le chemin de mes pensées était trouble pour elle, et qu’elle était intriguée. J’aimais savoir qu’il m’arrivait de la surprendre malgré ses talents.

Un petit sourire s’esquissa sur son doux visage et elle articula doucement, sans un geste envers moi :

_ Je t’aime.

Puis elle me saisit la main et franchit le seuil de la porte, nous révélant à la lumière du jour.

Comme je m’y attendais, cette salle était tout aussi rutilante que le grand hall. Des tables en verre étaient disposées en cercle et trois personnes étaient installées autour. Le jeune homme que j’avais entraperçu au café était assis avec la plus grande aisance, les bottines sur la table, se balançant sur sa chaise. Vêtu d’une veste en cuir marron, d’une chemise bleue et d’un jean, il semblait profondément s’ennuyer. Bien que ses traits soient plus carrés, ses grands yeux noirs et son nez en trompette ne laissaient planer aucun doute : il s’agissait d’Emmanuel, le frère cadet de Morgane.

A ses côtés, une petite et frêle jeune femme se tenait sagement sur son fauteuil. Ses yeux noisette semblaient scruter l’ensemble des personnes à la fois et en faire une analyse minutieuse consciencieusement enregistrée comme information importante. Ses cheveux blonds étaient lâches sur ses épaules menues et elle trahissait une sorte de timidité dans la manière qu’elle avait de se recroqueviller dans le coin du siège le plus proche de son mari.

Enfin, la vieille femme. Raide comme un piquet et sèche comme du pain rance, sa fille tenait d’elle ses yeux bleus perçant. Mais l’âge et le venin en avait délavé la couleur et salit l’essence. Ils ne restaient d’eux que deux bulles d’eau claire froides comme de la glace. On n’y discernait plus trace de la profondeur et de l’humanité présentes dans ceux de ses enfants. Vêtue d’un vison, elle ressemblait à ces femmes prétentieuses et arrogantes d’un autre temps, qui vous regardent du haut de leurs rides en proclamant que leur âge d’or n’est pas tout à fait terminé. Elle semblait être de ces femmes qui resplendissent de leur gloire passée, et s’en servent pour excuser toutes leurs impolitesses et malfaisances. Elle n’était plus de notre monde, aucune émotion humaine ne pouvait plus l’atteindre, comme si son quota avait été dépassé durant sa jeunesse éteinte.

Je franchis le pas de la porte à la suite de Morgane qui ne m’avait pas lâchée la main. Nous nous arrêtâmes face à eux, tandis que je voyais Emmanuel se redresser, un air intéressé animant son visage. Dans ses yeux, on pouvait lire la joie de voir l’arrivée d’un peu d’action : moi. Sa femme et sa mère, elles, tournèrent juste la tête à notre entrée, la première avec un air curieux, la seconde, outrée.

_ Mère, Emmanuel, Melissa. Je vous présente Julia, ma… compagne.

La réaction ne se fit pas attendre.

_ Comment oses-tu présenter cette… cette…

_ Femme, maman, cette femme, qui s’appelle Julia.

_ Qu’importe. Sors-moi ça d’ici.  

Sa voix était nasillarde et criarde, telle une crécelle m’écorchant les oreilles, mais son ton était calme, sec et sans réplique. Emmanuel afficha un petit sourire goguenard, attendant impatiemment la suite des évènements sans broncher, comme s’il s’agissait d’un bon film et non de sa famille déchirée. Son ordinateur de femme, elle, contemplait la scène en enregistrant les plus infimes détails. Je n’osais pas imaginer ce qu’elle pouvait déduire de nos réactions.

_ Ne parle pas d’elle comme ça, me défendit Morgane.

_ Elle n’a rien à faire ici. C’est un conseil de famille seuls nous quatre pouvons y assister, répondit dignement sa mère avec dédain, refusant de tourner son visage vers nous, comme si notre simple vue lui brulait les rétines.

_ Là, elle marque un point Morgane.

Je fus stupéfaite d’entendre cette douce voix de baryton s’élever pour contredire sa sœur. Je croyais qu’il était soit avec nous, soit absent ? Pourquoi intervenait-il en la faveur de sa mère celui-là ?

_ Sa place est ici, affirma froidement Morgane. N’en déplaise à certains, mais c’est parce qu’elle est arrivée dans ma vie qu’on en est rendu là, et à partir d’aujourd’hui elle en fera pleinement partie. Elle sera aussi présente que moi auprès d’Amélie.

_ Cette fille de mauvaise vie ne s’approchera jamais de ma petite fille.  

Excédée, ne supportant plus les insultes répétées, je décidai fermement d’intervenir. Je n’avais pas décidé de venir dans cette pièce pour me transformer en crachoir.

_ Ça suffit.

Mon ton sec et froid arrêta les réparties qui s’apprêtaient à voler en tous sens. Un silence de mort s’abattit sur la pièce. Chacun ici semblait stupéfait que j’eusse osé prendre la parole sans y être invitée, ou congédiée. Qui plus est pour leur intimer l’ordre de se taire. Lentement, je m’assis confortablement dans l’un des fauteuils, croisant les jambes et les doigts.

_ Je suis ravie de voir que ma présence a permis aux langues de se délier. Maintenant que vous m’avez bien insultée, peut-être pourriez-vous parler d’Amélie.

_ Il n’y a rien à dire de plus, trancha la mère Perrière. Je refuse que vous approchiez ma petite fille.

La vieille femme se releva avec une souplesse insoupçonnée, le port altier et les lèvres pincées.

_ Quant à toi, ma fille, je n’en attendais pas moins de toi pour me faire souffrir et déshonorer ta famille une nouvelle fois. Je t’interdis de revoir Amélie.

Et elle sortit. A vrai dire, je ne m’attendais pas à ce que cette entreprise soit une réussite, et Morgane non plus. Cela étant, j’ignorais quelle serait sa réaction face aux paroles acides de sa mère. Je restai dans mon fauteuil à pester contre cette vipère quand j’entendis la même voix de baryton s’élever, juste derrière moi.

_ Je suis désolé Morgane. Il ne fallait pas s’attendre à mieux.

_ Je sais.

Elle étreignit son frère puis sa femme tandis que celui-ci se dirigeai vers moi. Je me relevai de toute ma taille afin de lui faire face courageusement, alors que le doute d’avoir tout gâcher s’insinuait en moi.

_ J’aurais préféré faire votre connaissance en d’autres circonstances. Mais je serai ravi de reprendre ces présentations à zéro lorsque vous aurez fait taire la mère maquerelle.

Il laissa échapper un rire franc, qui me semblait totalement incongru en ces circonstances.

Sa femme me salua de la tête et ils se dirigèrent vers la porte restée ouverte. Avant de franchir le seuil, elle s’arrêta brusquement, le dos raide, et se retourna dans ma direction.

_ Vous êtes prête à assumer la charge d’un enfant à votre âge ?

_ Oui, fis-je, sans la moindre hésitation.

Elle hocha doucement la tête avant de refermer le battant. Je me tournai vers Morgane qui semblait des plus dépitées. Je m’approchai d’elle et l’étreignit de tout mon amour tandis qu’elle enfouissait son visage dans mon cou.

Après une bonne minute, je m’écartai d’elle.

_ Allons manger dans un premier temps, ensuite nous appellerons ton avocat.

Elle hocha faiblement la tête. Je me saisis alors de toutes nos affaires et enlaçant son ventre, nous prîmes la direction de l’ascenseur, dans un silence lourd. Toutes nos pensées étaient dirigées vers la même personne. Amélie.

 

****

 

Assises à la terrasse d’une brasserie, nous observions la ruche alentour en silence. Morgane n’avait pas prononcé un mot depuis que nous avions quitté sa famille. Pour ma part, j’avais peur. Peur de la brusquer, peur de la perdre. Car après tout, cela faisait bien peu de temps que nous étions réunies… Une telle épreuve ne pouvait-elle pas encore briser ce fragile lien qui nous unissait ?

En réalité, notre relation basculait trop souvent dans le tout au rien depuis le début pour que je puisse y croire si facilement. J’étais revenue après trois mois d’absence et elle m’était tombée dans les bras. Je craignais que mon absence et la perte de sa nièce n’en soient davantage les déclencheurs que sa propre volonté.   

Je secouai la tête pour me sortir de ces sombres pensées et me tourner vers Amélie… Qu’en avait donc fait sa grand-mère pour ne pas l’amener ce matin ? Quel tyran pouvait dire de pareilles insanités à sa propre fille ? Qu’est-ce qu’Amélie comprenait à cette situation tortueuse ? Souffrait-elle ?

_ Tu m’as vraiment épatée ce matin.

Je sursautai vivement au son de la voix de Morgane. Je relevai la tête pour croiser l’océan de ses yeux. Dans ce monde si cruel, nombreux se demandaient où était passée la douceur. Je venais d’en trouver la tanière au fond de son regard. Devant cette tendre vision, un sourire s’esquissa sur mon visage.

_ Qu’est-ce que j’ai fait ?

_ Comment tu t’es adressée à ma famille. Je commençai à m’énerver, et tu t’es montrée si droite, si déterminée, si… Si je ne sais quoi à vrai dire. Tu es restée calme, impassible, froide même…

_ Et ça t’étonne de ma part ?

Elle haussa les épaules et regarda son verre qu’elle faisait tourner entre ses doigts.

_ Disons que je n’ai pas l’habitude que quelqu’un prenne en main une situation à ma place. D’habitude, je suis celle qui contrôle. Et que spontanément tu le fasses à ma place…

_ Ça te dérange ?

Elle marqua un temps d’hésitation pendant lequel elle continuait à fixer le contenu de son verre. J’avais beaucoup de mal à voir où elle voulait en venir.

_ Oui et non, finit-elle par répondre. Oui parce que je n’en ai pas l’habitude. Ça me donne l’impression que j’en suis incapable et j’aime pas ça. Fierté déplacée… Je dois m’habituer à compter à deux et non plus que sur moi-même. Non parce que te voir réagir ainsi alors que je me sentais vulnérable, ça m’a apaisée. Je me suis sentie… en sécurité. Protégée. Pour la première fois depuis bien longtemps…

Délicatement, je saisis sa main posée sur la table et la caressai avec mon pouce.

_ Je ne souhaite que ça, ma chérie. Te protéger…

Elle redressa doucement la tête en affichant un petit sourire. Je restai un moment à la contempler. Ses cheveux bruns ondulant autour de son fin visage en forme de cœur. Sa peau nacrée et ses saphirs resplendissants au soleil. Les cernes laissées par les courtes nuits et l’inquiétude. Et surtout ses lèvres au bouton de rose…

Je me raclai la gorge pour me ressaisir et détournai précipitamment le regard.

_ Qu’est-ce qui t’arrive ? s’enquit Morgane avec un faible sourire en coin.

Sans pouvoir m’en empêcher, je relevai à nouveau la tête pour l’observer.

_ J’étais en train de me dire que je commençais déjà à oublier le goût de tes lèvres. Je sais que tu assumes notre couple, mais comment réagirais-tu si je t’embrassais maintenant en plein milieu d’une salle bondée ?

Une flamme s’alluma au fond de ses yeux clairs et son sourire s’élargit.

_ Je te répondrais que moi c’est l’enveloppe de tes bras que j’oublie. Et que tu n’auras pas l’un si je n’ai pas l’autre.

Sans plus chercher, je me levais doucement pour m’asseoir à ses côtés, sur la banquette. Je lui offris tendrement mes bras dans lesquels elle vint se blottir prestement avant de m’offrir le goût délicat de ses lèvres.

Nous restâmes un moment ainsi, plongées dans nos pensées respectives. Nos repas arrivèrent alors que nous étions encore enlacées, la tête de Morgane sur mon épaule. Le serveur marqua un temps d’arrêt, et posa les assiettes sans un mot. Je le remerciai d’un léger hochement de tête et il s’éclipsa. Je me demandai vaguement l’origine de sa réaction, soupçonnant avec désintérêt que les relations évidentes que nous entretenions l’aient dérangé, ou tout du moins surpris. Je commençai tout juste à observer le contenu peu attrayant de mon plat qu’un reniflement de la part de Morgane m’interpella. Dans la position dans laquelle elle avait posé sa tête, je ne voyais pas son visage, mais compris qu’elle sanglotait.

_ Mon ange, qu’est-ce qui se passe ? C’est à cause de la réaction du serveur ?

Il est vrai que dans les premiers temps, une réaction même aussi minime pouvait interpeller voire même blesser. N’ayant pas de réponse de la part de Morgane, qui n’avait pas bougé d’un pouce, je sentis mon inquiétude prendre de l’ampleur. Prête à me redresser pour pouvoir voir le visage de ma petite brune, je fus finalement interrompue.

_ Amélie me manque, fit-elle d’une voix à peine audible.

Touchée par sa faiblesse flagrante, je resserrai mon étreinte autour de ce corps que je chérissais tant, n’ayant de mots adéquats. Peut-être que le serveur s’était davantage senti mal à l’aise devant ses pleurs en fin de compte, tout simplement.

_ C’est fou ce qu’on peut s’attacher à ces gamins, poursuivit-elle sur le même ton. C’est pas ma fille, seulement ma nièce, et je ne l’ai eu que quelques mois. Mais on s’habitue tellement à les avoir là, à côté, on partage tellement avec eux, que leur absence devient insupportable.

_ Je suis désolée que tu subisses ça par ma faute.

Elle se redressa difficilement en tentant vainement d’essuyer les larmes qui coulaient sur ses joues rougies.

_ Tu n’es pas responsable de la monstruosité de ma mère.

Sachant le sujet houleux, je ne tentai pas une réponse assurant ma culpabilité, pourtant flagrante, dans l’histoire. Cependant, je profitai que le sujet soit lancé pour interroger Morgane sur ce qui me perturbait depuis la rencontre de ce matin.

_ Où est-ce que ta mère a pu mettre Amélie pendant le conseil ?

_ Un peu n’importe où, peut-être même dans sa voiture… mais je pense plutôt qu’elle l’a parquée au centre aéré pour avoir sa journée.

Une idée me traversa l’esprit comme une flèche, mais je préférais garder le silence.

Sans plus de réflexion, je me levai précipitamment sans même avoir touché à mon assiette. Je saisis un menu et le feuilleta rapidement avant de me rediriger vers la table où Morgane me regardait avec des yeux interloqués.

Je jetai un billet tiré de mon portefeuille, consciente du pourboire plus que généreux que je laissais au service plutôt médiocre. Je n’avais plus qu’une seule idée en tête, et rien ne pourrait entraver mon chemin.

_ Julia, tu peux m’expliquer ce que tu fabriques ?

Je la saisis un peu brutalement par la main, et l’entrainai hors du restaurant en lui intimant l’ordre de me suivre dans un sourire. Le serveur qui nous avait apporté nos plats tenta de nous intercepter, pensant que nous partions sans régler, mais je lui indiquai sans me retourner que le billet était sur notre table.

Les pensées s’enchaînaient en moi, établissant un plan d’action imparable. Ce ne fut que l’arrêt net de Morgane que je trainais encore sans ménagement derrière moi qui me fit réintégrer partiellement la réalité, réalisant qu’elle me harcelait de questions.

_ Julia ! Tu vas finir par me dire ce qui se passe ?

Je me retournai vers elle, bien décidée à lui faire la surprise de ce que je pensais être son souhait le plus cher, malgré ses yeux brillant de colère et d’inquiétude. Je m’approchai d’elle et caressai sa joue délicatement en lui murmurant :

_ Tu as confiance en moi ?

_ Bien sûr, mais pourquoi être sortie en courant du restaurant ?

_ Il faut que je réfléchisse durant le trajet. Laisse-moi un peu de temps, je t’expliquerai en arrivant.

Elle s’écarta de moi avec fureur. Sa réaction pouvait paraitre extrême, mais je savais que ses émotions se décuplaient sous la tension. Or, avec le risque de perdre Amélie, elle ne pouvait pas être plus tendue que ces derniers temps.

_ Mais en arrivant où ?

_ Morgane, je t’en supplie, fais-moi confiance. S’il te plait…

Je braquai mes yeux dans les siens, la priant du regard de me laisser faire.

_ Sois un petit peu patiente s’il te plait, même si je sais que je t’en demande beaucoup. Je t’aime…

Elle poussa un profond soupir.

_ Je t’aime aussi. Et c’est bien la seule raison pour laquelle j’attendrai… un peu.

Un sourire s’esquissa sur mes lèvres et je déposai un furtif baiser sur les siennes.

_ Merci ma reine. Alors une question : as-tu bien tous les papiers concernant la tutelle avec toi ?

_ Oui, je les ai emportés pour la réunion, pourquoi ?

_ Suis-moi.

Je repris ma marche rapide, trainant plus ou moins une Morgane renfrognée derrière moi. Il fallait que j’ai raison.  

Je saisis mon téléphone sans cesser d’avancer et cherchai les renseignements nécessaires de deux adresses. Sans plus réfléchir, je m’engouffrai dans ma voiture, et, attendant à peine que Morgane soit installée, démarrai prestement.

Nous arrivâmes à la première destination, et je sortis de la voiture sans couper le contact en demandant à Morgane de m’attendre.

Je revins bredouille.

Sur le chemin de la deuxième adresse, je commençai à paniquer. Et si je m’étais trompée ? Si elle n’était déjà plus là ? Si nous n’avions pas le droit de faire cela ? Bien qu’approfondies par ces dernières semaines de recherche, mes connaissances en droit de tutelle demeuraient bien pauvres…

Je m’arrêtai à nouveau dix minutes plus tard, et je vis Morgane, exaspérée, prête à céder à l’impatience. Je me jetai sur ses lèvres sans ménagement pour étouffer ses paroles et sortis en la suppliant de m’attendre une dernière fois. Je la vis commencer à bouillir de mon comportement cachotier et son masque glacial commença progressivement à réintégrer les traits de son visage. Je ne voulais pas lui donner de faux espoirs.

Je franchis précipitamment les portes du bâtiment et scrutai attentivement la foule, quand mon cœur explosa d’une joie immodérée.

Elle était là.

Je sortis en courant en direction de ma voiture, avec le sourire le plus franc qui n’était jamais apparu sur un visage.

Victorieuse.

C’est moi, Julia.

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Commentaires
T
Me revoila :) !<br /> <br /> Tout d'abord merci de m'avoir répondu :) ! C'est vrai qu'apres avoir commenté on se rend compte à quel point c'est agréable de discuter avec l'auteur des recits dont on dévore les lignes !<br /> <br /> <br /> <br /> Maintenant parlons de cette suite...<br /> <br /> A vrai dire cest la suite que jattendais le plus pour le moment (apres ya la derniere suite que tu avais mis sur docti qui me laisse un enorme suspens ahah ), et une de mes préférée ! J'avais adoré à l'epoque le calme et la façon dont Julia s'était imposée dans cette réunion de famille !<br /> <br /> Tout est dit : elle a réussit a "délier" les langues, et c'est plaisant de voir cette famille s'agiter !<br /> <br /> néanmoins j'aurais vraiment bien aimé voir Julia s'imposer plus (revoltons nous contre ces fermés d'esprit xD !) mais ca parait plus logique qu'elle n'ait rien fait.<br /> <br /> <br /> <br /> J'attends avec hate la prochaine suite et aussi la fin de cette merveilleuse histoire que je suis depuis 2010 maintenant (ça fait loin... je me sens vielle :P) pour te dire mes impressions finales :) <br /> <br /> Merci encore à toi de nous partager une si belle histoire !
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