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Petits écrits de la Main Gauche
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Samedi 18 novembre 2023 :

PUBLICATION DU TOME 1 DE CAUGHT IN THE MIDDLE LE 18 NOVEMBRE 2023
Pour s'y retrouver avant la lecture : Avant-Propos The Legend Of Zelda

- Caught in the Middle (fanfiction du jeu Zelda Breath of the Wild) =>
T2 achevé ; T3 en cours d'écriture.

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26 mai 2015

C'est moi, Julia - Chapitre 27

La pluie tambourinait inlassablement les fenêtres et le vent cinglait la voiture de part en part. Je maugréai contre ce temps désastreux, qui m’obligeait à une conduite prudente. Et trop lente à mon goût. Je n’avais qu’une envie, voir le ciel se dégager sur cette route où il n’y avait pas un chat, et appuyer sur l’accélérateur pour être au plus vite auprès de Morgane et Amélie.

Je reconnaissais le bénéfice que mon départ avait eu. Peut-être pas sur elles deux, mais tout ceci m’avait permis de voir que j’affronterais des armées pour être auprès d’elles.

Et je me battrais contre Morgane elle-même.

Plongée dans mes pensées, je ne remarquai pas tout de suite Lisiane qui m’observait, jusqu’à ce que sa voix s’élève doucement dans l’habitacle.

_ Nous n’avons pas terminé notre conversation tout à l’heure.

J’acquiesçai doucement de la tête. J’essayai de revenir sur tout ce qui avait été dit, sur mon ressenti par rapport à tout ça. Au fur et à mesure que mes sentiments se précisaient, un léger sourire vint prendre place sur mes lèvres.

_ Pourquoi cette expression ? demanda Lisiane, interloquée.

Je laissai encore planer un instant de silence, afin de véritablement trouver les mots qui exprimeraient au mieux cette vérité qui s’était imposée à moi.

_ Il n’y a plus rien à dire, en fait. Sur le coup, j’étais paniquée en comprenant ce qui m’attendait. Je n’étais vraiment pas sûre d’en être capable. Maintenant… Maintenant tout a changé. Tout ce que vous m’avez raconté n’a plus d’importance. C’était nécessaire pour que je puisse comprendre et agir. Mais ça ne change rien. Morgane et Amélie sont tout ce qu’il y a de plus important pour moi dans ce monde. Morgane est ma vie, tout comme je sais que je suis la sienne. Qu’importe ce qui doit se passer, je ne cesserais jamais de l’aimer et de vouloir faire son bonheur.

Je poussai un profond soupir, marquant à nouveau une pause. Bien que mes idées soient parfaitement claires, il était difficile de trouver les mots pour les exprimer. J’eus un léger sourire en pensant qu’avec Morgane, je n’aurais pas cette difficulté. Entre nous, un regard suffisait généralement, les mots étaient souvent superflus.

_ Sans le savoir, je n’ai connu que la véritable Morgane. Celle qu’elle a protégé toutes ces années. Et tout ce que je vois, c’est qu’elle est restée si pure, malgré toutes ses souffrances… Les barrières qu’elle a érigées, je ne dois pas les haïr mais les remercier. Sans elles, elle aurait été plus abîmée par tout ça. Mais non, Morgane est là, et au-delà de mon amour pour elle, c’est une Belle Personne. Mon rôle aujourd’hui est de lui faire comprendre que sa protection maintenant, c’est nous deux. Je refuse de la laisser enfermée dans tout ça, et par-dessus tout je refuse qu’Amélie grandisse auprès de cette autre part de sa tante, sans la connaître vraiment. Morgane a tellement de choses à offrir et à vivre… Je les aime et je ne les laisserais pas souffrir sans intervenir.

Je jetai un rapide coup d’œil vers Lisiane, pour la voir sourire un peu béatement. Je ne pus empêcher un léger rire franchir mes lèvres. En fait, tout ce qu’elle m’avait dévoilé m’avait enlevé un poids dont j’ignorais l’importance. Le poids de l’ignorance, de l’incompréhension. Maintenant, je savais au-devant de quoi j’allais, mais ma détermination n’en était que renforcée, malgré un instant de panique au début. Je n’avais jamais eu réellement l’intention d’abandonner.

_ Et tu sais comment tu vas t’y prendre ?

Je haussai les épaules. Je réalisai avec surprise que cette question ne provoquait plus la moindre inquiétude chez moi.

_ Non. J’ai toujours fonctionné au feeling avec Morgane. Et jusqu’ici ça a toujours fonctionné. J’ai confiance en nous. Nous nous en sortirons, à deux. Et nous garderons Amélie. Surtout que je n’ai aucune idée de l’état dans lequel elle est actuellement, après ce passage à l’hôpital. Peut-être serons-nous surprises par la Morgane que nous trouverons. Tout ce qui m’importe pour l’instant, c’est la retrouver, la serrer contre moi, et la protéger. Lui promettre de ne plus la quitter. Même si c’est une Morgane totalement rigide que l’on trouve, je sais qu’elle ne s’y refusera pas. Elle en a besoin autant que moi.

Des sensations de bonheur et d’impatience à l’idée de serrer à nouveau ma petite brune dans mes bras m’envahirent. Cela faisait si longtemps. Plongée dans mes pensées et dans mes idéaux, je ne prêtai pas tout de suite attention au silence qui m’avait répondu. Revenant un peu à la réalité lorsque je doublai un véhicule – le premier après trois quart d’heure de route – je me tournai vers Lisiane. Celle-ci affichait une mine inquiète et émue à la fois, plongée dans ses pensées.

_ Qu’est-ce qu’il y a ? demandai-je d’une voix légère afin de ne pas la brusquer.

Lisiane se tourna vers moi, affichant un pâle sourire.

_ Hum… je me sens juste un peu…bizarre...

_ Vous voulez qu’on s’arrête ?

_ Non, non. Ça ne changera rien.

Je fronçai les sourcils, tentant vainement de comprendre ce qu’elle tentait de me dire à mi- mot. Puis une intuition, qui me poussa à saisir sa main et à la serrer pour la rassurer.

_ C’est de rencontrer Amélie qui vous inquiète, n’est-ce pas ? Et surtout de revoir Morgane pour la première fois depuis dix ans…

Je marquai une petite pause, hésitant à continuer.  

_ Et donc de devoir faire face à ce que votre échec pour la protéger, à l’époque, lui a fait.

Je sentis la main que je tenais se serrer convulsivement autour de la mienne, et le corps de la femme tressaillir à mes mots.

_ Vous n’avez pas à vous sentir coupable, repris-je d’une voix douce. Vous avez tout tenté. D’ailleurs, je trouve que l’expertise était assez révélatrice sur le danger encouru par les enfants, non ? Pourquoi n’y a-t-il pas eu de suite ?

Lisiane esquissa une moue presque dégoutée.

_ Denise a fait en sorte que le dossier aille entre les mains d’un autre juge, beaucoup moins prompt à s’immiscer dans la vie de la grande famille des Perrière.

J’acquiesçai alors. Ceci ne faisait que renforcer mon avis sur ce qui c’était passé à l’époque, et aujourd’hui.

_ Vous saviez que vous vous lanciez dans une lutte où vos chances étaient plus que minces. Mais vous l’avez fait quand même. Morgane est quelqu’un d’intelligent, je suis persuadée qu’elle voit les choses sous cet angle. Elle ne pense pas que vous l’ayez abandonné. Elle sait que vous aviez fait tout ce qui était possible face à Denise. Elle est consciente des armes de sa mère, elle m’en a parlé. Elle sait qu’elle-même n’a pas les armes nécessaires pour lui faire face. Ce qui nous sert, c’est déjà le fait que nous ayons maintenant le droit de nous marier. Aucun juge n’a pu, en plein débat politique sur le sujet et vu la position du gouvernement, accéder au désir de Denise de nous séparer. Ou c’était la fin de sa carrière. Elle a essayé une autre voie, mais comme l’a dit Morgane, elle l’a attaqué sur son propre domaine, lui donnant des armes qu’elle n’avait pas. Mais elle a une conscience aigüe du véritable pouvoir de sa mère. Je sais qu’elle ne vous en veut pas. Si c’était le cas, jamais elle ne m’aurait guidé vers vous. En plus, si Morgane a eu besoin de se renfermer à nouveau, c’est parce qu’elle a eu peur de subir le même revers concernant Amélie. Si elle avait eu la moindre rancune envers vous par rapport à tout ça, aujourd’hui elle est dissipée. Parce qu’elle s’est retrouvée à votre place. Et voyez l’impact que ça a eu sur elle.

Lisiane ne répondit pas tout de suite. J’espérai sincèrement que mes paroles auront l’effet escompté.

_ Je te fais confiance sur ce point, tu es celle qui connait le mieux la Morgane d’aujourd’hui. Mais ça ne m’empêche pas d’appréhender cette rencontre après tant d’années. Surtout que je hais cette partie d’elle si inébranlable, parce que je sais que c’est ma propre sœur qui l’a créé et que je n’ai rien pu faire pour l’en empêcher. Si seulement…

_ Il n’y a pas de si, la coupai-je. Voyez ça comme une occasion de revenir dans sa vie définitivement. De reprendre cette place que vous avez perdu il y a si longtemps.

Je m’arrêtai un instant, inquiète de formuler ma pensée jusqu’au bout. Après tout, elle n’avait pas été tendre avec moi non plus ces dernières heures, et je reconnaissais maintenant que ça avait été bénéfique. M’appuyant sur l’idée qu’elle avait besoin de l’entendre, je me lançai.

_ Vous n’avez pas eu cette chance avec Joséphine. C’est trop tard. Ne ratez pas ni ces retrouvailles avec Morgane, ni l’occasion de connaitre la fille de Joséphine. Je suis persuadée que vous la retrouverez en elle. Au lieu de s’appesantir sur le passé et sur votre échec, dîtes-vous que vous avez perdu une bataille et qu’aujourd’hui, vous avez la possibilité de gagner la guerre. Il est trop tard pour Denise. Mais il est encore temps pour Morgane et pour Amélie. Revenez dans leur vie et reprenez cette place qui vous est due auprès d’elles, et protégez-les comme vous avez tenté de le faire il y a des années. Cette culpabilité que vous ressentez, vous pouvez la contrer en terminant ce qui n’a pas pu l’être à l’époque. Et même si l’on se connait que depuis quelques heures, j’éprouve une réelle affection envers vous. Je serais là, terminai-je en un léger sourire.

Je vis une larme couler le long de la joue de Lisiane, et renforçait ma pression sur sa main. Conduisant, je ne pouvais faire plus, mais j’espérai que cela suffirait à véhiculer tout le soutien que je souhaitais lui apporter.

_ Merci Julia. Tu es quelqu’un qui gagne à être connue.

Je souris légèrement.

_ Ce que je suis aujourd’hui, je le dois entièrement à Morgane.

Je lâchai sa main pour ralentir en arrivant dans le centre ville. Le silence s’installa pendant que je naviguais dans les rues éclairées et vides, tentant de calmer les battements de mon cœur qui étaient de plus en plus rapide.

Je finis par garer ma voiture à proximité de l’hôpital et coupai le contact. Je regardai la bâtisse par la vitre, sentant une appréhension monter en moi, mêlée à la plus grande des impatiences.

_ Nous voici arrivées, murmurai-je.

Est ce que ce constat s’adressait à Lisiane ou à moi, je l’ignorais.

Je sortis de ma voiture et m’étirai dans la nuit, le corps engourdi d’être restée assise pendant plus d’une heure. Je me tournai vers Lisiane qui, sortie de l’habitacle, observait la ville d’un regard morne.

_ Je ne suis pas venue dans ce quartier depuis la naissance d’Emmanuel… C’est triste à dire, mais il n’a pas changé. Cette ville non plus d’ailleurs.

J’acquiesçai faiblement, peu sûre de ce que je devais en conclure. Je m’abstins de répondre et saisis mes affaires avant de fermer les portières. J’étais fébrile.

Je saisis Lisiane par le coude et lui murmurai :

_ Allons-y.

Sans la lâcher, nous nous dirigeâmes vers l’accueil. La nuit semblait calme, la salle était vide. Seul un jeune homme patientait, à moitié endormi sur son siège en plastique. Nous nous adressâmes à l’infirmière afin de connaitre les chambres d’Amélie et de Morgane, Lisiane en première ligne. Elle nous les fournit sans discuter, les traits tirés et la voix faible.

Amélie se trouvait dans l’aile pédiatrique, Morgane était encore aux urgences, en observation. Lorsque l’infirmière nous indiqua que nous devions attendre que le médecin vienne nous voir dans la salle d’attente, je m’avançai pour protester. Lisiane me retint fermement par le bras, la remercia et tourna les talons.

_ Mais Lisiane ! On a pas fait une heure et demie de route pour rester à poireauter dans une salle d’attente alors qu’elles sont justes à côté !

Lisiane s’assit à distance du jeune dormeur et tapota le siège à ses côtés, m’invitant à la rejoindre.

_ Julia, dans les hôpitaux, il y a des règles. Et tu auras beau protester et tempêter, tout ce que tu y gagneras, c’est d’attendre malgré tout. Ça et le titre de l’enquiquineuse de la nuit auprès de l’équipe qui les soigne.

_ Peut-être mais…

_ Mais tu veux les voir, je sais. Si tu veux être l’enquiquineuse, ils ne risquent pas d’être condescendants et peut-être d’accepter de te faire rentrer dans le service en pleine nuit, ce qui est logiquement interdit. Tu pourras peut-être voir Amélie, mais tu ne verras pas Morgane avant les heures de visite ou sa sortie. Donc demain matin au plus tôt. Et vu que je sens que je vais souffrir si tu dois attendre jusque-là, ronge-toi les sangs en silence et laisse-moi faire. Si ça rates, tu pourras hurler autant que tu veux, promis. Maintenant, vas fumer, je t’avertis quand le médecin arrive.

J’ouvris la bouche, bien décidée à protester. Mais mon esprit eut vite fait le tour. Je n’avais aucun argument à lui opposer. Aussi, ce que je lui dis, fut uniquement pour la forme et me parut à moi-même pathétique.

_ Qui vous dit que j’ai envie de fumer ? Je ne fume pas tant que ça.

Lisiane me regarda avec un air de profonde lassitude et esquissa un petit sourire.

_ Parce que tu n’as pas fumé dans la voiture – ce dont mes poumons te remercient –, que tu es stressée et que même un fumeur léger fume dans ces cas-là.

Décidée à avoir le dernier mot, je croisai les bras et m’enfonçai dans mon fauteuil. Etait-il possible de faire plus inconfortable qu’un siège de salle d’attente d’hôpital ? J’en doutais sérieusement tandis que je remuai sans cesse. Mes jambes commencèrent à battre un rythme connu d’elles seules, montrant mon impatience. Lisiane prit un journal vieux de cinq ans, et commença à le feuilleter silencieusement. Au bout de cinq minutes, elle marmonna sans lever le nez :

_ Tu as envie de fumer.

_ Non, rétorquai-je fermement à voix basse.

_ Oh si, parce qu’il est hors de question que tu continues à t’agiter comme un lion en cage sous mon nez. J’aimerais lire.

_ Parce que les amours de Brad Pitt et les seins de Mylène Farmer sur la plage vous intéressent ? lâchai-je d’un ton légèrement moqueur.

_ Vas fumer.

Son ton était sans réplique. Soupirant, je rendis les armes et me dirigeai vers la sortie. Je me persuadai que j’avais flanchée principalement pour ne pas trop agacer Lisiane. Et un petit peu parce que j’avais envie d’une cigarette. Question d’amour propre.

Les minutes passèrent, lentement. La nuit était fraiche mais la pluie avait cessé. Je serrai ma veste contre mon corps, tentant d’empêcher le froid de s’infiltrer.

Ce ne fut qu’après plusieurs cigarettes enchaînées à cinq minutes d’intervalle – pour tuer le temps et non par envie bien sûr – que Lisiane vint frapper à la vitre, me demandant de la rejoindre. Je jetai mon mégot et rentrai sans plus attendre. Lisiane se tenait au beau milieu de salle d’attente, un petit homme chauve en blouse blanche à ses côtés. Ils tournèrent tous deux la tête à mon entrée.

_ Docteur, je vous présente Julia Lavoisière. C’est elle qui m’a conduite ici mais c’est également la fiancée de Morgane.

Tout en serrant la main au médecin, je jetai un rapide coup d’œil à Lisiane, interloquée par ses propos. Fiancée ? Ne parvenant pas à capter son regard, je haussai intérieurement les épaules. Après tout, ne devais-je pas la laisser faire ?

Et puis fiancée… pourquoi pas… n’avais-je pas pensé demander Morgane en mariage il y a quelques heures ?

Le médecin indiqua à Lisiane une porte à quelques mètres, afin qu’elle la suive pour lui parler de la situation de Morgane et d’Amélie. Lisiane se tourna vers moi.

_ Julia peut-elle nous accompagner s’il vous plait ?

Le médecin me jeta un coup d’œil.

_ Est-ce vraiment nécessaire ?

Je regardai Lisiane rapidement. Il semblerait que c’était à moi de conclure la partie…

_ S’il-vous-plait, nous sommes ensemble depuis trois ans et je vis avec elles deux. S’il vous plait.

Petit mensonge pas si faux que ça… Je l’aimais depuis trois ans non ? Le médecin haussa les épaules.

_ Venez.

Un petit sourire m’échappa, soulagée. Il avait l’air tellement épuisé que je soupçonnais qu’il était prêt à tout accepter avec un peu de motivation. Ce n’était peut-être pas très moral, mais je comptais bien m’en servir pour être aux côtés de Morgane, et ce aussi vite que possible. Nous entrâmes dans une petite pièce où se trouvaient quelques chaises entourant une vieille table. Dessus, il ne trônait qu’une seule lampe, et le reste de la pièce était d’un vide sidéral et déprimant. Le médecin referma la porte, nous invita à nous asseoir, et demanda :

_ A qui est-ce que je dois m’adresser réellement alors ?

J’ouvris de grands yeux perplexes et sentis une légère inquiétude. Qu’est-ce qu’il entendait par là ?

_ A Julia, dit Lisiane le plus naturellement du monde. Elle vit avec elles, moi je ne suis là qu’en tant que membre officiel de la famille.

Sans s’en inquiéter davantage, le médecin se tourna vers moi.

_ Très bien, ce n’est pas comme si je n’avais jamais vu ça. Vers vingt et une heure ce soir, Melle Perrière est arrivée aux urgences avec la petite Amélie Jusrand. Elle nous a dit qu’elle était tombée dans les escaliers. Il y avait beaucoup de monde à cette heure-là et Melle Perrière a attendu plusieurs heures auprès de la petite avant qu’elle ne soit prise en charge. Vers vingt-trois heures, elle est sortie de la chambre en s’indignant contre le personnel et a fait un malaise. Nous avons fait monter la petite en pédiatrie pour qu’elle y passe la nuit, puisque nous n’avions aucune assurance de trouver un autre membre de sa famille.

_ Qu’est-ce qu’elles ont ? demandai-je, en espérant que mon inquiétude ne transparaissait pas trop dans ma voix.

_ Amélie a une entorse à la cheville et quelques bleus, rien de bien important, il faudra juste qu’elle se déplace en béquilles pendant une à deux semaines. L’examen de Melle Perrière nous a montré des carences en sucre, en calcium et en magnésium. Il semblerait qu’elle n’ait pas mangé de véritable repas depuis plusieurs jours, ni fait de nuits de sommeil entières. Melle Lavoisière, si vous vivez ensemble, peut-être pouvez-vous me l’expliquer ?

Je baissai la tête, un peu gênée. Lisiane voulut prendre la parole à ma place mais je l’en dissuadai d’une main posée sur son bras.

_ Nous nous sommes disputées, et je m’étais réfugiée chez une amie pour réfléchir. Nous préférions cette solution plutôt que de faire subir nos disputes à Amélie. Je l’ai vu la dernière fois au début de la semaine.

Il hocha doucement la tête.

_ Est-ce que votre dispute peut expliquer qu’elle ait cessé de manger et de s’alimenter convenablement ?

Je me raclai la gorge, mal à l’aise. Un peu plus, et ce grand malin allait me faire sentir responsable…

_ Peut-être, en partie. Morgane est sous pression par rapport à la garde d’Amélie, sa mère souhaite nous la reprendre… Avant que je parte, Morgane passait la majorité de son temps libre à chercher un moyen de l’en empêcher. C’était la cause de notre dispute, en partie.

Je me tus, pensant que cela lui suffirait. Face au silence qui persistait, je repris d’une voix un peu cassée.

_ Le fait que je sois partie n’a pas dû ni arranger la situation, ni le stress qu’elle avait. Je n’étais plus là pour lui amener à manger dans son bureau…

_ Et vous ne vous êtes pas inquiétée pour Amélie ?

Je le regardai avec stupeur.

_ Il est impossible que Morgane ait négligé le bien-être d’Amélie. Le sien oui mais pas celui d’Amélie.

Il hocha à nouveau la tête, en esquissant un léger sourire.

_ Et bien vous avez raison. Amélie se porte à merveille, mais ce n’est pas le cas de sa tante. Vous avez l’intention de rentrer avec elle ?

_ Oui, bien sûr. Je ne les laisserai pas toutes les deux vu la situation.

Il acquiesça à nouveau et se leva.

_ Très bien, je ne vais pas vous surprendre en vous disant que l’état de Melle Perrière peut devenir préoccupant si elle ne prend pas soin d’elle. Il va falloir vous y atteler. Et toutes les deux s’il le faut, rajouta-t-il en regardant Lisiane.

Nous nous levâmes en acquiesçant. Alors qu’il se dirigeait vers la porte, j’eus un instant d’hésitation avant d’oser demander.

_ Est-ce que…

Ma phrase fut interrompue par un léger rire du médecin. Il se retourna tandis que je le regardais comme un extra-terrestre.

_ Est-ce que vous pouvez les voir ? Logiquement non. Pourquoi ferions-nous une entorse pour vous Mademoiselle, alors que vous êtes partie il y a plusieurs semaines ?

Je le regardai, interloquée. Que devais-je répondre à ça ?

_ Heu, je… Peut-être justement parce-que je ne les ai pas vues depuis longtemps ?

Le médecin eut un léger sourire. Il m’agaçait. Tant pis pour les recommandations de Lisiane.

_ Et parce que de toute façon, je ne bougerai pas d’ici de la nuit. Et je pourrai embêter votre personnel…

Il se mit à nouveau à émettre son petit rire.

_ Vous avez de la chance mademoiselle. De la chance que je sois épuisé après une longue garde, de la chance que le service soit calme, de la chance que je sois d’humeur à apprécier votre sens de la répartie… et enfin de la chance que ce soit moi qui m’occupe de votre fiancée.

Il sortit de la pièce sans ajouter un mot. Je regardai Lisiane avec des yeux ronds, sans comprendre. Elle haussa les épaules, aussi perplexe que moi, et nous lui emboitâmes le pas. Nous le retrouvâmes à l’accueil, cherchant dans un tiroir. Il en sortit un badge visiteur, qu’il me tendit.

_ Je ne peux pas autoriser deux personnes à entrer exceptionnellement dans le service. Vous ne pouvez rendre visite qu’à Melle Perrière. La petite n’est pas de ma responsabilité étant dans l’aile pédiatrique, et il est hors de question que je prenne la responsabilité de laisser des visiteurs arpenter les couloirs en pleine nuit. En plus elle doit dormir, et elle en a besoin, elle a eu très peur lorsque votre fiancée a fait son malaise. En ce qui la concerne, elle est dans la deuxième chambre à gauche en entrant, encore inconsciente. Vous ne pourrez entrer qu’une seule fois dans le service. Soit vous y allez et vous y restez, soit vous y allez puis vous rentrez chez vous. Pas d’aller-retour. Je ne veux personne dans les couloirs. C’est bien clair ?

_ Je… merci…

_ Bonne nuit mesdames, on se verra probablement lors de la sortie de votre fiancée.

Il tourna le dos et s’en fut. Je regardai fixement l’unique badge, un peu perdue. Je me tournai vers Lisiane qui se tenait derrière moi. Mais elle me prit de vitesse en prenant la parole avant que j’ai le temps de dire un traitre mot.

_ Vas-y, je ne l’ai pas vue depuis dix ans, une nuit de plus ne changera rien. Et je suis fatiguée, je ne tiendrai pas une nuit blanche dans une chambre d’hôpital. Il y a un hôtel juste à côté, je vais m’y installer. Je te demande juste de me donner accès à ma valise, finit-elle en un sourire.

J’acquiesçai, trop faible pour batailler, trop impatiente pour trouver les arguments. Je voulais être à ses côtés. Je lui tendis les clés de ma voiture.

_ Merci Lisiane. Tenez, je n’en aurais pas besoin tant que je serai ici. On se voit demain matin ?

Elle acquiesça et déposa un baiser sur ma joue. Cette marque d’affection me laissa un instant perplexe tandis qu’elle tournait les talons. Je secouai la tête pour reprendre mes esprits et inspirai longuement afin de calmer mon cœur qui battait fortement de manière irrégulière.

Accrochant le badge à ma veste, je franchis doucement les portes où trônait un panneau « Personnel seulement. »

Une fois dans le couloir, je me dirigeai vers la porte indiquée par le médecin. J’avais déjà été aux urgences alors que les ambulances ne cessaient de déverser des flots de malades de manière ininterrompue. Les couloirs étaient pleins de lits avec des patients gémissants, le personnel grouillait, le brouhaha était insoutenable. Cette nuit, les locaux étaient vides, quelques infirmiers folâtraient ici et là, et le silence était de mise.

Une fois à hauteur de la chambre, je jetai un dernier regard sur le couloir, hésitante. Le médecin apparut alors au loin, et m’apercevant, hocha la tête avec un sourire. Je le lui rendis et pris une profonde inspiration avant d’appuyer sur la poignée, me faufilant sans un bruit. 

Une seule veilleuse éclairait la chambre impersonnelle, créant des ombres fixes et mornes. Mes yeux s’arrêtèrent sur le corps immobile dans la pénombre, tandis que mon cœur eut un raté avant d’accélérer derechef. Je m’approchai, tremblante.

Elle était allongée sur le dos, les bras posés le long du corps. Sa respiration était calme et paisible, tandis qu’une perfusion distillait un liquide transparent dans ses veines. Je remarquai immédiatement les clavicules sous la chemise d’hôpital, plus saillantes que la dernière fois où j’avais parcouru son corps. Je remontai le long de sa silhouette si frêle et si fragile en cet instant, et contemplais son visage détendu.

Les pommettes aussi étaient plus apparentes que d’habitude. Ou peut-être était-ce les ombres provenant de la faible lumière qui me donnait cette impression. De profondes cernes creusaient son visage et sa peau de nacre était terne. J’observai longuement ses paupières closes légèrement violacées, ses lèvres ourlées, ses longs cheveux éparpillés autour de son visage. Malgré toutes ses marques de faiblesse, elle demeurait si belle. L’image d’une poupée de porcelaine se superposa à la sienne, toute aussi fragile…

Je m’assis à ses côtés et approchai une main hésitante de sa joue. Je finis par y déposer des doigts fébriles, caressant sa peau douce. A ce contact, je sentis une forme de sérénité m’envahir, de la sentir enfin près de moi, de la toucher à nouveau.

Je fermai les yeux face à ce sentiment qui m’emplissait, et poussai un profond soupir. Guidée par une envie irrépressible, je me penchai et déposai un baiser appuyé sur ses lèvres molles, une larme dévalant ma joue. Mes mains caressèrent ses cheveux emmêlés et un murmure inconscient franchit mes lèvres tandis que je posai mon front contre le sien.

_ Je suis là mon amour. Je suis là et je ne partirai plus, je te le promets.

Je répétai presque inconsciemment ces mots comme une automate, déposant de légers baisers à différents endroits de son visage, laissant le bonheur d’être au près d’elle me combler doucement, comme un feu réchauffe des membres engourdis. Je finis par saisir une de ses mains, et après en avoir embrassée la paume, j’enfouis mon nez dans son cou, m’imprégnant de son odeur qui m’avait tant manquée.

Je savais bien que cela ne faisait que quelques jours que je ne l’avais pas vu, et que quelques semaines que j’avais quitté la maison. Mais avant cela, plusieurs semaines s’étaient écoulées sans que la moindre tendresse n’agrémente notre quotidien. Elle était si distante et froide et que je n’osais pas. Les révélations que j’avais eues durant la soirée concernant son enfance, devaient également y jouer un rôle. Je voulais la serrer dans mes bras, la blottir contre moi afin d’effacer toutes les traces de ce passé de son corps, de son esprit, de sa mémoire…  J’en avais besoin, c’était viscéral.

Trop occupée à profiter de ce contact inespéré, je ne pris pas garde au changement de rythme dans sa respiration.

_ Julia… C’est toi… ?

La voix était faible, un murmure à peine audible si je n’avais pas eue mon oreille collée à sa poitrine. Pourtant, j’y décelai sans hésitation une petite note d’espoir qui me vrillait le cœur. Je relevai vivement la tête, trop heureuse de l’entendre. Ses yeux étaient encore clos et sa tête vacillait, comme si elle tentait de prendre pied dans la réalité sans véritablement y parvenir. Avec un sourire qui m’étirait les lèvres à m’en déchirer les joues, je posai ma main sur ses cheveux en la caressant, la gorge sèche.

_ C’est moi, Morgane, je suis là. Tout va bien.

Chose totalement stupide à dire à une personne dans les vapes dans un lit d’hôpital…

Les yeux toujours fermés, elle esquissa un léger sourire. De manière totalement contradictoire, une larme s’échappa de ses paupières. Je la recueillie d’une caresse sur sa joue.

_ Tu m’as manquée, murmura-t-elle.

Et cette phrase-là, me sembla bien plus véridique que lorsqu’elle l’avait prononcée en me regardant droit dans les yeux au café.

_ Tu m’as manquée aussi ma reine.

Sans me départir de mon sourire, j’embrassai doucement ses paupières, son nez, et pour finir ses lèvres. Et ce fut avec un plaisir inouï que je la sentis répondre à mon baiser, bien que faiblement. Je continuai mes caresses le long de son visage, la contemplant sans m’en repaitre. Je la vis alors s’agiter légèrement, entrouvrant difficilement les paupières. Je distinguai entre les fentes des yeux extrêmement clairs, comme si un voile était posé dessus.

_ Où est Amélie ? Est-ce qu’elle va bien ?

Elle tenta vainement de se relever, mais je l’en décourageai rapidement.

_ Shhhhht … Calme toi, recommandai-je d’une voix douce. Amélie va bien, elle dort dans l’aile pédiatrique. Ils ont préféré lui donner un lit plutôt que de la laisser attendre dans le couloir que tu te réveilles ou que quelqu’un vienne la chercher. J’irai la voir dès qu’elle sera réveillée.

La respiration de Morgane se mit à se saccader sans que je comprenne pourquoi et je vis son visage se tordre avant qu’elle n’éclate en sanglots. Bien que pleine d’incompréhension, je l’aidai à se redresser pour l’enlacer. Elle se blottit alors fermement contre moi, serrant avec force ma veste, sanglotant bruyamment.

Je lui murmurai des mots de réconfort et tentai de la consoler du mieux que je pouvais. Elle prononçait éperdument des « je suis désolée » à tour de bras, et je ne savais vraiment qu’en faire. Alors que ses larmes s’apaisaient progressivement, son étreinte se resserra d’un seul coup autour de mon cou, presque à m’en étouffer.

_ Ne me quitte pas s’il te plait, ne me quitte pas…

Je l’enveloppai de tout mon amour, l’embrassai sur le front et tentai de la rassurer.

_ Je ne partirai plus jamais mon amour, je te le promets. Je vais rester à côté de toi cette nuit et je serai là à ton réveil. Si jamais tu ne me vois pas, c’est que je suis partie voir Amélie. Plus jamais je ne vous quitterai.

_ Tu me le promets ?

_ Je te le promets.

Nous restâmes un instant enlacées, nous enivrant l’une de l’autre, remplissant ce vide abyssal qui nous avait habitées. Peu à peu je sentis la tension dans son corps s’évaporer, et je l’aidai à s’allonger. Ses yeux étaient à nouveau clos.

_ Désolée Julia… Je suis si fatiguée…

Je n’étais pas si sûre qu’elle ne parlait que de sa fatigue physique.

_ Shht rendors-toi mon ange, il faut que tu te reposes. Je suis là.

_ Reste près de moi, s’il te plait, supplia-t-elle d’une voix de plus en plus faible.

_  Je suis là, répétai-je doucement en lui caressant le bras.

Elle se blottit alors contre mon corps, se recroquevillant et enfouissant son visage dans mon cou. Je l’entendis inspirer un grand coup l’odeur de ma peau et elle serra ma main dans la sienne. Les mots étaient inutiles. Je remontai la couverture sur ses épaules et l’enlaçai, posant ma tête sur ses cheveux.

Il ne fallut pas longtemps avant que j’entende sa respiration prendre le rythme profond et régulier du sommeil.

_ Dors mon amour, je suis là.

A nouveau entière.

C’est moi. Julia.

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Commentaires
C
Je n'ai aucun doute sur l'appréciation de tes prochaines suites!! Je suis fan de ton récit de tes personnages et de ton écriture alors je ne m'inquiète pas je sais que je vais passer des moments très agréable en compagnie de ta plume! Et vu la qualité de tes écrits je serais évidemment présente sur tes autres textes!! Alors pour le coup merci à toi de nous faire partager tout ça. <br /> <br /> Et maintenant je file lire la nouvelle suite!!!
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V
Juste pour confirmer que tu as réussi à nous transmettre toutes les émotions qui se devaient dans ce chapitre <br /> <br /> chapeau!<br /> <br /> J'aime beaucoup....
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V
Juste pour confirmer que tu as réussi à nous transmettre toutes les émotions qui se devaient dans ce chapitre <br /> <br /> chapeau!<br /> <br /> J'aime beaucoup....
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C
Je suis fan de l'ombre de cette histoire depuis son début sur docti!! Tu as une façon tellement réaliste de retranscrire les émotions de tes personnages que j'ai l'impression d'aimer et de souffrir avec elles... Ton écriture est une parenthèse enchantée dans m petite vie alors merci bcp pour cette histoire magnifique.
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C
Aaaah ce chapitre a toujours beaucoup plu ! Leurs retrouvailles... Je suis contente de les avoir réussies ! Même si j'espère que d'autres suites, encore inédites apparaitront dans ce fameux "top 5" ! ;) Merci à vous deux !
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