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Petits écrits de la Main Gauche
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Samedi 18 novembre 2023 :

PUBLICATION DU TOME 1 DE CAUGHT IN THE MIDDLE LE 18 NOVEMBRE 2023
Pour s'y retrouver avant la lecture : Avant-Propos The Legend Of Zelda

- Caught in the Middle (fanfiction du jeu Zelda Breath of the Wild) =>
T2 achevé ; T3 en cours d'écriture.

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2 juin 2015

C'est moi, Julia - Chapitre 29

Amélie s’endormit rapidement dans le creux de mes bras. Alors que son corps se détendait, je sentais une forme de sérénité m’envahir, sérénité qui m’avait fait défaut pendant trois semaines. Mon esprit épuisé était vide de toute pensée parasitaire, pour la première fois depuis longtemps.

Cela faisait peut-être une demi-heure qu’Amélie dormait lorsque je me décidai à la déposer dans le cocon de ses draps. À peine m’étais-je éloignée d’elle qu’elle s’était réveillée brutalement à la disparition de mon contact. Le sommeil habitait encore ses grands yeux bleus mais une lueur angoissée y brillait farouchement.

Sans dire un mot, elle avait saisi ma main entre ses petits bras et s’était blottie contre elle, comme si elle serrait une de ses peluches préférées. Son regard demeura un instant posé sur moi, cherchant mon assentiment, me défiant de la quitter. Je n’en eus pas le cœur. Après tout, Morgane devait encore dormir…

Je hochai alors silencieusement la tête et caressai sa joue du bout des doigts, ses paupières se refermant automatiquement. Je me rendis vite compte que la position n’était guère agréable et restreignait considérablement mes mouvements, le bras emprisonné dans l’étreinte d’Amélie.

J’ignorai combien de temps s’était écoulé, mais l’aube était levée lorsqu’une infirmière entra dans la chambre. Elle eut un léger sourire en voyant Amélie blottie contre mon bras complètement engourdi, et me signifia qu’il valait mieux que je redescende, car les enfants n’allaient pas tarder à se réveiller.

Je parvins  à m’extraire des petits bras tant bien que mal sans réveiller leur propriétaire. Je me redressai en grimaçant, les muscles perclus de douleurs diverses et variées de par la position que j’avais occupé.

Le résultat de la nuit n’était guère palpitant : le cerveau vide, les reins qui m’élançaient, des fourmis dans mon bras droit, la nuque douloureuse, les genoux qui craquaient, les épaules basses… Je ne savais d’où je tirai l’énergie pour marcher, parce qu’il ne me semblait pas détenir encore les réserves  nécessaires pour un tel effort. Je sentais comme de lourdes poches de fatigue sous mes pupilles, et comprit soudainement l’expression « avoir des valises sous les yeux ».

Comme par automatisme, j’écrivis également une petite note à l’attention d’Amélie, avec des mots simples qu’elle serait en capacité de comprendre d’elle-même. Puis je me dirigeai vers les escaliers et entrepris de descendre fastidieusement les quatre étages qui me reliaient à ma reine endormie.

Une fois en bas, j’effectuai un détour mérité mais éreintant vers la machine à café. Je repérai une horloge trônant au-dessus d’une porte quelconque et ressentit, loin, très loin, dans un brouillard, une légère surprise face aux sept heures affichées. 

Trois heures auprès d’Amélie, je n’avais plus aucune notion du temps… Peut-être m’étais-je assoupie après tout ?

J’eus un instant d’hésitation avant de me décider à prendre deux cafés. Au cas où Morgane serait réveillée. Sinon, une double dose ne me ferait pas de mal au vu de mon épuisement. Même si elle ne changerait rien à ma fatigue émotionnelle…

Je m’emparai précautionneusement des gobelets brûlants, et me dirigeai lentement vers la chambre de Morgane. Je n’avais aucune envie d’une douche au café en supplément de cette nuit harassante.

Lorsque j’ouvris la porte, je vis que Morgane était encore endormie. Je déposai mon précieux fardeau sur la tablette roulante de chevet et ressorti sur la pointe des pieds satisfaire un besoin urgent.

Morgane étant assoupie, je me permis en plus d’aller fumer une cigarette à la sortie de secours. Je savais qu’une fois dans la chambre, je n’aurais plus l’occasion de sortir. Le médecin avait bien spécifié que je devais éviter d’être présente dans les couloirs et je me doutai que cette requête ne serait que plus vraie une fois l’équipe de jour arrivée.

J’eus une légère déception de ne pas croiser les infirmières qui avaient pris soin de moi la nuit durant. J’aurais souhaité pouvoir les remercier chaleureusement, mais l’occasion ne se présenta pas pendant ma petite escapade.

Une fois ma cigarette consumée, je rejoignis Morgane d’un pas las. Je ne souhaitai qu’une chose, c’était m’affaler sans la moindre grâce dans ce fabuleux fauteuil, le café me brûlant la gorge.

Lorsque j’ouvris la porte de la chambre, le soleil y brillait pleinement. Le mauvais temps n’était visiblement plus qu’un souvenir. Cependant, malgré les couleurs chaudes qui drapaient la pièce, je fus envahie d’un frisson glacée parcourant toutes mes vertèbres. Un sentiment d’effroi m’empoigna le cœur et je refermai brusquement la porte, tremblante.

Deux billes d’un bleu métallique m’avaient toisée sans la moindre expression, aussi froides que de l’acier, et paradoxalement aussi brûlantes que du fer chauffé à blanc.

Ma respiration était saccadée. J’avais beau m’être répétée toute la nuit que la chaleur de Morgane se serait probablement évanouie à son réveil, je n’avais pu empêcher un fol espoir de s’instiller délicieusement dans mon cœur fourbu de tant de douleur.

Ce que j’avais vu dans cette pièce, ça n’était pas Morgane. J’avais le sentiment qu’il s’agissait d’un monstre, d’une sorte de démon qui avait envahi le corps de ma reine. Une forme du Malin à exorciser. Et sans le prévoir, une torpeur glacée m’avait étreint le cœur sans coup férir.

Je respirai profondément à plusieurs reprises, tentant de calmer cette peur irraisonnée qui m’avait envahie. Je devais lui faire face pour la faire revenir. J’avais véritablement la sensation d’être un exorciste, que seule la foi pouvait sauver. La foi en nous deux, en l’occurrence.

Je rouvris la porte lentement. Morgane se tenait debout, face à la fenêtre, les bras croisés, observant le paysage de la grande baie vitrée. Elle était déjà habillée de ce qui devait être ses vêtements de la veille, soit un simple jean avec un haut noir à manche longue. Une de mes tenues préférées. Un mélange décontracté et classe, simple mais imposant. Les talons affinaient sa silhouette que la coupe des vêtements mettait en valeur. Je la voulais, je la désirais, je l’aimais, elle si belle à mes yeux jamais las de la contempler.

Son corps n’eut pas le moindre frémissement signalant qu’elle m’avait entendue rentrer. Pourtant je savais qu’elle sentait ma présence.

Je refermai calmement la porte et m’arrêtai là, attendant qu’elle se retourne pour me faire face. Au bout de quelques secondes dans le silence le plus total, je vis ses épaules se redresser avec une profonde inspiration, avant qu’elle ne se tourne vers moi.

Son visage inexpressif m’observa quelques instants sans broncher. Je la regardai fixement lorsqu’elle s’avançait vers moi d’une démarche féline et pourtant si sèche à mes yeux. Elle se posta à quelques centimètres de moi, sans que ses yeux ne me quittent un instant. Son expression glacée me faisait trembler d’appréhension.

Je ne voulais pas. J’étais trop fatiguée, trop lasse, je voulais ma reine, sa chaleur, lire son amour dans ses pupilles océan, voir son sourire lorsqu’elle m’apercevait, plein de tendresse. J’en avais besoin. Je voulais ses bras, m’y blottir et y dormir, apaisée, en sécurité, entière.

Elle tendit la main lentement afin de caresser ma joue. Je fus surprise de voir qu’elle tremblait, que son mouvement était hésitant. Comme si ce geste était plus fort qu’elle. Et ce fut plus fort que moi lorsque je fermai les yeux et blottis mon visage contre sa paume à son toucher si délicat.

_ Pourquoi es-tu ressortie ? murmura-t-elle.

Je ne voyais aucune raison de lui mentir. Au contraire. Ma politique à partir de maintenant, était de ne rien lui cacher. Intuitivement, je sentais que je devais mettre toutes mes émotions à nue, sans artifice ni faux-semblant. Je devais lui jeter mes sentiments au visage, comme Amélie l’avait fait avec moi. De toute façon, j’étais trop lasse pour autre chose.

Je rouvris alors les yeux afin de l’observer tandis que je lui parlais. Je voulais qu’elle lise en moi, dans mes yeux, comme dans un livre ouvert. Aussi retors que pouvait-être cet aspect de Morgane, je savais que jamais elle ne pourrait utiliser ma passion et ma douleur comme des armes contre moi. Tout simplement parce que j’étais persuadée qu’elles feraient écho en elle.

_ Je voulais retrouver ma Morgane, sa chaleur et son amour. Elle me manque. Et j’ai été… effrayée en voyant que seule la glace était présente dans cette chambre.

Elle n’eut aucune réaction, hormis que les caresses de sa main sur ma joue s’arrêtèrent un instant, avant qu’elle ne descende se poser sur mon cœur.

_ Tu caches mieux tes émotions habituellement, fit-elle d’un ton badin avec un sourire.

_ Trois semaines avec des nuits de quelques heures plus une nuit blanche à me ronger d’inquiétude n’aident pas. Et de toute façon, je ne vois pas l’intérêt de te cacher que j’ai mal. Ca n’est que la vérité.

Morgane ne répondit pas tout de suite, et elle baissa même les yeux dans un soupir. Ce n’est que quelques secondes plus tard que j’entendis un murmure, tandis qu’elle observait le sol.

_ Je suis désolée Julia. Je ne veux pas le blesser.

En disant cela, elle exerça une légère pression sur ma poitrine où sa main reposait. Le fait de ne pas voir son visage m’aidait à y croire. Et elle le savait.

Pour ma part, je décidai de me laisser guider par mes émotions. J’avais besoin d’elle.

_ J’ai vu Lisiane.

Elle n’eut aucune réaction.

_ Elle m’a tout raconté et…

_ Tu veux vraiment en parler maintenant, Julia ? m’interrompit-elle, avant de relever la tête.

Elle s’efforçait de murmurer, comme si sa voix trahirait son absence d’émotions. Comme si cela lui permettait de donner un minimum de profondeur à ses dires. Lorsqu’elle avait levé les yeux vers moi, j’avais cru percevoir une légère ombre dans ses iris, vite disparue. Si elle n’était pas que le fruit de mon espoir, de mon imagination, de ma peine, de mon épuisement et de tout ce qui bouillonnait en moi à son contact, j’ignorais ce que cette lueur fugace pouvait bien signifier.

_ Non. Je veux juste te dire que je sais que tu m’aimes encore. Même si je t’ai dit ne pas te croire au café. Et je t’aime aussi Morgane. Au-delà de tout ce que j’ai pu apprendre. Rien d’autre ne compte.

Ses yeux ne me quittaient pas. Ils étaient toujours aussi froids et mon cœur battait déraisonnablement dans l’espoir d’y voir un changement infime. Mais rien ne se produisit. Aucun sourcillement, aucune moue, aucun sourire… Un visage de marbre. Ça me rendait folle. J’avais envie de la prendre par les épaules et de la secouer.

C’est alors que je sentis le corps de Morgane se jeter sur moi, plaquant ses lèvres sur les miennes avec force. Ses mains encerclaient mon visage, le maintenant contre sa bouche vorace, et ses paupières étaient fermement serrées, des rides se dessinant au coin de ses yeux.

J’étais presque embarrassée pendant ce baiser loin d’être tendre et ne savait vraiment qu’en faire. J’eus à peine le temps d’y répondre que déjà Morgane séparait nos lèvres, enfouissant son visage dans le creux de mon cou. Ses bras descendirent jusqu’à ma cage thoracique qu’elle enlaça avec une force insoupçonnée. Elle m’étreignit violemment, et je sentais dans cette étreinte qu’elle y déversait la puissance d’un sentiment que j’ignorais. De la douleur ? Du soulagement ? De l’amour ? De la peine ? Tout ce que je savais, c’est que son corps exprimait quelque chose d’enfoui en elle.

Aussi, je l’enlaçais également, plantant mon nez dans ses cheveux, respirant son odeur. Je sentais que ma poigne était ferme. Je ne sais ce qu’elle y cherchait, mais moi je savais que je tentais de me remplir. Je la serrais pour qu’elle s’intègre à moi, physiquement et moralement, qu’elle comble ce vide qui me carbonisait. Je m’enivrais de son odeur.

Notre étreinte dura quelques instants, je ne saurais dire combien. Mais lorsque nous nous séparâmes, mes bras me lançaient d’avoir serré trop fort. Quand je sentis Morgane se détacher totalement de mon corps, une sorte d’effroi irraisonné s’empara de moi. Je la retins par le poignet, et ses yeux glacés lancèrent des éclairs presque automatiquement. Mais je refusai d’en tenir compte.

_ Reste là, s’il-te-plait. Laisse-moi juste t’embrasser et me blottir dans tes bras en attendant le médecin. J’en ai besoin et je sais qu’au fond de toi, tu le veux aussi.

Sans attendre son approbation, je lui pris le menton, relevant son visage comme je l’avais si souvent fait auparavant, et posai délicatement mes lèvres sur les siennes. Je laissai mon amour pour elle m’envahir doucement, guidant mon corps et mes lèvres dans un baiser délicat, qu’elle me rendit avec une légère raideur. Peut-être était-ce mon imagination, mais je sentais, malgré tout, tout son amour transpercer dans ses gestes froids. Soit la violence, soit l’ère glaciaire… Des souvenirs de nos premiers gestes tendres me revinrent en force, confirmant d’autant plus l’hypothèse de Lisiane.

Nous nous dirigeâmes vers le lit, et je ne la regardais presque pas. Je voulais son corps, je savais qu’il me répondrait. Je la poussai à s’allonger sur le lit et me blotti entre ses jambes en un soupir, la tête posée sur sa poitrine. Ses bras vinrent automatiquement m’enlacer et je fermai les yeux d’aise et de bonheur. Je savais que tout ceci n’était pas factice, comme je le pensais avant. Même si ça n’était pas parfait. Les bras de Morgane demeurèrent autour de mon corps sans bouger, là où je savais que quelques caresses auraient agrémentées cette étreinte auparavant.

Mais malgré cet aspect de Morgane, je sentais, là, l’oreille sur sa poitrine, son cœur battre aussi rapidement que le mien, fêtant les retrouvailles de nos peaux esseulées.

Et c’est au son de ce doux battement, la chaleur du corps de Morgane m’enveloppant, que je m’assoupis.

J’avais oublié de boire les cafés.

 

****

 

Bien qu’ayant dormi la plupart du temps, l’attente me sembla longue. J’ouvrai avec difficulté mes paupières environ toutes les heures, enfouie dans le corps de Morgane. La première fois, je me suis enquise de l’heure qu’il était. Les autres, un simple regard vers ma reine, un signe de tête de sa part, et je rejoignais Morphée au pas de course.

Morgane ne broncha pas une seule fois. Elle ne tenta pas de se soustraire à mon étreinte. Elle demeurait là, prisonnière consentante de mes bras, sans la moindre expression. Moi, je me repaissais du battement de son cœur, de son odeur, de la chaleur de sa peau. Mon corps pendait à moitié dehors, à moitié sur le lit, j’étais engoncée dans mes vêtements, je me réveillai toutes les heures, mais jamais je n’avais aussi bien dormi depuis notre séparation. J’étais sur un lit d’hôpital, mais j’étais chez moi.

Ce fut sur les coups de dix heures qu’une infirmière entra dans la chambre. Morgane me réveilla calmement, mais pas vraiment doucement. En réalité, elle me saisit par l’épaule et me secoua légèrement en m’appelant de sa voix froide. Pas très romantique, mais je ne fus pas certaine de pouvoir en réclamer davantage.

_ Le médecin ne va pas tarder, indiqua l’infirmière. Par contre nous avons eu un appel de la pédiatrie indiquant que votre nièce était sortante, qu’il fallait aller la chercher à l’étage. Mais il faudrait que vous vous signaliez à l’accueil avant de monter.

_ Merci, murmurai-je.

Je me redressai en grimaçant, courbaturée comme je l’étais après ces dernières vingt-quatre heures classées dans la catégorie épique. Je me tournai vers Morgane qui me regardait avec autant d’intérêt que si j’étais un pot sans fleurs. Autant dire aucun. Vive l’amour.

_ Je vais chercher Amélie et on t’attend toutes les deux au café en face de l’hôpital. Je vais lui offrir un chocolat chaud.

Sans attendre un acquiescement qu’il n’y aurait pas, ni un baiser qui soit spontané ce qu’il ne serait pas, je déposai subrepticement mes lèvres sur son front et me levai. Saisissant mes affaires, je ne jetai pas même un regard en arrière avant de sortir.

Je n’étais pas en colère. Il n’y avait pas de raison. Et j’étais bien trop fatiguée pour ça. Puis ça aurait été du gaspillage d’énergie pour rien.

Mais je n’étais pas non plus sur un petit nuage de bonheur loin s’en faut.

Bref, disons que je m’étais réfugiée en Suisse, et que je n’avais aucune envie d’intégrer l’Union Émotionnelle et d’y prendre une décision. 

Je parcourus les couloirs cahin-caha, les mouvements encore emprisonnés dans les limbes du sommeil. Un brouhaha que ma torpeur avait annihilé m’abrutissait. Il y avait des gens partout, des brancards contre les murs, plein d’ombres gémissantes, pleurantes, ou tout simplement hébétées ou patientant. Les affaires avaient visiblement repris en cette matinée de dimanche ensoleillé. J’eus une pensée fugace pour la populace qui se réveillait, là-bas, dehors, qui partait en ballade, à la messe, à ces enfants qui courraient dans le jardin… Tous plus inconscients les uns que les autres du fait qu’ici, entre ces murs glacés, des gens souffraient, pleuraient. Ces bâtiments étaient le réceptacle de la violence de la vie afin d’en préserver Monsieur Tout-le-monde. Avant que ça ne soit son tour…

Lorsque je voulus franchir les portes battantes, elles s’ouvrirent avec violence, m’obligeant à me reculer rapidement. Je me plaquai contre le mur pour laisser passer un brancard entouré de blouses et de pyjama blancs, où reposait un corps bringuebalant. Bien que cet instant ne dura que quelques secondes, le doré de la couverture de survie m’agressa les pupilles en contraste avec les taches pourpres qui recouvraient la victime. Je détournai le regard. Il était temps que je sorte d’ici, temps que je reprenne ma place de Madame Tout-le-monde.

Je sortis du service et me dirigeai vers l’accueil où les téléphones chantaient leur musique grinçante, tentant vaille que vaille de surpasser le brouhaha des conversations. La salle d’attente était pleine. Y avait-il eu un accident grave ?

Je pris donc patiemment ma place dans la file d’attente, trop fatiguée pour même ronchonner. A peine avais-je eu le temps de soupirer qu’une main se posa sur mon bras. Je sursautai et me retournai rapidement pour apercevoir les cernes de Lisiane qui m’observaient d’un air bienveillant.

_ Au moins je ne suis pas la seule à avoir un visage de déterré, fit-elle dans un sourire. T’as l’air d’avoir été passée au sèche-linge ma pauvre.

Un sourire courba mes lèvres. Un peu de légèreté était bienvenue.

_ Et vous d’avoir été mal repassée, mais la tentative était louable, rétorquai-je, rapidement comblée par son petit rire. Vous avez trouvé un hôtel ?

_ Oh oui, celui d’à côté a toujours un gardien, vu qu’il peut avoir la clientèle de l’hôpital à n’importe quelle heure. Tu les as vues toutes les deux ?

Je hochai la tête et entrepris de lui raconter le déroulé de la nuit. Le comportement d’Amélie la fit beaucoup rire, et elle la compara de suite à Morgane quand elle était enfant. A contrario, je ne m’étalai pas sur nos instants avec ma reine. Ceux-ci nous appartenaient tout de même. Je lui indiquai juste que dans la nuit, j’avais pu revoir la véritable Morgane et en avait été comblée, même si la glace avait repris le dessus au matin.

Elle me saisit alors l’épaule dans un geste compatissant.

_ C’est qu’elle n’est pas si loin que ça alors…

Je hochai la tête. Inutile d’en dire davantage.

_ Très bien, je vais te laisser, tu me tiens au courant ?

Je redressai la tête, les yeux écarquillés.

_ Mais… Je… Vous ne…

_ Julia, fit-elle dans un sourire, tu as passé la nuit à penser à elles, moi j’ai passé la nuit à penser à moi avec elles. Je vais vous laisser rentrer, et reprendre votre petite vie. Je sais que tu m’appelleras quand tu auras besoin de ma présence.

_ Mais… vous allez rentrer chez vous ?

_ Non, ne t’inquiète pas, tu n’es pas encore débarrassée de moi ! Je vais rester un petit peu dans le coin, renouer avec de vieilles connaissances… Peut-être même aller saluer ma chère sœur d’une visite impromptue comme elle les aime…

Son sourire carnassier ne trompait pas réellement sur sa véritable intention lors de cette visite. Je pouffai légèrement tout en m’avançant dans la file, avant de reprendre sérieusement.

_ Vous n’allez pas dormir à l’hôtel tout de même, vous pourriez venir dormir à la maison, c’est la moindre des choses.

De sa petite taille, Lisiane me saisit par les épaules et me tourna brusquement vers elle. Ebahie, mes yeux se posèrent directement dans les siens, qui étaient on ne peut plus sérieux.

_ Julia, chaque chose en son temps. Un jour tu pourras m’accueillir à bras ouverts mais pas maintenant. Morgane est fragile mais elle peut encore reprendre du poil de la bête. Tu as un combat à mener contre cette part d’elle. Si elle me voit dès aujourd’hui, elle risque de très, très mal le prendre, et de se renfermer davantage. Je ne suis pour l’instant qu’un Joker qu’il faut savoir poser au bon moment. Sers-le trop tôt et tu perds la partie. Et Amélie, je refuse de la rencontrer et de lui faire porter le secret de ma présence envers sa tante. Je te l’ai dit, j’attends depuis dix ans… j’ai tout mon temps pour la retrouver. Au moins aujourd’hui c’est dans le domaine du possible… grâce à toi.

J’admettais facilement le bon sens de ses paroles bien qu’elle ne me réjouisse pas. Trop lasse pour batailler pour la gloire, je me contentais de l’étreindre dans un merci quasi inaudible. Lisiane me demanda à nouveau de la tenir au courant en me tendant un petit bout de papier avec son numéro de portable. Je hochai la tête et le lui promis, avant de la regarder s’éloigner de sa démarche calme de l’hôpital.

Cette femme était une perle comme il en existe peu.

 

****

 

Je touillai sans le voir mon café d’un air endormi. Dieu ce que cette nuit avait pu être harassante. Je ne souhaitai qu’une chose : mon chez-moi, mon matelas, mes draps, mon oreiller roulé en boule, mon dodo. Et accrocher un panneau « Ne pas déranger sous peine de mort » à la poignée de la porte.

Fini les confessions, les escaliers, l’odeur de désinfectant et les turpitudes de ma reine.

Qu’ils se démerdent, moi j’avais besoin d’une pause. Qu’on me foute la paix quelques heures.

Amélie ne m’accompagnait pas dans mon humeur morose mais n’était pas pour autant plus vaillante que moi. La petite fille n’avait que peu dormi en fin de compte, et n’avait jamais vraiment été du matin. Je l’avais récupérée au service de pédiatrie un quart d’heure avant, et après une étreinte, nous nous étions réfugiées en silence dans le café. Elle s’était alors blottie contre moi, à moitié endormie, et n’avait pas prononcé une parole. Coincée entre mon corps et le mur, elle s’était roulée en boule et nous somnolions de concert.

J’adorai cette gamine.

Nous restâmes là un moment, je ne saurai dire la durée exacte, avant que je ne lève doucement la tête lorsqu’une main se juchait sur mon épaule.

Morgane se tenait face à moi, droite comme un i, sans la moindre lueur attendrie devant le spectacle que nous représentions, Amélie et moi. Ce qui n’aurait pas manqué en temps normal. Pas un sourire.

Fais chier.

Nos regards se croisèrent, et Morgane murmura aussi chaudement que possible.

_ Rentrons chez nous.

Cette phrase ne me fit même pas sourciller. Pourtant, ces mots auraient dû réchauffer quelque peu mon cœur glacé. Mais là, rien. Au fin fond de ma morosité, je m’étonnais. Devenais-je aussi froide qu’elle ? Je haussai intérieurement les épaules. Si c’était le cas, qu’importe, elle l’avait bien mérité.

Je définis rapidement ma phrase du jour, dont le langage peu émérite traduisait parfaitement bien mon humeur : j’en ai ras le cul.

Je secouai légèrement le petit corps avachi contre moi, qui en fait avait eu le temps de se rendormir. En laissant une trace bien humide sur mon épaule avec sa bouche grande ouverte.

Alors qu’Amélie frottait ses yeux à moitié fermés, je me relevai et payai l’addition. Morgane se pencha et pris sa nièce dans ses bras, et je déposai son manteau sur le corps ramolli. Pourquoi ne suis-je pas une petite fille que Morgane prendrai dans ses bras comme ça ? J’étais jalouse.

Ce fut sans un regard pour nos consommations à peine entamées que nous nous dirigeâmes vers la voiture.

 

Une fois rentrées à la maison, je poussai un soupir de contentement de me retrouver chez moi à nouveau. Personne n’avait prononcé le moindre mot dans la voiture, et tout le monde s’en contentait fort bien apparemment. Nous étions toutes épuisées, physiquement et moralement. Et je crois que Morgane et moi, apprécions juste la présence de l’autre, laissant de côté pour l’instant les questions et la quête de solutions. La tendresse n’était pas au rendez-vous non plus, mais cela était délibéré me semblait-il. Après tout, c’était un des symptômes du problème, alors autant éviter qu’un geste ramène le sujet sur le tapis, tout du moins dans nos pensées erratiques. Pas sûr que cela aurait été très productif.

Je me dirigeai lentement vers la cuisine et ouvrit la porte du frigo, en quête d’un petit quelque chose rapide pour nous sustenter. J’affichai dès lors une mine déconfite à la vue des étagères vides. Morgane arriva à ce moment-là, et eu le bon sens d’afficher un air contrit. J’esquissai un vague sourire. Je n’étais pas aveugle, j’avais bien constaté à mon arrivée que le temps semblait s’être arrêté dans ma maison pendant mon absence. Il me semblait qu’aucun élément n’avait changé de place.

Je me mis à la cuisson rapide d’une plâtrée de pâtes, sortant le gruyère râpé du frigo, son seul habitant me semblait-il. Je pris alors appui sur le plan de travail, croisant les bras, et regardai Morgane qui sortait le couvert.

_ Où est Amélie ? demandai-je d’une voix faible.

_ Sur le canapé, elle doit déjà s’être rendormie, répondit ma reine sur le même ton, sans lever les yeux.

Je poussai un soupir. Je me retournai vers l’eau bouillante et y versai une dose de pâtes au pif. La flemme de peser. Quand ce fut fait, je repris ma position.

_ J’ai prévenu la boîte que je n’irai pas travailler cette semaine. Je reprendrai lundi prochain. Et je pensai laisser Amélie se reposer, au moins en début de semaine. Elle retournerait à l’école mardi ou mercredi.

Morgane acquiesça tout en s’emparant de trois verres et de la cruche d’eau. Ses épaules étaient basses.

_ Bonne idée, murmura-t-elle.

J’attendis quelques instants, mais le silence se prolongea sur le soufflement de la hotte et des bruits de vaisselle qui s’entrechoquait. Je levai les yeux au ciel.

_ Et toi ? demandai-je d’une vois plus sèche que je ne l’aurai voulu.

Elle se retourna rapidement et me jeta un coup d’œil. Elle parvint à esquisser une grimace mi- désolée mi- agacée. Quelle progression.

_ Désolée, fit-elle en reprenant son activité, légèrement disparate me semblait-il. J’ai deux semaines d’arrêt. Parait que je dois me reposer. Ça ne me laissera que plus de temps pour bosser sur le problème que pose ma tendre mère, finit-elle d’une voix sarcastique.

Je m’emparai de la gamelle de pâtes et entreprit de vider son contenu dans une passoire. Deux semaines d’arrêt ? J’eus un léger sourire. Elle pensait passer tout son temps à travailler sur la garde d’Amélie, fort bien. Mais il y aurait au moins une semaine où elle allait juste dormir et souffrir.

J’eus une légère culpabilité face aux prochains jours qui allaient s’écouler, tandis que je versai de l’huile d’olive sur les féculents. Mais qu’importe, cette semaine était une occasion en or. Je me détournai alors et me dirigeai vers elle, qui était penchée la tête dans un placard.

Un léger frisson plus que reconnaissable me parcourut tandis que mon regard s’attarda un instant sur sa chute de rein, présentée actuellement d’une manière bien avantageuse. Je senti une flamme s’élever dans mon bas ventre, que je m’empressai rapidement d’étouffer en levant les yeux au ciel.

Je me fustigeai un instant. Je savais qu’elle me manquait cruellement, mais je devais vraiment être épuisée pour laisser mes hormones faire la java pour si peu. Elle avait juste la tête coincée entre un Tupperware et le batteur électrique, rien de bien érotique…

Je m’offris le luxe de me morigéner encore un peu, bien que cette réaction m’ait quelque peu rassurée. Je me craignais froide et indifférente depuis ce matin. Mon corps m’avait rappelé à l’ordre dès que l’occasion s’était présentée. Il suffisait juste que Morgane cherche des instruments de cuisine. Comme quoi il suffisait de peu.

L’objet de mes désirs se releva alors et me percuta en se reculant. Après un léger sursaut de surprise, elle se retourna, les sourcils hauts.

_ Qu’est-ce que tu fais derrière moi ? Je ne t’ai pas entendu…

Avec un léger sourire, je lui saisis délicatement le menton et déposait mes lèvres sur les siennes, en une légère caresse.

_ Tout du moins la première semaine, je compte bien régler un tout autre problème, ma chère.

Une lueur sombre passa rapidement dans son regard glacé que je fixai sans sourciller. Je ne pus identifier l’émotion qui se cachait derrière, mais au moins, elle avait eu une réaction. Mon sourire s’agrandit quelque peu, et je déposai un nouveau baiser sur les lèvres de ma petite brune.

Sans un mot de plus, je me détournai et saisis la gamelle de pâtes. Je me dirigeai d’un pas assuré vers le salon. Inutile de mettre la charrue avant les bœufs, le programme de la journée ne serait que repos. Fêtons devant un bon film ces retrouvailles silencieuses, avant que la situation ne s’envenime à nouveau.

Je jurai en mon fort intérieur à Lisiane qu’elle n’aurait pas à attendre longtemps dans sa chambre d’hôtel sordide.

Bien décidée.

C’est moi, Julia.

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Commentaires
C
En même temps, il était vraiment temps que ce récit se termine un jour ! Mais franchement, le prochain récit est tellement différent de celui-ci que je resterai un poil inquiète quant à vos réactions jusqu'à ce que je lise les premiers commentaires... On verra bien ce que ça donnera !
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C
Je dirais même que toutes les Trèèèèès bonnes choses ont malheureusement une fin... Mais c'est un tel cadeau que tu nous fais en nous permettant de lire ton texte que tu n'as pas à être désolé de nous annoncer la fin de ce récit que personnellement j'aime particulièrement!! Et puis je me dis que ça sera l'occasion de lire tes autres histoires 😉 on se console comme on peut 😉
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C
Hou la la je sais bien qu'il leur reste bcp de chose à régler et que ce n'est malheureusement que le début de leur descente dans l'univers sombre de Morgan mais je reste positive!! Premièrement elles sont enfin ensemble!! Et deuxièmement ça veut dire qu'on aura encore pleins de lecture passionnante!!! Merci à toi
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C
Le retour de la glace après quelques moments de tendresses... La situation reste difficile pour Julia mais maintenant qu'elle a les clés pour comprendre sa reine j'ose espérer que ça sera plus simple et surtout moins douloureux pour elle.<br /> <br /> Sinon j'aime bcp tata Lisiane et cette relation de confiance et de connivence qui s'installe entre elles! J'ai hâte de lire ses retrouvaillles avec Morgane!<br /> <br /> Alors merci bcp pour cette très belle suite encore un peu trop sombre pour nos amoureuses mais qui signe le début d'une nouvelle étape dans leurs vies à toutes les 3
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D
Toujours aussi bien écrit =)
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